Il entre en scène avec son énergie habituelle, gravissant en petites foulées les quelques marches menant au podium. Sourire éclatant, manches retroussées, Barack Obama commence par déboutonner le col de sa chemise blanche. Puis lance un puissant «Hello Philadelphia !», déclenchant la clameur de la foule, environ 6 000 personnes un peu assommées par le soleil et un mercure frôlant les 30 degrés. Pour ce premier meeting en solo du président en soutien à Hillary Clinton, l’équipe de la candidate démocrate avait choisi Eakins Oval, l’esplanade située au pied du musée d’art de Philadelphie et de ses fameuses «Rocky Steps», ces 72 marches sur lesquelles s’entraîne le personnage de Rocky Balboa. A la lumière de ses récents ennuis de santé, l’ancienne Première dame se serait sans doute bien passée de ce cadre mythique. Difficile, en effet, de ne pas penser au contraste entre un Barack Obama capable de gravir les escaliers aussi vite que Sylvester Stallone et une Hillary Clinton au repos forcé pour cause de pneumonie, contrainte de regarder le discours du président depuis son canapé.

De la santé de la candidate démocrate, Barack Obama ne dit pas un mot. Tout juste invite-t-il les spectateurs à boire de l’eau et à fléchir les genoux. Allusion, peut-être, au «coup de chaleur» d’Hillary Clinton dimanche, lors des commémorations du 11 Septembre. En revanche, le président estime que son ancienne secrétaire d’Etat fait l’objet de «critiques injustes», notamment de la part des médias, pour son manque de transparence. «Vous voulez parler de transparence ? Il y a une candidate dans cette campagne qui a publié plusieurs décennies de déclarations d’impôts. L’autre candidat est le premier, depuis des décennies, qui refuse de publier la moindre déclaration», lance Barack Obama, reprenant l’un des angles d’attaques favoris du camp Clinton contre Donald Trump.

La stagnation des salaires, point noir du bilan démocrate

Visiblement ravi de retrouver une ambiance de campagne électorale, Barack Obama défend d’abord son bilan et tacle «la vision sombre et pessimiste» des républicains. «Soyons honnêtes : les républicains n’ont pas envie d’entendre des bonnes nouvelles en ce moment. Mais voilà la réalité : plus d’Américains ont un emploi, plus d’Américains ont une assurance santé, les salaires augmentent, la pauvreté diminue», détaille-t-il. «Et l’essence est tombée à 50 centimes le litre», s’écrie une spectatrice. Éclat de rire d’Obama, qui en profite pour s’autoféliciter : «Merci de me le rappeler ! Merci Obama !» Quelques heures avant le meeting de Philadelphie, le bureau américain des statistiques avait annoncé une excellente nouvelle pour la classe moyenne – et pour la Maison Blanche : en 2015, le salaire médian des ménages américains a bondi de plus de 5%, la première hausse depuis 2007. La stagnation des salaires restait l’un des points noirs du bilan économique d’Obama et l’objet de critiques récurrentes de la part des républicains.

Reconnaissant qu’il reste «du travail à faire», Barack Obama martèle que seule Hillary Clinton a l’expérience et la détermination nécessaires pour lui succéder et poursuivre les progrès accomplis. «Je veux vraiment, vraiment, vraiment qu’Hillary Clinton soit élue», lance-t-il, présentant le scrutin du 8 novembre comme un «choix fondamental» sur «le sens même de l’Amérique». Les républicains «n’offrent pas de solutions sérieuses. Ils se contentent d’attiser le ressentiment, les reproches, la colère et la haine. Et ce n’est pas l’Amérique que nous connaissons. Ce n’est pas l’Amérique que je connais», tonne l’ancien sénateur.

Trump, «ce gars» qui «a passé 70 ans à ne porter aucun intérêt aux travailleurs»

Tout au long de son discours de plus de quarante minutes, Barack Obama étrille Donald Trump, moquant notamment sa soi-disant proximité avec la classe moyenne. «Ce gars a passé 70 ans sur cette terre à ne porter aucun intérêt aux travailleurs. Il ne vous laisserait pas rentrer sur son terrain de golf. Il ne vous laisserait pas acheter l’un de ses appartements. Et maintenant, soudainement, ce gars va être votre champion ?», s’étonne le président, prêchant davantage les téléspectateurs que la foule de convertis venue l’écouter à Philadelphie.

L’attaque la plus acide porte sur l’admiration de Donald Trump pour Vladimir Poutine. Dans une récente interview sur la chaîne Russia Today, contrôlée par Moscou, le milliardaire avait salué la «force» du président russe et ses «82% d’opinions favorables». Une remarque tournée en ridicule par Barack Obama : «Saddam Hussein avait 90% d’opinions favorables. Si vous contrôlez les médias, que vous réprimez les libertés publiques et que vous emprisonnez les dissidents, c’est ce qui arrive».

Libéré de toute contrainte électorale, Barack Obama semble prêt à lâcher ses coups. Horrifié par la perspective d’une présidence Trump, il va enchaîner les meetings jusqu’au 8 novembre. Avec Hillary Clinton ou en solo, le président sortant devrait faire au moins une douzaine d’apparitions publiques, concentrées dans quatre états clés : Pennsylvanie, Ohio, Floride et Caroline du Nord. Objectif : mettre sa popularité record (58% d’opinions favorables selon un récent sondageWashington Post/ABC) au service de son ancienne secrétaire d’Etat, toujours aussi impopulaire. «J’ai besoin que vous travailliez aussi dur pour Hillary que vous l’avez fait pour moi», lance Barack Obama à la foule, appelant ses partisans à voter et à convaincre leurs proches d’en faire autant. «Autour de moi, les jeunes et les Africains-Américains sont clairement moins excités par la candidature d’Hillary Clinton. La passion de 2008 a disparu, reconnaît Simone, une infirmière de 43 ans.Mais je pense que le fait de voir Barack Obama faire campagne et souligner l’importance de cette élection va remobiliser ses électeurs».

Ce mardi à Philadelphie, Sara Nathan a vu Barack Obama en chair et en os pour la première fois. Et du haut de ses 72 ans, elle en a pleuré. «Il est intelligent, honnête, digne et intègre. Il se soucie vraiment des gens. Je suis fière qu’il soit mon président», confie-t-elle, la voix émue. Va-t-elle regretter l’actuel locataire de la Maison Blanche ? «Je suis prête à élire Hillary Clinton et je pense que Barack Obama a besoin de se reposer. Cette fonction doit être si épuisante physiquement et émotionnellement». En attendant, c’est Hillary Clinton qui est au repos. Sara s’inquiète-t-elle de son état de santé ? Michael, son mari, répond à sa place : «Franklin Delano Roosevelt a dirigé ce pays pendant la Seconde guerre mondiale, depuis une chaise roulante. Hillary a juste un vilain rhume. Tout ira bien».

Frédéric Autran