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Opinion: à chacun son histoire

Toutes les sociétés sont des systèmes ouverts. Elles sont donc régies par le principe d’équifinalité énoncé par von Bertanfy pour lequel « le même état final peut être atteint non seulement à partir de conditions initiales différentes, mais également par des chemins différents. »
Chaque peuple a une logique qu’il tire de son histoire. Quelle que soit la forme de ses institutions, leur fonctionnement réel reste lié au passé.
S’ensuit que la civilisation états-unienne n’a pas tracé une voie royale que les autres nations seraient tenues de suivre pour aboutir à un résultat qui, de surcroît, n’est pas encore le dernier et définitif état de cette civilisation.
Prenons quatre pays aux constitutions apparemment aussi démocratiques les unes que les autres, le Royaume uni, la France, la Russie et l’USA.

L’histoire du Royaume uni résulte d’une combinaison entre une civilisation saxonne et une invasion normande. Ce qui deviendra sa version moderne apparaît avec la Charte de Jean-sans-terre de 1214 et l’obligation imposée au roi de réunir les bourgeois en assemblée. Charles 1er Stuart négligea cette obligation. Il fut renversé et décapité. Ses héritiers furent chassés pour n’avoir pas compris l’évolution économique et le poids de plus en plus grand pris par la bourgeoisie. Les Stuart furent remplacés par la famille de Hanovre qui, au XVIIIème siècle offrait une qualité essentielle : elle ne parlait pas anglais ; elle devait donc passer par le premier ministre pour s’adresser au peuple. Depuis le XIXème siècle, les descendant des Hanovre parlent parfaitement anglais et ont peut-être négligé d’apprendre l’allemand ; l’habitude est prise, incorporée dans la coutume d’Angleterre : « la reine règne mais ne gouverne pas ».
La France fut la patrie des jacqueries du Moyen-âge au XVIIIème siècle inclus, et des « frondes » au XVIIème siècle contre Mazarin et la reine Anne d’Autriche. Quatre révolutions la marquèrent de la fin du XVIIIe siècle à celle du XIXe. Elle reste un pays où la grève assortie de manifestations durement réprimées par la police est le mode de relation normal entre patronat et salariat ; elle est divisé en factions presque innombrables que de Gaulle décida de priver de tout droit de se manifester. Il institua une constitution que les électeurs ne lurent probablement pas avant de l’approuver par referendum : ils firent confiance « au grand Charles ». A nouveau, un monarque s’était levé qui leur dictait la bonne solution. Leur admiration pour le roi Soleil, Louis XIV, leur adoration pour Napoléon 1er, l’Ogre (son surnom vers 1810, lorsque les pertes militaires angoissent et endeuillent les familles), firent le reste, au point que le comte de Paris crut arrivée l’heure de sa montée sur le trône.

Dans sa thèse, Henri Okou Legré a montré que le régime qui s’était emparé de la Russie en 1917 et avait étendu ses frontières, formant l’Union soviétique, n’avait jamais été « communiste » en ce qu’il n’avait jamais pris la relève d’un grand capital alors à peu près inexistant en Russie, mais avait perpétué sous d’autres formes le tsarisme séculaire dont la « déportation en Sibérie » dont les Français apprirent le nom dans les années 1950, « goulag ». Aujourd’hui la presse occidentale reproche à Vladimir Vladimirovitch Putin d’être un tsar ; c’est dire qu’il perpétue la tradition des régimes qui ont dirigé la Russie depuis le Xe siècle, ce que la majorité des Russes considère comme normal, ce qui n’exclut pas une contestation marginale. Il est contradictoire de contester le comportement de Putin, et d’aduler celui de Catherine II ; celle-ci, de naissance allemande, avait fait assassiner son mari pour s’emparer du pouvoir, puis son fils pour conserver le trône ; ce qui ne l’empêcha pas d’entretenir des relations épistolaires avec Voltaire et d’acheter la bibliothèque de Diderot, financièrement en difficulté ; c’est sous son impulsion que les frontières de la Sainte Russie furent repoussées jusqu’aux rives de la mer Noire et que la Crimée devint russe. L’actuelle répression de la contestation est conforme à ce que firent les tsars.

L’égalitarisme entre les hommes, des plus puissants aux plus humbles de Russie, se manifeste lorsqu’un petit s’adressant au plus grand, l’appelle non « Monsieur le Président » comme le ferait en Français courbé devant son monarque, mais « Vladimir Vladimirovitch » ou, précédemment, « Boris Nicolaïevitch », ou plus ancien, « Nikita Sergueïevitch » . Certes, il envoie sa lettre à « Monsieur le Président de la Fédération de Russie ».

Les peuples de Russie sont marqués de mysticisme ; périodiquement y émerge un starets, guide spirituel, sage, tels Rasputin (assassiné en 1916) et Gurdjeff (1866-1949)(1) ; ce peuple est particulièrement fidèles à la religion orthodoxe depuis que le prince Vladimir 1er de Kiev s’est convertit en 988(2). Pour les Russes et pour Putin, l’abandon da sa religion par l’Europe occidentale, les droits attribués aux homosexuels, sont les marques d’une décadence.
Le modèle dit « communiste »a, le premier, désigné dès 1917, des femmes pour être « commissaires du Peuple » (ministres), ouvert l’enseignement aux filles, leur donner le droit de vote dès 1918. En États-Unis, il faut attendre le XIXe amendement, 26 août 1920 bien que divers États aient accordé ce droit antérieurement, parfois depuis le début du XIXe siècle. La Grande Bretagne accorde en 1918, le droit de vote aux femmes de plus de trente ans, puis en 1928, ce doit est étendu aux femmes dès 21 ans, comme pour les hommes. Toutes ces décisions sont bien antérieures à celle prise en France le 21 avril 1944.

Le lien entre Putin et le clergé orthodoxe est une composante essentielle de la société russe contemporaine.

L’histoire de l’USA commence en 1766, à Boston, lorsqu’un groupe de colons anglais décide de refuser le paiement des taxes dues au roi d’Angleterre, leur maître. S’ensuit la Déclaration de Philadelphie (Déclaration d’Indépendance) de 1776 qui condamne « une forme de gouvernement devient destructive de ce but », garantir « certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ». On ne lève pas une révolution pour une simple question douanière ; il faut trouver des motifs moralement plus acceptables, plus propres à soulever la foule ; les déclarants précisent : « Mais lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. »

De cette époque est restée l’inquiétude que l’État dépasse les limites qui lui ont été assignées. S’en est suivi le second amendement fondé sur les armes dont disposèrent les insurgés pour rompre les liens avec le roi d’Angleterre aux pouvoirs despotiques : les tyrans éliminaient la résistance en retirant les armes au peuple et en rendant illégal le fait d’en conserver afin de supprimer les opposants politiques(3). Déjà, en 1689, le Bill of Rights britannique disposait : « Les sujets qui sont Protestants peuvent avoir les armes nécessaires à leurs conditions, et comme préconisé par la loi. »(4)
Leurs lointains descendant sont à la fois David Friedman qui se déclare anarcho-capitaliste, le Tea Party, les libertariens et la National Rifle Association.

Le précédent président de l’Union, George W. Bush, qui admettait la concurrence en États et respectait la limitation des rôles de l’État à la défense extérieure des intérêts de l’Union, avait déclaré que son administration « ne participerait à aucune tentative d’harmoniser les systèmes fiscaux au niveau mondial ». Ces signaux en provenance de Washington enhardirent en retour les paradis fiscaux menacés de sanctions par l’administration Clinton(5) ; certains sont frappés de sanctions par l’administration Obama.

Par contre, le président Obama reste fidèle au second amendement(6). Au cours d’un débat contre Willard Mitt Romney, Obama a déclaré : « Notre nation croit au deuxième amendement, je crois au deuxième amendement. Nous avons une longue tradition de chasse, de sportifs, et de personnes qui veulent pouvoir se protéger.» Ces motifs « modernes » ne figurent pas dans le second amendement et le déprécient, ouvrant la voie aux ennemis de la détention d’armes par les personnes privées. Ce texte est politique et souligne le droit pour les états-uniens de s’insurger par les armes si le gouvernement abuse de son pouvoir. Un droit semblable exista en France jusqu’en 1939 sur un fondement malheureusement beaucoup plus mince ; il fut progressivement détruit d’avril 1939 à la présidence de François Mitterrand (Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur) en raison du souvenir fantasmé laissé par la « Cagoule » (Comité secret d’Action révolutionnaire) à laquelle François Mitterrand avait participé, qui fut dissoute par décision de Justice en avril 1939.)

Dr C. GARRIER
5 août 2015

(1) Comme Stalin, il fréquenta le séminaire de Tiflis.
(2) En 988, Kiev est donc capitale de ce qui deviendra la Sainte Russie
(3) District of Columbia, et al., Petitioners v. Dick Anthony Heller. 554 U.S. (2008).
« L’histoire a montré que la manière des tyrans pour éliminer une milice composée de tous les hommes valides, n’était pas en interdisant les milices mais simplement en emportant les armes du peuple, n’autorisant qu’une milice de son choix ou une armée permanente pour éliminer les opposants politiques » (p. 25). « Par ailleurs, en 1840 un très court écrit historique nota : « L’une des méthodes ordinaires par lesquelles les tyrans accomplissent leurs projets sans résistance, est de désarmer le peuple, et de changer en délit la possession d’armes, et de remplacer une armée régulière et de la remplacer par une milice » » (p. 36).
(4) H. Richard. Uviller et William G. Merkel, The Militia and the Right to Arms, Or, How the Second Amendment Fell Silent, Durham, NC, Duke University Press,‎ 2002, poche, p. 23, 194.
(5) « Money laundering : Fighting the dirt », The Economist, 21 juin 2001.
(6) Second amendement (1784): « Une milice bien organisée, étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

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