«Aussi j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle.» Il est 20h 11, jeudi soir, lorsque François Hollande, «conscient des risques que ferait courir une démarche, la [s]ienne, qui ne rassemblerait pas largement autour d’elle», renonce, en direct depuis l’Elysée, à se présenter à sa propre succession. Fond bleu ciel, drapeau tricolore et européen derrière lui, le socialiste devient donc le premier président de la Ve République à ne pas y retourner. Ce choix, «je le fais en prenant toute ma responsabilité», poursuit-il, «en appelant à un sursaut collectif» et à l’union de «tous les progressistes». «Ce qui est en cause, ce n’est pas une personne. C’est l’avenir du pays. Je ne veux pas que la France soit exposée à des aventures qui seraient coûteuses, et même dangereuses pour son unité, pour sa cohésion, pour ses équilibres sociaux», dit-il après avoir mis en garde contre le programme de François Fillon et le «repli» de l’extrême droite. Selon le candidat investi dimanche par Les Républicains, Hollande a «admis avec lucidité que son échec patent lui interdit d’aller plus loin».

Épilogue

Pourtant, jusqu’à la neuvième minute de cette allocution annoncée à peine une heure avant, Hollande laisse planer le doute sur ses intentions. Il vante son bilan (lire pages 4 et 6), dit même son «regret», d’avoir proposé d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les terroristes condamnés après les attentats de novembre. Mais non, il n’ira pas : dans le «dévouement le plus total à la République», le septième président de la Ve«continuer[a] à diriger le pays» jusqu’à la passation de pouvoir avec le – ou la – huitième élu(e) en mai prochain. En laissant l’étrange sentiment d’avoir été victime de l’empêchement de son propre camp. Son Premier ministre compris.

Car cette annonce est l’épilogue d’une semaine folle pour l’exécutif. Débutée samedi, avec la proposition du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, de voir s’affronter les deux têtes de l’exécutif dans une primaire. Suivie, dès le lendemain, par une interview de Manuel Valls au JDD. Le Premier ministre frôle alors la crise de régime en se disant «prêt» à y aller. «Je n’oublie pas que le Président a été élu par les Français en 2012, déclare-t-il alors. Mais toute candidature doit intégrer le rapport avec les Français, avec la gauche. Toute décision qui ferait fi de ces trois dimensions apparaîtrait comme bancale ou fragile.» Pendant ce temps-là, François Hollande est à Madagascar, au sommet de la Francophonie. «Il n’était pas très bien, témoignait un ministre qui l’accompagnait. Son discours n’a pas été très bon. Il était en permanence sur son portable.» Personne n’imagine pourtant qu’il puisse renoncer. D’autant que le lendemain, les deux hommes calment le jeu après leur déjeuner hebdomadaire.

Depuis, la majorité scrutait les «signaux faibles» émis par l’Elysée et Matignon. La sérénité de Valls bluffait ses proches et inquiétait ceux de Hollande, qui ne pressentaient rien de bon. D’autant qu’à peine arrivé à Tunis lundi soir, le Premier ministre évoque «d’autres scénarios» et fait savoir qu’il n’a «renoncé» à rien.

Apéritif

Les deux hommes se seraient-ils réparti les rôles ? A Hollande la continuité de l’Etat. A Valls la candidature à la primaire qu’il va pouvoir officialiser, le temps de laisser passer un jour d’«hommage» à Hollande, dès samedi dans un discours devant la convention de la Belle Alliance populaire à Paris ? Le Premier ministre a salué jeudi soir «le choix d’un homme d’Etat». En réalité, le couple exécutif n’a cessé de se consulter ces derniers jours. «Ils ont continué leur réflexion commune mais la décision appartenait au Président», relate un député.

Mardi, les proches de Hollande, autour d’un apéritif chez le fidèle Stéphane Le Foll, se rassuraient. Sans garanties pour autant entre le pastis et les Tuc. Hollandais historique, Kader Arif y croyait encore mercredi : «Il faut qu’il envoie un petit signe avant son décollage pour Abou Dhabi.» D’autres fidèles conseillaient à Hollande de renoncer. Un ancien du gouvernement avouait jeudi soir son «sentiment de gâchis et pas mal de haine à l’égard de tous ceux qui, ces dernières semaines, ont tout fait pour l’empêcher de faire ce qu’il voulait par-dessus tout : défendre un bilan qui, en l’entendant, n’est pas aussi misérable qu’on voulait le dire». L’air de rien, dans son propre camp, Hollande était un élément de stabilité. La guerre de succession est ouverte.

Lilian Alemagna, Laure Bretton