Ce qui se passe aux Etats-Unis est toujours, pour le reste du monde, doublement fondamental : d’abord parce que c’est la première puissance du monde, et qu’elle va le rester longtemps encore. Ensuite parce que les évolutions de sa société, de sa musique, de ses mœurs, de ses modes, de ses technologies, de ses disputes intellectuelles ou politiques, se retrouvent en général un peu plus tard, dans le reste du monde. En particulier, ce que vit la jeunesse américaine est souvent ce qui attend les autres jeunesses du monde. On l’a vu tout au long du vingtième siècle, et encore très récemment avec le wokisme, qui y a pris sa source avant de se répandre ailleurs, pour de très bonnes raisons, et avec aussi quelques conséquences désastreuses.Aujourd’hui, une évolution, bien plus fondamentale encore, de ce qui se joue en ce moment dans la jeunesse américaine, n’attire pas assez l’attention du reste du monde :Comme l’a relevé dans un article récent l’historien anglais Niall Ferguson, la jeunesse américaine est au bord du suicide. En voici la preuve : 11,5% des jeunes Américains entre 12 et 17 ans « traversent une dépression qui réduit sévèrement leur capacité à vivre » et 17, 5% d’entre eux ont subi aussi un épisode dépressif l’année précédente. Et cela s’aggrave : on a pu mesurer une augmentation en moins de dix ans de 27% de l’anxiété et de 24% de l’état dépressif chez les jeunes Américains de moins de 20 ans. Plus incroyable encore, un enfant américain sur six entre 2 et 8 ans a été diagnostiqué avec un désordre mental, comportemental ou de développement.
Entre 2011 et 2021 (dernière année d’enquête disponible) la proportion des lycéens américains expérimentant un sentiment persistant de tristesse ou de désespoir est passé de 28% à 42%. Et la proportion de ceux qui envisagent de se suicider est passée de 16% à 22% ; la proportion de ceux qui ont attenté à leur vie est passée de 8% à 10% ; autrement dit : un collégien ou lycéen américain sur dix a tenté de se suicider. On comprend mieux pourquoi ils sont aussi nombreux à consommer toutes sortes de drogues, à commettre toutes sortes de violence, à fuir de toutes les façons possibles.Il y a sans doute mille raisons à tout cela ; pour moi, la principale est que le monde que les adultes américains s’apprêtent à laisser à leurs enfants ne leur convient pas : une augmentation massive de la température, des ouragans et des tempêtes ; une inégalité écrasante, qui réserve de plus en plus les richesses aux enfants des riches, qui ne vont plus aux mêmes écoles qu’eux et qui forment désormais une caste presque totalement fermée. Un avenir bouché, où le rêve américain a disparu.Au lieu de se révolter, de faire de la politique, de tenter de réussir (ce que font encore, avec bonheur, certains d’entre eux) ils sont donc de plus en plus nombreux à choisir ce que je nomme ici le « syndrome de Stefan Zweig »), en référence à cet immense écrivain viennois, qui se pensant pourchassé par les nazis, et convaincu de la fin irréversible de la culture et de la civilisation européenne, qu’il incarnait si bien, et de la victoire définitive, en Europe au moins, du totalitarisme hitlérien et stalinien, entra dans une profonde dépression et se suicida, au Brésil, avec sa compagne, en février 1942 ; deux mois après la déroute de Pearl Harbour et au moment où les armées de l’Axe semblaient triomphantes sur tous les fronts. Si tous, dans les démocraties encore au combat, avaient pensé et agi comme lui, son pronostic serait devenu réalité.C’est sans doute la même chose qui se joue ici : une grande partie de la jeunesse américaine est entrée en dépression et pense au suicide, parce que personne ne semble la convaincre qu’un avenir juste, avec un climat maîtrisé, dans une société bienveillante pour chacun, soit encore possible.
On peut les comprendre quand on observe les petits jeux des politiques et les égoïsmes des riches, dans des démocraties à la dérive face à des totalitarismes cyniques, barbares et convaincus d’être là pour mille ans. Comme Hitler l’était.Prenons garde que cette épidémie ne nous touche. Rien n’est plus urgent que de donner aux jeunes, en Amérique comme en France, une perspective crédible, de leur faire comprendre que si la bataille pour la survie de l’humanité n’est pas gagnée, elle peut l’être. Et qu’ils peuvent y contribuer. Encore faudrait-il des chefs de guerre capables de donner de l’espoir et d’avoir une stratégie pour le justifier.
Comments
0 comments