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jeudi, mai 2, 2024
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Liberté et sécurité: décryptage du Dr. Claude Garrier

« Tout régime politique se définit par la manière dont il combine les diversités sociales avec une politique. Et comme tel, la question du bien et du mal reste toujours ouverte. Tous les régimes politiques sont jugés au moins sur la question de la liberté, directement rattachée à celle du bien . »

Raymond Aron donne quatre définitions de la liberté : « Première définition de la liberté : être libre politiquement, c’est participer à la formation ou à l’exercice du pouvoir. Être libre, c’est être un citoyen, c’est-à-dire avoir le droit de vote, le droit de candidature et, par conséquent, le droit d’être un des gouvernants. En ce sens, on peut dire que la liberté, c’est le droit de participation à la compétition pour l’exercice du pouvoir.
Le deuxième sens du mot liberté est tout autre : être libre, ce serait être protégé contre l’arbitraire des chefs. Ce serait, en employant les termes de Montesquieu, l’idée de sécurité. Ce serait être sûr qu’on ne peut pas être arrêté sans que certaines formalités soient accomplies, être sûr de jouir des droits reconnus à tous les citoyens par les lois. La liberté-sécurité ou la liberté-respect des droits personnels ne se confond nullement, on le voit immédiatement, avec la liberté de participation à la compétition pour l’exercice du pouvoir.
Un troisième sens du mot liberté, c’est ce que l’on pourrait appeler la liberté-puissance ou la liberté-épanouissement de la personne, c’est-à-dire la possibilité de se réaliser dans la vie sociale. Songeons par exemple au cas d’une minorité à l’intérieur d’une société, minorité religieuse ou minorité raciale qui, même si on lui reconnaît le droit de participation à la compétition électorale, même si on lui reconnaît la sécurité, se trouve du fait sinon des lois, du moins des mœurs, empêchée d’obtenir la même situation que les autres membres de la société. Cette impossibilité de se réaliser dans la société est quelque chose qui n’est pas définissable en toute rigueur, parce qu’il y a toujours des degrés.
C’est une des idées, au moins, qui paraît liée à la liberté.
Enfin, il y a un quatrième sens de la liberté qui est la liberté-autonomie, c’est-à-dire la capacité, pour l’individu, de ne pas être absorbé complètement dans les groupes intermédiaires ou dans le groupe national tout entier, donc la capacité de choisir soi-même ses idées, sa manière de vivre, son parti politique, sa religion, un certain degré de liberté-choix ou de liberté-autonomie par rapport aux obligations tant de la société que de l’État. »
Le rapprochement entre les concepts de liberté et de sécurité, la probabilité que le pouvoir politique prenne prétexte de la sécurité pour entraver la liberté, imposent de déterminer quel est cet ennemi qui est susceptible de nous agresser.
Ce n’est qu’après l’avoir défini, en avoir listé les moyens de combat, que nous pourrons apprécier l’étendue du danger, les moyens à mettre en œuvre pour combattre et garantir la sécurité intérieure, et donc très éventuellement, admettre des atteintes temporaires à la liberté.

L’ennemi

Il est indispensable que l’ennemi soit défini précisément, que la guerre lui soit déclarée et que les procédures constitutionnelles soient respectées. S’agissant de la Côte d’Ivoire, elles sont énoncées dans les articles 47 et 48 puis de 73 à 75 de la constitution.

Article 47
Le Président de la République est le Chef suprême des Armées. Il préside le Conseil supérieur de la Défense.

Article 48
Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du Président de l’Assemblée nationale et de celui du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par message.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit.

Article 73
La déclaration de guerre est autorisée par l’Assemblée nationale.

Article 74
L’état de siège est décrété en Conseil des ministres. L’Assemblée nationale se réunit alors de plein droit si elle n’est en session.
La prorogation de l’état de siège au-delà de quinze jours ne peut être autorisée que par l’Assemblée nationale, à la majorité simple des députés.

Article 75
Le Président de la République peut, pour l’exécution de son programme, demander à l’Assemblée nationale l’autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis éventuel du Conseil constitutionnel. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais, deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant l’Assemblée nationale avant la date fixée par la loi d’habilitation.
À l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent Article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans leurs dispositions qui sont du domaine législatif.

Aucun ennemi n’ayant été dénoncé, en quoi la sécurité est-elle particulièrement en danger ? Quels moyens prétend-on mettre en œuvre contre une chimère ?
Pour avancer, nous allons supposer que Daesh et ses admirateurs sont cet ennemi. Daesh a publié des cartes qui montrent que le « califat » dont il rêve s’étend de la rive nord du golfe de Guinée à la Méditerranée et de l’Atlantique jusqu’aux rives de l’Indus.

Cette carte n’est pas arbitraire, du moins au sud de la Méditerranée. « En Afrique subsaharienne, au moins 40 % de la population pratiquent la religion du prophète. […] La plupart des États de la bande sahélienne sont majoritairement musulmans. Au Sénégal, au Mali, au Niger, au moins 90 % de la population pratiquent la religion du prophète. […] Beaucoup d’autres États du continent se partagent presque à égalité entre Musulmans et Chrétiens ou comptent une forte majorité de fidèles à Mahomet : Nigeria, Tchad, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Bénin, Cameroun. […] Plus de mille ans après sa pénétration sur le continent noir, l’islam est de nos jours la religion qui y progresse le plus avec, il est vrai, des méthodes moins violents qu’à l’époque du djihad » et que celle qu’appliquent Daesh et ses admirateurs. C’est que l’animisme fait bon ménage avec le monothéisme musulman.
Il n’en a pas toujours été ainsi. À propos des habitants de la zone de savane, en partie Malinkés, on cite l’opinion donnée par le commandant supérieur du Haut-Sénégal Borgnis-Desbordes qui déclare que « le Malinké est doux, malléable, communicatif, qu’il accepte notre autorité sans arrière-pensée ». Il ajoute : « Vous savez enfin que les Malinkés et les Bambaras ne sont pas musulmans. Ne saurions-nous rien faire de ces populations que la religion du Prophète n’a pas figées dans une immobilité sans remède ? » . Quoique prononcés à « Bammako », ces opinions intéressent la Côte d’Ivoire dont le Nord est habité par une population en partie malinkée. En effet, à la fin du XIXème siècle, les Malinké du Sud, à la suite de deux siècles de long métissage avec les populations locales animistes, ont oublié les préceptes de l’islam. C’est ainsi que Laafiya, père de Samori Touré, ne fait plus les prières quotidiennes. Pour unifier son empire, Samori impose l’islam, ce qui soulève contre lui la « guerre du refus » en 1889-1889, menée par des groupes animistes.
Vers 2000, la religion musulmane est celle d’une proportion importante d’habitants de la Côte d’Ivoire (39 % environ). Elle est principalement celle d’immigrés, Burkinabés, Maliens, Sénégalais, ce qui réduit sensiblement la proportion d’Ivoiriens de cette confession. Cet islam est pratiqué de façon un peu superficielle : on ne voit pas dans les bureaux le tapis de prière utilisé plusieurs fois par jour, après que, pendant quelques instants, la porte ait été fermée à clé. Les tombes sont carrelées autant que celles des Chrétiens et les morts sont enterrés dans de superbes cercueils.
Pendant le règne de Laurent Gbagbo, certains imams ont attendu l’heure où, dans leurs mosquées, ils pourraient lancer la campagne électorale d’ADO. Après l’élection de 2000, ce dernier s’était drapé dans le drapeau musulman en prétendant être rejeté en raison de sa religion . Son régime, manifestement appuyé sur les populations septentrionales du pays, ne pourrait-il pas favoriser involontairement l’implantation de l’islamisme ?
Pour l’immédiat, Daesh s’est taillé un territoire qui couvrirait la partie la plus désertique de la Syrie, une petite partie du nord de l’Irak où il est gravement contré par les Kurdes ; il a un pied en Libye et s’est trouvé un allié dans Boko-Haram au Nigeria et un autre (en graves difficultés) au nord semi-désertique de Mali.
Comme il a lancé une « guerre de religions », il est susceptible de recruter adeptes et admirateurs partout dans le monde.
Dans le cas où la guerre serait régulièrement déclarée, ces sympathisants européens ou Nord-américains perdraient la possibilité de se couvrir du dogme de la « liberté religieuse » pour devenir des traîtres, voire des espions relevant de dispositions particulières du code pénal :
– Trahison, articles 141 à 143 ;
– Espionnage, article 144.

Trahison
Art. 141 : Est coupable de trahison et puni de la peine de mort tout Ivoirien, tout militaire au service de la Côte d’Ivoire qui :
1° porte les armes contre la Côte d’Ivoire ;
2° entretient des intelligences avec une puissance étrangère en vue de l’engager à entreprendre des hostilités contre la Côte d’Ivoire, ou lui en fournit les moyens soit en facilitant la pénétration des forces étrangères sur le territoire ivoirien, soit en ébranlant la fidélité des Forces armées, soit de toute autre manière ;
3° livre à une puissance étrangère ou à ses agents, soit des troupes ivoiriennes, soit des territoire, villes, ouvrages, postes, magasins, matériels, munitions, navires, bâtiments ou appareils de navigation aérienne ou de locomotion ferroviaire, appartenant à la Côte d’Ivoire ou affectés à sa défense ;
4° en vue de nuire à la défense nationale, détruite ou détériore un navire, un appareil de navigation aérienne ou de locomotion ferroviaire, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation quelconque, ou qui dans le même but, y apporte soit avant soit après leur achèvement des malfaçons de nature à les endommager, les empêcher de fonctionner normalement ou à provoquer un accident. »
Art. 142 : « Est coupable de trahison et puni de la peine de mort, tout ivoirien, tout militaire au service de la Côte d’Ivoire qui en temps de guerre :
1° provoque des militaires à passer au service d’une puissance étrangère ou leur en facilité les moyens ;
2° fait des enrôlements pour une puissance étrangère ;
3° entretient des intelligences avec une puissance étrangère ou avec un agent en vue de favoriser les entreprises de cette puissance étrangère contre la Côte d’Ivoire ;
4° entrave la circulation des moyens ou matériels militaires ;
5° participe sciemment à une entreprise de démoralisation des Forces armées ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale. »
Art. 143 : « Est coupable de trahison et puni de la peine de mort, tout ivoirien qui, en vue de favoriser une puissance étrangère, se procure, livre, détruit ou laisse détruire sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, un renseignement, objet, document ou procédé qui doit être tenu secret dans l’intérêt de la défense nationale. »
Espionnage
Art. 144 : « Est coupable d’espionnage et puni de la peine de mort, tout étranger ou apatride qui commet l’un des actes prévus par les articles 141 (2°, 3° et 4°), 142 et 143.
La provocation à commettre ou l’offre de commettre un des crimes visés à la présente section est punie comme le crime même. »
En supposant que ces textes anciens ne suffisent plus pour réprimer les actes de guerre moderne, y compris de « guerre psychologique », il est loisible de proposer à l’Assemblée nationale, qu’elle adopte les amendements indispensables.
Le fait que Daesh ne soit pas membre de l’ONU, qu’il ne soit pas reconnu sur un territoire quelconque, n’interdit pas de lui déclarer la guerre : la Suisse n’est pas membre de l’ONU alors qu’elle existe en tant qu’État depuis le XIIIe siècle (établissement de la Confédération, 1er août 1291). Le peuple juif a existé sans territoire pendant 1878 ans ; il n’a obtenu que lui soit reconnu ce territoire qu’en 1948, alors que le Temple de Jérusalem avait été détruit le 8 septembre 70, ce qui avait entrainé la fuite et la déportation de la plus grande part du peuple juif qui n’était plus qu’une immense diaspora.
La guerre moderne implique à la fois les forces armées en intervention frontalière et les services de police et gendarmerie en prévention et répression intérieures.
La population n’a pas à y être impliquée, sauf pour signaler les risques d’espionnage, trahison dont une forme pernicieuse qui doit être mentionnée dans le code pénal de façon plus explicite : la propagande en vue du recrutement de combattants au service de l’ennemi, de l’incitation à combattre de toutes les manières (attentats, assassinats, agression-suicide, etc.). Les propagandistes selon qu’ils sont ou non Ivoiriens doivent alors être traités comme espions ou traîtres.
La France donne un très mauvais exemple : les guerres qu’elle mena en Indochine puis en Algérie, ne furent jamais déclarées (peut-être au prétexte que la première était une colonie et que l’autre était composée de trois départements nationaux). S’ensuivit que les propagandes au profit des ennemis, le Viet-Minh puis le FLN furent très actives, que les actions de démoralisations de l’armée se succédèrent, de même que des Français jouèrent les « porteurs de valises » au profit des ennemis sans pouvoir être pénalement poursuivis (ce qui obligea à en assassiner certains). La France reste fidèle à cet absurde système peut-être pour préserver le « domaine réservé » du monarque.
Le retour à une conception juridiquement claire et saine est indispensable. Il est nécessaire que le Côte d’Ivoire s’interdise de s’aligner sur Paris.

La doctrine de l’ennemi

Daesh et avant lui Al Qaeda et ses « franchisés » brandissent certes le Coran, mais se présentent surtout en révolutionnaires. Sur ce thème, Raymond Aron est clair : « Pas plus que le concept de gauche, le concept de révolution ne tombera en désuétude. Il exprime, lui aussi, une nostalgie, qui durera aussi longtemps que les sociétés seront imparfaites et les hommes avides de les réformer.
Non que le désir d’amélioration sociale aboutisse toujours ou logiquement à la volonté de révolution. Il faut aussi une certaine mesure d’optimisme et d’impatience. On connaît des révolutionnaires par haine du monde, par désir de la catastrophe ; plus souvent, les révolutionnaires pèchent par optimisme. Tous les régimes connus sont condamnables si on les rapporte à un idéal abstrait d’égalité ou de liberté. Seule la Révolution, parce qu’elle est une aventure, ou un régime révolutionnaire, parce qu’il consent à l’usage permanent de la violence, semble capable de rejoindre le but sublime. Le mythe de la révolution sert de refuge à la pensée utopique, il devient l’intercesseur mystérieux, imprévisible, entre le réel et l’idéal.
La violence elle-même attire, fascine plutôt qu’elle ne repousse . »
Le même auteur ajoute : « Phénomène banal, dira-t-on : le fanatique – et en notre siècle, c’est la politique qui suscite le fanatisme – brûle de tuer son adversaire et parfois, plus rarement, de donner sa vie pour le triomphe de la Cause. Qu’importe le prix du triomphe, si le but est sublime ? »
Daesh, Al-Qaeda et autres sont les héritiers d’une société qui a échoué dès la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire dans les temps où sont parcourus les premiers de la société industrielle. En 1819, les Grecs colonisés par les Turcs depuis plusieurs siècles, ayant perçu leur affaiblissement, ont brandi le drapeau de l’indépendance au nom du christianisme orthodoxe contre l’Empire ottoman musulman. En 1829, la situation de cet empire se dégrade, ce qui permet à une flotte franco-britannique de couler la flotte ottomane à Navarin, permettant la prise par la France d’une colonie turque lointaine (par rapport à Istanbul), l’Algérie, en 1830.
Malgré la victoire turque aux Dardanelles en 1915, puis celle contre les Grecs en (1919-1922), l’empire ne s’est pas redressé. Aujourd’hui, ce qui en reste est dans la tranche basse des pays industrialisés (PIB par PPA, 2013, FMI, Turquie, 17ème, 1 443,5 milliards US$).
La « scientificisation » et la régionalisation des savoirs, manifestent la perte de l’idée de l’universalité de la vérité . « Mais les sciences physiques en cherchant l’élément simple et la loi simple de l’univers, ont découvert l’inouïe complexité de tissus microphysique et commencent à entrevoir la fabuleuse complexité du cosmos . »
Incapables de trouver des voies d’un redressement technologique, de placer l’innovation au premier rang de leurs préoccupations, les dirigeants de Daesh tentent de trouver une nouvelle gloire en revenant à un passé mythique et des plus lointains, qu’ils déforment à la lumière de leur passion . L’islamisme apparaît en Afghanistan comme en Irak et en Syrie, comme le nationalisme de peuples qui n’ont pas participé à l’émancipation nationale et ont été écarté des rouages d’un État ; pour eux, les Chrétiens de toute obédience sont des agents de l’Occident honni voire ceux d’un pouvoir oppressif . Ceci est particulièrement vrai des officiers de l’armée et de la police d’Irak, sunnites et balayés par le pouvoir chiite, et entrés au service de Daesh.
Le lyrisme pseudo-religieux de Daesh est caractéristique : « Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cibles des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française, le stade de France lors du match des deux pays croisés la France et l’Allemagne auquel assistait l’imbécile de France François Hollande, le Bataclan ou étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité ainsi que d’autres cibles dans les dixième, le onzième et le dix-huitième arrondissement et ce, simultanément. Paris a tremblé sous leurs pieds et ses rues sont devenues étroites pour eux*.»
Dépassant les limites du territoire déjà conquis et visant une beaucoup plus vaste expansion et une multiplication des fronts, Daesh a repris en l’aggravant l’embrigadement d’Européens pratiqué dans les années 1970 par les Palestiniens, en l’étendant à des Nord-Américains, Russes, etc. « En ouvrant un nouveau front dans le djihad mondial qui constitue l’assise idéologique du pouvoir d’Al-Qaida, la guerre d’Irak a fourni au réseau la base qui lui manquait pour remplacer celle d’Afghanistan. Tout porte à croire que la même force qui a attiré tant de djihadistes dans ce pays dans les années 1990 s’exerce aujourd’hui en Irak avec plus de discrétion et d’amplitude. Un jour, ces jeunes recrues rentreront dans leur pays, en Europe et au Moyen-Orient, non pas avec le sommaire entrainement à la guérilla qui était dispensé en Afghanistan, mais avec une connaissance profonde et testée sur le terrain des attentats urbains et une bien meilleure compréhension que leurs prédécesseurs de la gestion des réseaux clandestins, des perspectives ouverte par la privatisation des moyens de destruction de masse et des techniques d’une guerre à la fois plus meurtrière, plus clandestine et plus planétaire . » Daesh reprend l’implantation en Europe (Bande à Bader, etc.), en États-Unis (Black Panther) qui servit les Palestiniens dans les années 1970, et aussi leur « dimension morale en dénonçant, devant l’opinion publique et surtout la jeunesse naïve parque généreuse et exaltée, l’«immoralité» présumée des tenants de l’ordre établi qu’il s’appelle libéralisme ou capitalisme » ou christianisme, ou mêle islam d’une obédience différente de celles qu’il revendique.
Ils attirent à la fois ceux que la violence fascine (il y a 80 ans, d’autres s’étaient lancés dans la Guerre d’Espagne ; un peu plus tard, d’autres s’engagèrent dans la LVF contre le « communisme athée, etc.), et ceux qui désespèrent de se battre sur le terrain de la compétence technique et de l’innovation. Il y a des gens qui répugnent entre 18 et 25 ans, à devenir des « petits bourgeois » tranquilles.
« La fascination est un phénomène social […]. La société a toujours tendance à accepter d’abord quelqu’un pour ce qu’il prétend être, si bien qu’un fou qui pose au génie a toujours quelque chance d’être cru. Le manque de discernement de la société moderne renforce cette tendance, si bien que quelqu’un qui présente ses opinions sur un ton de conviction inébranlable perdra difficilement son prestige, en dépit de la fréquence d’erreurs patentes. […] Pareil fanatisme arbitraire fascine la société parce que, pendant le temps qu’il s’exprime, celle-ci est libérée de la diversité d’opinions qu’elle engendre continuellement . »

Les moyens de l’ennemi

Moyens de propagande

La propagande de l’ennemi est très active, notamment sur internet. À cet effet, il multiplie films et clips dont la production requiert au plus l’achat de deux appareils photos réflex NIKON D3200 et de quelques cartes mémoires de 32 Go chacune pour enregistrer interviews, clips et films divers. Le budget nécessaire est inférieur à 1.000.000 f cfa auxquels s’ajoute l’achat d’un ordinateur portable, soit encore 400.000 f cfa. Il est obtenu sans mal par une collecte auprès des sympathisants. Au plus, il est fourni très discrètement par une ambassade amie.

Moyens de combat

Les armements ne sont pas achetés au supermarché mais importés clandestinement. Les frontières de la Côte d’Ivoire, pour le moins celles du nord et du nord-est sont quasi-inexistantes. La frontière nord-ouest (avec la Guinée-Conakry) est contestée, ce qui exclut d’y maintenir des forces permanentes en pleine forêt.
Les munitions suivent les mêmes chemins encore plus discrètement que des kalachnikov.

Explosifs

Les explosifs industriels (militaires et du BTP) peuvent être volés dans les entrepôts de l’Armée et des entreprises de TP.
Les « explosifs artisanaux » sont fabriqués notamment en mélangeant engrais azotés et gas-oil, selon des recettes transmises de bouche à oreille ou trouvées dans des romans. Sur ce point, lire Gérard de Villiers, Le réseau Istanbul.
La déclaration de guerre de la France à Daesh est d’autant plus légitime, que l’État sans sol a revendiqué les agressions dont Paris et sa banlieue ont été victime le vendredi 13 novembre .
En entreprenant la procédure constitutionnelle de déclaration de guerre, le France pourrait étendre cette déclaration de Daesh aux nations qui le soutiennent, le financement, fournissent armes et explosifs aux assassins agissant au nom du nouvel État sans terre. Ces nations fondent leur appui sur le discours « sunnite » ; ils sont connus pour pousser une version particulièrement rétrograde de ce culte, le wahhabisme qui a « produit les racines théologiques d’Al-Qaida et de Daech ». L’expulsion de leurs ambassades fermerait des portails largement ouverts au profit des assassins politiques. Il y a environ quarante ans, une ambassade moyen-orientale à Paris avait joué ce rôle jusqu’à ce que des policiers « oubliant » les règles protocolaires y entrent et en ressortent les bras chargés d’armes du même modèle que celles qu’utilisaient les Palestiniens et leurs amis de « la bande à Bader », de la « Rote Armee Fraktion » et des « Brigada rosso ».
Le 14 novembre 2015, Libération publie une déclaration du premier ministre selon laquelle « la France est «en guerre» et poursuivra ses frappes en Syrie «avec la volonté (…) d’anéantir» l’EI » . S’il eut un peu de culture, ce premier ministre eut rappelé le mot de Churchill en 1940 : « England expects everyone to do his duty », qu’il eut adapté en déclarant « la France attend de chacun qu’il fasse son devoir, militaire, policier, gendarme et- simple civil ».
« Le samedi 15 novembre au matin, François Hollande préside un Conseil de défense. «La France est solide, la France est active, la France est vaillante et elle triomphera de la barbarie. Ce que nous défendons, c’est notre patrie et bien plus que cela : ce sont les valeurs d’humanité», assure-t-il à la sortie, répétant quatre fois que les attentats simultanés de Saint-Denis et Paris sont un «acte de guerre». » La procédure juridique doit suivre immédiatement le discours.
Aucun attentat n’a été à déplorer contre le chef de l’État de Côte d’Ivoire, « vitrine de la France », malgré la très probable présence de Wahhabites dans le pays et la négligence des services qui assurent la sécurité présidentielle et laissent en place les voitures en stationnement même lorsque son passage a été annoncé plusieurs jours à l’avance.

Pénétration

En l’absence de déclaration de guerre et donc tant que les dispositions pénales restent en sommeil, la pénétration des services publics, notamment de police, de gendarmerie (la France en a donné un triste exemple avec la trahison par un adjudant de gendarmerie féminin), mais aussi de la présidence, des ambassades amies de la Côte d’Ivoire, est indispensable (recherche du renseignement) et aisée. Un exemple en est donné par un autre roman de Gérard de Villiers, au détriment de l’ambassade US à Athènes qui favorise l’assassinat du responsable local de la CIA, Le parrain du 17 novembre.

Inutile parce qu’inefficace

L’Union européenne à la remorque de l’États-Unis, a imposé une législation qui prétend faire obstacle au terrorisme en l’empêchant de faire entrer et d’utiliser en Europe des masses importantes de capitaux.
Cette réglementation aurait une utilité si les terroristes avaient de lourds besoins financiers et si nul État ne les soutenait.
Les attentats commis à Paris en janvier 2015, puis ceux commis en masse le vendredi 13 novembre 2015 en démontrent l’inefficacité et l’inutilité. Cela ne semble pas tarir la passion législative du Parlement européen qui, le 19 mai 2015, a discuté des nouvelles règles visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En résulte une nouvelle directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et un règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds (2015/847/UE).
Il faut cesser de brandir des chimères. L’ennemi n’a nul besoin de valises pleines de billets de banque. Le « blanchiment » n’est donc pas son problème.
Ses besoins financiers sont dérisoires et satisfaits par des quêtes auprès des sympathisants. En outre, deux ambassades au moins appuient en sous-main les revendications des terroristes les plus virulents.

Tout aussi inutile parce qu’inefficace

Le 2 octobre 2015, dans un article publié par L’OBS en ligne, dont le titre était « Les services de renseignement redoutent un 11-septembre français », des responsables de l’antiterrorisme déclaraient « Pour l’instant, nous avons eu des attentats de cour de récréation ».
Le 13 novembre 2015, après l’attaque terroriste, le locataire de l’Élysée déclare avoir fait fermer les frontières. Il semble ignorer que des nationaux commettent ces actes (affaire Merah), que des étrangers résidents en France en commettent aussi (Amedy Coulibaly, les frères Kouachi) ; le seul assassin identifié le 14 septembre 2015 grâce à ses empreintes digitales, est un Français . La fermeture des frontières est donc inutile parce qu’inefficace.

Les ennemis de l’ennemi

Historiquement le premier ennemi d’Al-Qaeda, de ses épigones et de Daesh fut l’États-Unis. En Afghanistan, la guerre menée par les États-Uniens succéda à l’échec d’une négociation technico-politique entre la société pétrolière UNOCAL et les Talibans, maîtres du pays après le départ des Soviétiques. En Irak, l’invasion de 1991 par la coalition conduite par l’États-Unis et surtout celle de 2003 qui aboutit à l’arrestation de Saddam Hussein puis sa pendaison, et l’élimination de toutes les autorités remplacées autoritairement par les Chiites mis en place par l’administrateur civil américain Paul Bremer, affichèrent l’impérialisme américain et focalisèrent sur lui tous les mécontentements .
En 2012, la France et le Royaume uni s’étaient affichés avec un soutien aérien américain dans la guerre contre Kadhafi qui prit fin avec l’assassinat de ce dernier.
Les bombardements américains sur l’Etat islamique en Libye publiés le 15 novembre 2015 placent l’USA une fois de plus face à Daesh. Selon le Pentagone, l’Irakien Abou Nabil a été tué dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre. Abou Nabil – alias Wissam Najm Abd Zayd Al-Zubaydi, selon le porte-parole – a longtemps été « un militant d’Al-Qaida » et était « le plus haut responsable de l’EI en Libye ». Il pourrait notamment être « le porte-parole s’exprimant dans une vidéo de février 2015 montrant l’exécution de chrétiens coptes ».
« Les Romains [de l’Antiquité] et les Chinois [jusqu’au milieu du XIXe siècle] concevaient leur empire comme embrassant tous les peuples du monde ayant à leurs yeux de l’importance ; et l’Empire romain d’Orient, tout comme les précédents et d’autres encore, revendiquait une souveraineté de principe sur le monde entier. Cette croyance subjective en l’universalité a toujours été une illusion ; mais ce n’est pas une raison pour que nous négligions une réalité subjective vécue par les peuples attachés à cette croyance, ni la puissance des effets considérables que même une illusion peut provoquer . » Depuis 1945 pour le moins, l’États-Unis entretient la même illusion. Au contraire de ses prédécesseurs (le dernier fut l’Union soviétique qui combina colonisation – les pays du « glacis » – et présence politique : Guinée-Conakry, Cuba, Nicaragua, etc.), l’impérialisme américain s’impose sans colonisation, ce qui n’exclut pas la colère de certains peuples.
Après que Moscou ait annoncé son intervention en Syrie, Paris a réorienté ses forces contre les ennemis de Bachar el Assad. Les attentats commis à Paris et dans sa banlieue le 13 novembre seraient les contre-attaques de Daesh, alors qu’au même moment, l’EI n’a lancé aucune action contre Moscou depuis plus longtemps engagé en Syrie. Les services de sécurité russes seraient-ils plus efficaces que leurs homologues français ?

Liberté chérie

Rien de ce que nous avons signalé ne peut être contré par des atteintes à la liberté des « citoyens honnêtes » ; très peu de chose peut l’être sans mettre en route la procédure constitutionnelle de guerre.
Notamment, la pose de caméras de surveillance est un leurre. Je rappelle que Paris en est truffée, ce qui n’a pas empêché l’assassinat de douze des auteurs de Charlie Hebdo puis d’un policier, le 7 janvier 2015 et d’un autre policier le lendemain, outre de nombreux autres assassinats islamistes. À l’exception des policiers et militaires, nul ne se déplace en ville, une kalachnikov en bandoulière.
Ces caméras permettent de surveiller les déplacements des honnêtes gens, dont les Renseignements généraux sont friands : qui rencontre qui ? Qui découche ? Qui raconte des bobards à son employeur et son épouse ? Tout cela donne des moyens de pression sur des personnalités « encombrantes ».
Il en est de même de l’écoute des téléphones de toute nature. Je rappelle qu’en 2004, les soldats français qui prirent position à l’Hôtel Ivoire avaient interdiction de dépasser un certain niveau au-dessus duquel était un service d’écoute des téléphones mobiles exploité au profit du pouvoir en place par des Israéliens. Onze ans étant passés, les matériels ont atteint un plus large marché.
En Côte d’Ivoire, le GPS n’étant pas encore employé en masse, sa surveillance n’est pas utile ; il en est tout différemment en France. Se déplacer dans certaines directions implose d’enlever la batterie des téléphones mobiles et de débrancher le GPS de la voiture. Bien évidemment, plus question d’utiliser une carte bleue : lors du procès qui lui fut fait à propos d’un match de football truqué, Bernard Tapie avait été coincé pour avoir utilisé une carte de péage automatique à l’entrée d’une autoroute.
Le roi de France Louis XIV qu’il convient de dire absolu, avait construit Versailles pour y imposer de vivre aux princes susceptibles de comploter contre lui, soit, en tout, femmes comprises (elles étaient nombreuses) 2000 personnes sur un royaume qui comptait environ vingt d’habitants. Ces princes étaient tenus de paraître devant le roi à plusieurs reprises chaque jour (petit lever, grand lever, repas du roi, jeu du roi, etc.) parce qu’il s’assurait ainsi qu’ils ne complotaient pas ; qu’un prince s’absente et un lieutenant des gardes, des mousquetaire ou des chevaux-légers du roi était envoyé à son domicile connu et même jusque « dans ses terres » au besoin pour le ramener à la courtoisie qui convenait et l’énergie militaire indispensable en cas de résistance. Dans le même temps 98 % de la population vivait selon ses coutumes régionales voire villageoises sans se soucier d’une royale intervention.
Ces temps heureux sont chaque jour un peu plus éloignés. On ne parle plus de « la liberté » mais « des libertés » qui restent encore.
Chaque personne devrait pouvoir vivre selon sa propre échelle de valeurs ; une société qui ne reconnaît pas à chacun cette part de liberté, « ne peut avoir de respect pour la dignité de l’individu » et ne laisse pas vivre la liberté.
Est démocratique une société qui veut l’égalité de tous ses membres. Lorsqu’elle est agressée, elle peut réagir suivant l’adage « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Cette règle s’attaque particulièrement aux ennemis internes, à ceux qui sont qualifiés « traîtres » si la procédure indispensable a été suivie. Le danger est qu’un gouvernement autoritaire va déclarer « pas de liberté pour les ennemis de mon pays, pour mes ennemis, pour les ennemis de mes idées, etc. » L’expérience a montré qu’un gouvernement qui se disait démocratique, pour repousser une agression, va exercer une autorité aussi peu respectueuse de la liberté que les pouvoirs autoritaires non libéraux et non démocratiques. Le rapport de force qui interdit de rester tiers dans le conflit en cause, conduit à ce que chacun soit pris dans la nécessité que lui dicte sa position concrète dans la société. Tous sont conduits à accepter de remettre le pouvoir à qui veut sincèrement rétablir ou sauvegarder l’égale liberté des citoyens, en lui laissant le soin de juger des conditions d’exercice de la liberté en fonction des circonstances . Dans la République romaine antique, cette fonction était dévolue au « dictateur », magistrat qui recevait les pleins pouvoirs (imperium) pour une durée de six mois. À l’échéance, même si la mission qui lui avait été confiée n’était pas remplie, le dictateur et le maître de cavalerie (magister equitum, chef d’état-major) qui avait été désigné par le dictateur, devaient abdiquer.

« La liberté »

Les articles 1er et 2 de la Déclarations de 1789, citent la liberté en tête.
Art. 1er : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
Art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

Il en est de même de l’article 1er de la Déclaration de 1948.
Art. 1er : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

La situation se détériore avec l’article 2 de cette déclaration qui évoque « les libertés ».
Art. 2 :
« 1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. »

Dans la mesure où il y a « les libertés », rien n’interdit au pouvoir politique qu’en restreindre quelques-unes. Les prétextes sont nombreux et leur liste est sans fin.
« Pour conserver leur emprise sur l’esprit des hommes, les vérités anciennes doivent être reformulées dans le langage et les concepts des générations successives. […] Un temps très long s’est écoulé depuis que l’idéal de liberté qui a inspiré la civilisation occidentale moderne, et dont la réalisation partielle lui a valu ses réussites, n’a pas été redéfini. […] Les hommes ont cherché des ordres sociaux de substitution plus souvent qu’ils n’ont essayé d’améliorer leur compréhension ou leur mise en œuvre des principes fondamentaux de notre civilisation . »
Dans un sens voisin, Raymond Aron écrivait : « Pour ma part, la justification qui me paraît la plus forte de la démocratie, ce n’est pas l’efficacité du gouvernement que se donnent les hommes lorsqu’ils se gouvernent eux-mêmes, mais la protection qu’apporte la démocratie contre les excès des gouvernants. »
La définition de « la liberté » est négative : « elle veut dire absence de cet obstacle bien précis qu’est la coercition exercée par autrui » et particulièrement par le pouvoir politique.
On rappelle que la pire des situations, l’esclavage, n’est pas incompatible avec certains droits. C’est ainsi qu’à Rome, la vente du sol était interdite : chaque famille fondatrice en avait reçu à l’origine un lot qui était nécessairement transmis d’une génération à la suivante . Un homme endetté au-delà de toute limite, ne pouvait vendre son bien ; il ne pouvait que se vendre lui-même à son créancier dont il devenait esclave, ce qui ne le privait pas de son droit de propriété .
Deux conceptions de la liberté s’opposent, l’une est née au Royaume Uni dès 1215 (Charte de Jean sans Terre) et s’est perfectionnée en 1689 avec l’adoption du Bill of Rights qui a inspiré les Français un siècle plus tard ; l’autre a émergé en France en deux temps : le premier en 1789, inspiré par les Insurgents d’Amérique et le droit britannique, le second, en 1793 ; mais dans ce dernier cas (Constitution du 24 juin 1793 ), la Déclaration qui précède la nouvelle constitution comporte un article 2 libellé comme suit : « Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. » L’égalité dans un sens absolu apparaît ; la liberté recule au second rang ; apparaît un droit qui passionne les gouvernants actuels, « la sûreté » ; la propriété disparaît au quatrième rang, alors qu’elle figurait au second, juste après la liberté, en 1789. Cette seconde déclaration est très éloignée de la première : la classe bourgeoise, ses rêves et ses besoins, est écartée au profit de la masse soucieuse d’abord d’égalité concrète, celle des revenus et des conditions de vie. L’invention de la « sûreté » permet de multiplier les interdictions, en clair de faire disparaître « la liberté » remplacée par « des libertés » chichement concédées.
En ce sens, est éclairante la comparaison entre le premier amendement de la constitution américaine et la loi française de 1881 qui est présumée définir la liberté de la presse.

Premier amendement (1791)
« Le Congrès ne fera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Commentaires portant sur la première version de ce texte
Ce texte commence bien : article 1er : « L’imprimerie et la librairie sont libres. » La suite est convenable ; article 5 : « Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement, après la déclaration prescrite par l’article 7. » C’est par la suite que les ennuis commencent. Les contraintes administratives sont pesantes : un périodique doit avoir un gérant (art. 6) qui doit « avoir la jouissance de ses droits civils, et n’être privé de ses droits civiques par aucune condamnation judiciaire. » Le périodique doit dès sa création être déclaré au Parquet (art. 7), de même que toute modification doit l’être dans les cinq jours. À défaut (art. 9), « le propriétaire, le gérant ou, à défaut, l’imprimeur, seront punis d’une l’amende de cinquante francs à cinq cents francs. » La moindre erreur ou négligence coûte : art. 11, « Le nom du gérant sera imprimé au bas de tous les exemplaires, à peine contre l’imprimeur de seize francs à cent francs d’amende par chaque numéro publié en contravention de la présente disposition. » L’obligation de publier les rectifications exigées de l’autorité politique est aussi imposée sous peine de sanction pénale (art. 12), de même que les rectifications exigées par une personne privée (art. 13). Le président de la République est particulièrement protégé (en 1881, il ne disposait d’aucun pouvoir) par l’art. 26 : « L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 et dans l’article 28 est punie d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de cent francs à trois mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement. ». Aujourd’hui en France, parce que le président est chef des armées et de toutes les administrations, pas un policier, pas un fonctionnaire, ne laisse passer un mot de travers sans que soit brandi cet article.
La publication de nouvelle fausse est plus lourdement réprimée (art. 27) ; manque dans ce texte répressif la définition précise de ce qu’est une nouvelle fausse (le droit pénal ne supporte pas l’interprétation ; il est d’application stricte) ; ce silence ouvre la voie à l’arbitraire. Quant à « L’outrage aux bonnes mœurs », il envoie en prison pour « un mois à deux ans » (art. 28). « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne » (art. 29) qui devrait ouvrir la voie à une procédure civile pour atteinte à l’image, est « punie d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de cent francs à trois mille francs » (art. 30).
La suite du texte est de la même veine. Certains faits sont même qualifiés crimes et peuvent donc entrainer des condamnations à emprisonnement particulièrement longues.

La conception française de l’État est dérivée des chimères énoncées par J.-J. Rousseau, particulièrement de son prétendu Contrat social (1762), lecture qui passionna Robespierre et Saint-Just.
D’autres philosophes, jusqu’au milieu du XXe siècle « voient l’origine des institutions non dans l’assemblage de moyens inventés ni dans un dessein préconçu, mais dans la survie de ce qui réussit . » Ils cherchent « comment les nations tombent sans le vouloir sur des structures qui résultent bien de l’action des hommes, mais non d’un projet humain . »
La chasse aux criminels pousse les États, y compris celui dont le bel amendement est rappelé plus haut, à incarcérer des journalistes qui refusent d’indiquer les sources de leurs informations .
L’état d’urgence suppose un évènement ponctuel. Celui que décide l’Elysée à la suite des attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, permet surtout de renforcer les contrôles sur la presse. Par contre, les « réseaux sociaux », Facebook et Cie peuvent continuer de publier ce qu’ils veulent. Daesh ne va pas se gêner pour mettre en ligne les clips les plus crus, utiles à sa propagande.

Liberté et responsabilité

« La liberté ne signifie pas seulement que l’individu ait à la fois l’occasion et l’embarras du choix ; elle signifie qu’il doit supporter les conséquences de ses actes, et en recevoir louange ou blâme. Liberté et responsabilité ne peuvent être séparées l’une de l’autre. […] cette foi dans la responsabilité individuelle a toujours été vive là où les gens croyaient fermement à la liberté individuelle : elle a notablement décliné en même temps que la valeur attachée à la liberté. […] Les vues anciennes étaient étroitement liées à la conviction qu’existe le « libre-arbitre », concept qui n’a jamais un sens précis mais qui semble avoir été récemment [vers 1960] privé de fondement par la science moderne . » Lui seul justifie la sanction pénale.
La notion de libre-arbitre avait été introduite par Thomas d’Aquin (Somme théologique) aux débuts de la Renaissance. C’était la liberté de chacun de s’emparer les grâces que le dieu offrait, ou de les refuser. Bien évidemment, en acceptant les grâces du dieu, on acceptait de se conformer aux règles de vie qu’il avait édictées. Reprise par l’Université de Salamanque au XVIe siècle puis par les philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles, cette liberté est arrivée jusqu’à nous ; elle semble maintenant écartée au profit de pulsions incontrôlables et, en conséquences, d’une sorte de tendresse au profit des délinquants .
Cette conception figure également dans la théologie de Calvin, mais la conclusion y est des plus rigides : le dieu a décidé de toute éternité ce qui devait se passer sur terre à tout moment. Il a décidé ceux des hommes qui bénéficieraient de sa grâce et ceux qui en seraient privés. L’existence des premiers est faite de réussites sociales et/ou professionnelles ; celle des seconds affiche des déviances inavouables dont la répression est nécessaire pour purger la société d’êtres reniés par le dieu ; la peine de mort est alors la plus efficace répression : elle élimine celui que le dieu a maudit de toute éternité.
« Une société libre requiert probablement davantage que toute autre que ses membres soient guidés dans leurs activités par un sens de la responsabilité qui ne se cantonne nullement dans les obligations sanctionnées par la loi ; et aussi, que l’opinion générale approuve que les individus portent la responsabilité tant de la réussite que des échecs de leurs initiatives et de leurs efforts . »
S’agissant des criminels qui agissent selon les commandements de leur dieu, le font-ils selon leur libre arbitre, ou poussés par je ne sais quelle pulsion de mort qui relèveraient non plus du droit pénal mais de la psychanalyse ?
Dans la première hypothèse, il appartient à la police d’anticiper les actes de ces criminels et de les déférer devant une cour d’assise (le code pénal ivoirien inclut dans ce cas la peine de mort) devant laquelle la préparation, le commencement d’exécution équivalent à l’acte lui-même. Dans la seconde, il faut donner à chaque personne « normale » un garde du corps et multiplier le nombre des psychanalystes spécialisés dans cette forme de déviance.

Dr C. GARRIER

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