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Présidentielle au Cameroun : quelques dauphins de Paul Biya passés au scribe

Bien que nul ne sache encore si Paul Biya, 84 ans dont trente-cinq à la tête de l’État, se représentera en 2018, quatre piliers du régime apparaissent comme des candidats potentiels à sa succession. Mais gare à ceux qui exprimeraient publiquement cette ambition…

Attention, sujet tabou. L’entourage du président camerounais n’aime pas évoquer l’après-Biya. Qui le blâmerait ? L’espérance de vie gouvernementale a été courte pour ceux qui ont eu l’audace de manifester leur intérêt pour le fauteuil occupé depuis trente-cinq ans par Paul Biya, âgé de 84 ans. Dans dix mois aura lieu l’élection présidentielle, à laquelle personne ne sait si le chef de l’État sera candidat. Mais défier le président en pariant sur son départ, c’est prendre le risque de payer un prix élevé.

Dans bien des cas, le scénario a été cruel : licenciement lu au journal radio de 17 heures, arrestation, détention… Si la question est posée, la réponse est souvent la même, à l’instar de celle donnée par ce poids lourd du gouvernement : « Non, je ne veux pas devenir président. Rien ne peut remettre en question ma loyauté envers le chef de l’État. » L’exceptionnelle longévité au pouvoir de Paul Biya a donc créé au sein de son entourage un théâtre d’ombres chinoises.
Quatre prétendants

La loyauté y est mise en scène pour mieux dissimuler des desseins plus personnels. Le palais d’Etoudi n’est pas assiégé par de grands fauves pressés de chasser le chef. Ils sont déjà à l’intérieur, au pied du trône. Avec l’air de ne pas y toucher, ils font mieux qu’y penser. Ils se tiennent prêts pour la succession, le moment venu.

Dans cette comédie, quatre personnages émergent au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) : René Emmanuel Sadi, Laurent Esso, Edgard Alain Mebe Ngo’o et Louis-Paul Motaze. Tous sont des piliers du régime et doivent tout, ou presque, au président. Ils sont quasiment tous passés par l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), le moule de l’élite administrative, à l’exception de René Emmanuel Sadi, formé à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric).

Ils ont peu d’expérience hors du pays, à l’exception – encore – de René Sadi, qui a travaillé à l’ambassade du Cameroun en Égypte. Se distinguant par leur longévité aux affaires, ils ont vogué de ministères régaliens en postes sensibles. Laurent Esso et Edgard Alain Mebe Ngo’o ont dirigé le cabinet civil du président. Esso et Sadi ont été respectivement secrétaire général et secrétaire général adjoint de la présidence, tandis que Louis-Paul Motaze a occupé un poste similaire auprès du Premier ministre.

Pendant plusieurs mois, Mebe Ngo’o a été à la fois à la tête de l’armée et de la police. En tout, Esso, Sadi et Mebe Ngo’o ont ainsi passé plus de vingt ans dans les plus hautes instances du système.

Biya Big Brother

Leurs particularités ne sont pas toujours des points forts. Respectivement douala et babouté, Esso et Sadi sont issus de communautés minoritaires. Cela constitue un handicap numérique compte tenu du vote « ethnique » observé ces dernières années. Et ils sont les plus âgés des prétendants au pouvoir. Une candidature de Paul Biya en 2018 sonnerait la fin de leurs rêves d’accéder un jour à Etoudi. Plus jeunes, Mebe Ngo’o et Motaze conservent leurs chances mais pourraient pâtir du fait d’être issus de la même région que l’actuel président.

S’il garde le silence, le chef de l’État sait tout. Rédigées par les services spéciaux, des notes sur ces dauphins lui sont adressées par dizaines. Elles recensent les comptes bancaires de l’un, les participations de l’autre au sein d’entreprises privées, des détournements d’argent public vrais ou fantasmés. Le président entretient aussi des réseaux informels d’informateurs qui eux aussi consignent leurs faits et gestes. Les dénonciations sont récompensées, la délation, entrée dans les mœurs.

Ces notes ont également décrit Jean-Marie Atangana Mebara comme l’initiateur du G11, un groupe de hauts dignitaires qui se seraient réunis pour envisager l’après-Biya. Cet ancien secrétaire général de la présidence croupit désormais en prison, où il purge une peine de 15 ans.
Les clés du RDPC

Pour l’instant, le « chef » n’a donné aucun signe qui trahisse sa volonté de se retirer. Et, en cas de démission, de décès ou d’empêchement, la Constitution prévoit que le président du Sénat assure l’intérim et dispose de cent vingt jours pour organiser des élections auxquelles il ne pourra lui-même se porter candidat. Mais, pour cette génération de politiciens qui doit son émergence au mode de dévolution du pouvoir inauguré par l’ex-président Ahmadou Ahidjo, démissionnaire en 1982 au profit de Biya, le pouvoir ne peut se transmettre que par héritage.

Même si le chef de l’État affirme le contraire, il y a des chances que l’heureux « élu » soit celui que le sortant aura choisi. Ou, en cas de décès, celui qui aura les clés du RDPC. En effet, les lois camerounaises ne permettant pas aux personnalités indépendantes de se porter candidates, la grande bataille consistera à prendre possession de la machine à gagner ultradominante qui a accaparé l’administration et contrôle 148 des 180 députés à l’Assemblée nationale, et 306 mairies sur les 360 que compte le pays.

Au Sénat, elle dispose de 80 sénateurs sur 100. En cas de retrait du président, comme en cas d’indisponibilité, la commission électorale, composée à 90 % d’anciens membres du RDPC et de quelques représentants de la société civile, sera également un atout majeur susceptible d’aider le système à se perpétuer.

Sauf qu’au sein du parti au pouvoir un obstacle « technique » pourrait empêcher pareil scénario pacifique de s’écrire. Taillés sur mesure pour son fondateur, les statuts de ce parti ne prévoient pas de conduite à tenir en cas de disparition de son président, qui est le « candidat naturel » du parti à la présidentielle. Ce casse-tête juridique est au moins susceptible de faire du RDPC un albatros qui ne pourrait plus décoller. Ou de faire sortir du bois les prétendants à la succession et de provoquer une guerre ouverte entre eux.

René Emmanuel Sadi, « l’araignée de Maroua »

l n’est plus le secrétaire général du RDPC, poste tenu par Jean Nkuete depuis fin 2011. Pourtant, René Emmanuel Sadi reste le véritable patron du parti au pouvoir au Cameroun, et c’est bien souvent dans sa résidence de Biyem Assi, à Yaoundé, que se pressent les ténors de la majorité.

Le RDPC n’est toutefois qu’une des cordes à l’arc du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Ancien diplomate conseiller du président Ahmadou Ahidjo, ex-directeur adjoint du cabinet civil et secrétaire général adjoint de la présidence sous Paul Biya, René Emmanuel Sadi a étendu ses réseaux dans tous les secteurs, y compris dans l’armée. Proche de son parent le lieutenant-colonel Émile Bamkoui, directeur de la sécurité militaire, il l’est également du ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, dont il a favorisé la promotion.

Membre de l’ethnie baboutée, minoritaire, il a l’avantage de ne pas effrayer les grands groupes du pays, mais peut représenter une alternative pour les Bassas du Centre et du Littoral, dont son épouse, magistrate, est issue. Né à Maroua, dans l’Extrême-Nord, et ayant fait ses études à Ngaoundéré, dans l’Adamaoua, ce bilingue français-anglais de 68 ans, fils d’infirmier, père de préfet et frère d’entraîneur de football, parlant le fulfudé et le bassa, peut espérer rassembler.
Homme écouté

Il est très apprécié de Paul Biya, qui l’a déjà choisi pour effectuer des missions délicates. En 2013, il a ainsi été envoyé à la Fifa pour tenter de résoudre la crise qui touchait la Fédération camerounaise de football (Fecafoot) et qui avait abouti à la suspension du pays de toutes les compétitions internationales.

Proche d’Ibrahim Talba Malla, directeur de la Société nationale de raffinage (Sonara), de Dieudonné Bougne, son beau-frère, PDG de Bocom, ou encore de Paul Célestin Ndembiyembé, membre du comité central du RDPC et rédacteur de ses discours, il dispose de relais dans la presse, notamment au sein du journal Le Détective, de Patrick Tchouwa, ou de l’organe du RDPC, L’Action, de Benjamin Lipawing.

Enfin, dernier atout, René Sadi est un ami du sultan des Bamouns, Ibrahim Mbombo Njoya, qu’il a connu en Égypte et qui est lui-même très écouté par Paul Biya. Redouté et respecté, il entretient une réputation d’homme intègre, jamais atteint par les affaires, et que peu osent contrarier.

Laurent Esso, l’Épervier de Douala

Lorsqu’on le voit jardiner dans sa résidence du quartier populaire de Mvan, à Yaoundé, difficile de l’imaginer en locataire du palais d’Etoudi. Pourtant, Laurent Esso, tout-puissant ministre de la Justice, ne manque pas d’atouts. Il a occupé presque tous les postes politiques d’importance, au secrétariat général de la présidence, au cabinet civil, à la Défense ou aux Relations extérieures, et a gardé une parfaite connaissance des arcanes de la diplomatie et de l’armée. Beaucoup doivent leur poste à ce Deïdo originaire de Douala, véritable patron du RDPC dans sa région du Littoral.

Modeste et discret, l’homme a trois passions : le jardinage, donc, Dieu – fervent catholique, il fréquente la chapelle du quartier Elig-Effa – et Paul Biya. Ce dernier le lui a bien rendu, en lui confiant les rênes de son opération mains propres dénommée Épervier, que beaucoup considèrent aujourd’hui comme le bras armé d’Esso.

Lutte d’influences

À 75 ans, il est l’un des rares à s’opposer à l’influence de René Emmanuel Sadi et s’appuie sur ses propres réseaux, composés d’hommes d’affaires, comme le baron du BTP Paul Éric Djomgoue, et d’hommes politiques, comme l’ancien secrétaire d’État à la Santé Simon Bolivar Njami-Nwandi, l’actuel ministre des Enseignements secondaires, Jean Ernest Ngalle Bibehe, ou le consul de Norvège, Maurice Bertrand Kouoh Eyoum, chez qui il va déguster le week-end du ndolé aux crevettes, son plat préféré.

Enfin, il dispose dans les médias d’importants relais d’influence. La chaîne Vision 4, le journal L’Anecdote et la radio Satellite FM lui sont considérés comme acquis, au point que Jean-Pierre Amougou Belinga, patron du groupe L’Anecdote, qui regroupe ces médias, a parfois été son porte-parole, y compris lorsqu’il a fallu démentir la rumeur de son décès, en novembre 2010.

Edgard Alain Mebe Ngo’o, l’homme à poigne

Lorsque son nom avait été proposé pour la Légion d’honneur afin de saluer son rôle dans la libération en 2008 de dix marins français du Bourbon Sagitta enlevés au large de la péninsule de Bakassi, Edgard Alain Mebe Ngo’o, alors ministre camerounais de la Défense, avait souhaité d’abord demander l’autorisation du président Paul Biya.

Il avait également souhaité que la cérémonie se tienne non pas à l’Élysée mais au ministère de l’Intérieur, place Beauvau. Vaines précautions, puisque ses ennemis ont tout de même retourné l’événement contre lui, l’accusant d’être un dauphin venu se faire adouber à Paris.
Dirigeant autoritaire

L’actuel ministre des Transports, 60 ans, doit son ascension à son tempérament de dirigeant autoritaire. Ainsi, ce fils d’un député fédéral devenu jeune préfet de la capitale tape dans l’œil du chef de l’État en 1997, quand il enjoint à Titus Edzoa, intime de Paul Biya qui venait de démissionner du gouvernement, d’observer un devoir de réserve.

Paul Biya lui en sait gré et l’appelle à ses côtés. Le voilà directeur du cabinet civil puis patron de la police (2004-2009), avant de passer à la Défense (2009-2015). Il y a laissé une empreinte d’homme à poigne. Profitant de la réforme de l’armée, il a mis à la retraite des généraux réputés inamovibles et en a fait révoquer un pour insubordination.
Réseau

Mebe Ngo’o est proche de Basile Atangana Kouna, le ministre de l’Eau et de l’Énergie, et d’Issa Tchiroma, ministre de la Communication. Il compte parmi ses amis Paul Atanga Nji, le ministre délégué à la présidence, secrétaire permanent du Conseil national de sécurité, et Lekene Donfack, ex-ministre de la Ville.

Ses relations sont cordiales avec René Sadi et Louis-Paul Motaze, mais glaciales avec Laurent Esso, Jean Baptiste Bokam, secrétaire d’État à la Défense, et Remy Ze Meka, l’ex-ministre de la Défense. Son tempérament lui vaut beaucoup d’ennemis, notamment parmi ses ex-collègues du gouvernement arrêtés lorsqu’il était à la tête de la police.

Louis-Paul Motaze, le « Monsieur Économie »

Passé par la Camair et la Caisse nationale de prévoyance sociale, Louis-Paul Motaze, technocrate diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature s’entretient avec le président camerounais Paul Biya sur toutes les questions relatives aux orientations économiques du Cameroun, de la construction de barrages au port de Kribi.

Depuis 2015, Louis-Paul Motaze est ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, un poste qu’il avait déjà occupé de 2007 à 2011, avant un interlude à la primature, où il avait été chargé de lancer les grands chantiers aux côtés de Philémon Yang.

Bulu du Dja-et-Lobo, le département d’origine du chef de l’État, où il exerce la coordination régionale du RDPC, il est le neveu de Jeanne-Irène Biya, l’ex-première dame. Il a par ailleurs l’avantage d’être marié à une native de l’Extrême-Nord, ce qui pourrait lui permettre de rassembler largement dans l’optique d’une succession.

À 58 ans, il place ses pions dans les arcanes du pouvoir, et beaucoup le considèrent comme l’« interlocuteur du futur ». Il est notamment proche des Kotokos, à l’instar du général Ahmed Mahamat et de son ami d’enfance, le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi.

Influents prisonniers politiques

Depuis leurs lieux de détention respectifs, les prisonniers politiques de Paul Biya n’ont pas perdu espoir d’influencer le cours des événements.

Marafa Hamidou Yaya, prédécesseur de René Emmanuel Sadi au ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, est toujours membre du bureau politique du RDPC, dont il n’a jamais démissionné. Entretenant tant bien que mal ses réseaux dans les milieux industriels et diplomatiques, il a un temps fait passer des messages par l’intermédiaire de son fidèle lieutenant, Hamadou Sali, député de Bogo.

Récemment, il a également reçu Akere Muna, candidat à l’élection présidentielle de 2018, dans sa cellule du secrétariat d’État à la Défense (SED).

Jean-Marie Atangana Mebara ne bénéficie en revanche pas de la même influence. Mais l’ancien secrétaire général de la présidence garde ses contacts avec ses anciens obligés au palais d’Etoudi, au sein du clergé catholique ou dans le monde du renseignement.

Par Georges Dougueli

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