La décision, explique Washington, «n’a pas été prise à la légère». Mais au vu de la situation à Alep, la rupture du dialogue avec Moscou semblait inéluctable. Jeudi dernier, le secrétaire d’Etat américain avait laissé entendre que la fin était proche, se demandant ouvertement s’il n’était pas «futile de continuer à croire à un processus diplomatique» avec la Russie. Le déluge de bombes et de barils d’explosifs largués sur Alep au cours des derniers jours a tué les derniers espoirs de l’éternel optimiste John Kerry, en même temps que des centaines de civils. Près d’un an après la rencontre à Vienne entre Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, qui devait relancer les discussions en vue d’une solution politique en Syrie, c’est donc un nouveau cycle de pourparlers qui s’achève sur un tragique constat d’échec. Au cours des douze mois écoulés, combien de «réunions cruciales» et de conversations téléphoniques les deux ministres ont-ils partagé ? Et pour quel résultat ?

Assiégée et pilonnée par le régime Assad et ses alliés, la partie Est d’Alep s’apparente désormais à «l’enfer sur Terre», selon les mots du chef des opérations humanitaires de l’ONU, Stephen O’Brien. Dans ces quartiers orientaux de la grande cité du nord syrien, environ 275 000 civils – dont 100 000 enfants – seraient pris au piège. Sans nourriture ni eau potable. Et, de plus en plus, sans accès aux soins, les hôpitaux étant systématiquement bombardés. Déjà visé samedi, le principal hôpital d’Alep a été détruit lundi par de nouveaux raids aériens, selon l’ONG Syrian American Medical Society. Imperturbable, la Russie s’est félicité de la «grande efficacité» de ses frappes, démentant tout raid contre les hôpitaux, comme elle avait démenti il y a deux semaines le bombardement d’un convoi humanitaire de l’ONU.

«Tout le monde est à bout de patience avec la Russie», a reconnu lundi le porte-parole de la Maison Blanche. «Il n’y a plus rien dont les Etats-Unis et la Russie puissent parler» à propos de la Syrie, a ajouté Josh Earnest. Sur le plan diplomatique, le fil est donc définitivement rompu. A un mois de l’élection présidentielle américaine et à moins de quatre mois du départ de Barack Obama de la Maison Blanche, toute reprise rapide du dialogue semble exclue. Quelques canaux restent toutefois ouverts entre Moscou et Washington, en particulier sur le plan militaire. Avec leurs avions respectifs dans le ciel syrien et leurs forces spéciales au sol, les deux puissances ont mutuellement intérêt à éviter tout incident. Les échanges dits de «déconfliction» vont donc se poursuivre entre le Pentagone et le ministère russe de la Défense.

Relations détériorées

Après l’échec, le 19 septembre, de la trêve âprement négociée par Moscou et Washington, la rupture des pourparlers montre à quel point les relations se sont détériorées entre Barack Obama et Vladimir Poutine. Dans un nouveau geste de provocation, le président russe a d’ailleurs décidé de suspendre un accord bilatéral sur le recyclage de dizaines de tonnes de plutonium militaire. L’accord, signé en 2000 par Poutine et le président américain de l’époque, Bill Clinton, n’avait jamais été réellement appliqué. Mais en le suspendant officiellement, Moscou dit vouloir «adresser un signal à Washington». Selon Sergueï Lavrov, il s’agit d’une réponse «nécessaire» aux sanctions imposées à la Russie pour son rôle dans la crise ukrainienne et au renforcement de la présence de l’OTAN en Europe de l’Est.

En dépit de ce regain de tension, l’émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, refuse d’abandonner. Les Nations Unies, a-t-il assuré dans un communiqué, vont «continuer à faire pression énergiquement en faveur d’une solution politique au conflit syrien malgré l’issue extrêmement décevante des discussions longues et intenses entre deux acteurs internationaux cruciaux». De son côté, la France poursuit ses efforts en vue de soumettre au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution visant à ressusciter le cessez-le-feu à Alep. «C’est notre responsabilité de tenter tout ce qui est humainement possible», a déclaré lundi l’ambassadeur français aux Nations Unies, avant une réunion des Quinze. «Nous n’avons qu’un seul objectif mais cet objectif est vital : mettre un terme au martyr d’Alep», a ajouté François Delattre. Officiellement, les négociations se poursuivent autour du texte. Mais la Russie, qui dispose d’un droit de veto, a d’ores et déjà affirmé, par la voix de son ambassadeur, que le plan français «n’avait aucune chance de fonctionner».

Frédéric Autran