Malgré le froid de canard et les rafales venues de la mer du Nord toute proche, ils sont là, irréductibles. Réchauffés par le sentiment que l’histoire leur donnera raison. Vêtus des couleurs du drapeau ivoirien, ils s’époumonent à chanter « Respectez mon pays » ou, plus prosaïquement, « Libérez Gbagbo ».
Sur le morne parking qui jouxte le nouveau bâtiment de la Cour pénale internationale (CPI), ils étaient quelques centaines, jeudi 28 janvier, à s’être rendus à La Haye pour soutenir Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, le chef des « Jeunes Patriotes », dont le procès conjoint pour crimes contre l’humanité vient de s’ouvrir. Il y a là d’anciens dignitaires du régime déchu, mais surtout des membres de la diaspora pour qui l’ex-président de Côte d’Ivoire s’apparente autant à un gourou qu’à un chef politique. Leur credo : « Gbagbo ou rien. »
« J’ai posé une journée, mais si ça doit me coûter mon boulot, j’assume. C’est la sixième fois que je viens à La Haye ! », proclame Michel Koudou. « Moi, la huitième ! », renchérit son ami Raphaël Kabi. Comme ces pères de famille de la région parisienne, la plupart des militants sont venus de France dans des autocars loués pour l’occasion ou en covoiturage. Sur cette esplanade ceinte de drapeaux des pays du continent africain, d’autres ont fait le voyage des quatre coins de l’Europe.
Clivages politiques
« Il y a aussi des gens venus de Côte d’Ivoire, du Gabon, des Etats-Unis. On nous a même signalé une délégation d’Australie avec un ancien ambassadeur du Zimbabwe », se félicite Raymond Koudou Kessié, un ex-diplomate exilé à Londres qui dirige la délégation du Front populaire ivoirien (FPI), le parti fondé par M. Gbagbo. « S’il est l’objet d’une mobilisation aussi grandiose, cela montre qu’il n’est pas le criminel que tente deprésenter la CPI. Tout ce monde est l’expression populaire de ce qu’il représente pour la Côte d’Ivoire : un rassembleur », affirme-t-il.
Cette mobilisation est aussi la démonstration que les clivages politiques perdurent en Côte d’Ivoire, cinq après l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara. Dans le camp opposé à ce dernier, la défaite électorale puis l’intervention militaire de la France et des Nations unies et, enfin, le transfert devant la CPI n’ont toujours pas été digérés. « L’esprit de la CPI était de protéger les plus faibles, mais ceux qui sont dans le box des accusés sont ceux qui n’ont pas su avoir les alliés les plus puissants », analyse Fabrice Lago, un activiste connu sous le pseudonyme de Steve Beko. Qu’importe que l’ONU et l’Union africaine aient reconnu la victoire de M. Ouattara ou que M. Gbagbo, soutenu par le magnat Vincent Bolloré pendant les dernières années de son règne, n’ait jamais menacé les intérêts économiques français lorsqu’il était au pouvoir entre 2000 et 2011.
Sur l’échiquier politique français, l’ex-président ivoirien a depuis longtemps perdu une bonne partie de ses réseaux. Tenu à bout de gaffe par ses « camarades socialistes » et honni par la droite, il a été défendu par Marine Le Pen au moment de la crise et, aujourd’hui, seul Jean-Luc Mélenchon considère que « la détention de M. Gbagbo est un scandale insupportable », allant jusqu’à promettre : « Quand je serais élu, Gbagbo sortira de prison puisque j’irai le chercher. » La promesse ne coûte rien.
Popularité sur le continent africain
Pour l’heure, les soutiens hexagonaux visibles de M. Gbagbo à La Haye se limitent principalement à Guy Labertit, l’ancien M. Afrique du PS, qui n’a pas renié son amitié pour le premier ancien chef d’Etat jugé devant la CPI, et à Bernard Houdin, son porte-parole franco-ivoirien, qui a fait ses premières armes politiques à la faculté d’Assas dans la jeunesse d’extrême droite.
En revanche, sa popularité sur le continent africain ne fléchit pas. A La Haye, mais aussi dans les manifestations organisées à Paris, on croise des Congolais des deux rives comme Rissmo Kongo, originaire de Kinshasa, qui dit se mobiliser « contre l’impérialisme », ou bien Sadio Kanté, une journaliste « expulsée de Brazzaville », qui estime que « Gbagbo est un vrai panafricain, pas comme Sassou[-Nguesso] qui devrait être à la CPI ». Les Camerounais ne sont pas les moins nombreux, tant la blessure de la répression des années 1950-1960 menée puis soutenue par Paris demeure mal cicatrisée.
De sa relation conflictuelle avec la France, Laurent Gbagbo a su tirer l’image de l’homme qui a dit non. Une stature qui démontre qu’en dépit d’une Françafrique moribonde, la relation avec l’ex-puissance coloniale demeure passionnée, souvent empreinte de rancœurs et de suspicions fondées ou fantasmées.
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