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Janaina Paschoal, l’avocate à l’origine de la destitution de Dilma Rousseff

Janaina Paschoal est l’avocate à l’origine de la procédure de destitution de Dilma Rousseff. La jeune femme a rédigé le texte qui a été voté par les députés, puis par les sénateurs. Rencontre.

Avec notre envoyé spécial à Sao Paulo

Elle entrera dans l’histoire comme celle qui a fait tomber la présidente brésilienne. C’est dans son petit bureau au centre-ville de Sao Paulo que l’avocate Janaina Paschoal a rédigé la demande de destitution contre Dilma Rousseff.

La jeune juriste de 41 ans pouvait compter sur l’aide de son ancien professeur de droit Miguel Reale Junior, 72 ans, et d’un ancien député du Parti des travailleurs, Hélio Bicudo, 93 ans. Ensemble, ce trio a réussi à faire passer la demande de destitution par toutes les instances parlementaires.

La semaine dernière, le Sénat a massivement voté en faveur de l’ouverture du procès contre la présidente, accusée d’avoir maquillé des comptes publics. La chambre haute dispose de 180 jours pour organiser le procès et rendre un jugement définitif.

« J’ai agi en tant que citoyenne »

RFI : Après le vote du Sénat de la semaine dernière, avez-vous le sentiment d’avoir accompli votre mission ?

Janaina Paschoal : Voyez, avec la crise que le Brésil est en train de traverser, je ne ressens pas de la joie. Je ne suis pas heureuse du fait que nous avons besoin de demander la destitution de la présidente. Mais j’ai effectivement le sentiment d’avoir accompli mon devoir. Je ne me suis pas cachée, j’ai pris mes responsabilités de citoyenne face à une affaire qui implique des violations de la loi, des « crimes », en fait ce que nous qualifions de « crime de responsabilité ». Je suis aussi satisfaite que nous soyons en train de faire une révolution sans armes et sans effusion de sang. Sur la base de ce que prévoient notre Constitution et nos lois. A mon avis, c’est un exemple pour les jeunes brésiliens. Et aussi d’une certaine façon pour le monde entier.

Pourquoi avez-vous décidé de lancer ce processus de destitution ?

J’ai participé en tant qu’avocate à la rédaction d’un rapport juridique qui n’avait rien à voir avec la destitution. On devait vérifier si le comportement de Dilma Rousseff par rapport aux finances publiques était légal ou non. J’ai alors eu accès à des documents du Tribunal fédéral des comptes (NDLR ; équivalent de la Cour des comptes) qui révélaient d’énormes fraudes fiscales. J’ai participé à cette étude avec le professeur Miguel Reale Junior en tant qu’avocate. J’ai rendu le rapport au Congrès. C’était en avril ou mai de l’année dernière, je ne m’en souviens plus exactement. Et je me suis dit que les partis de l’opposition allaient réagir. Mais ils n’ont rien fait ! Et là, je me suis posé la question : mais est-ce que nous vivons réellement dans une démocratie ? Ou alors cette opposition fait-elle seulement semblant de s’opposer au gouvernement pour faire croire à la population qu’elle vit dans une démocratie…

Parallèlement j’ai commencé à participer aux manifestations en faveur de la destitution de la présidente. J’ai vu que les personnes qui descendaient dans la rue étaient très tristes. Elles disaient : je ne cesse de manifester, mais il ne se passe rien ! A ce moment-là, j’ai connu Hélio Bicudo, un ancien membre du Parti des travailleurs. Et il m’a dit : « Bon allons-y, on va le faire ! » Donc, plusieurs facteurs expliquent notre motivation.

Afin de pouvoir lancer la procédure de destitution, vous avez eu besoin de l’appui d’Eduardo Cunha, à l’époque président de la Chambre, lui-même accusé de corruption dans l’affaire Petrobras. Cela ne vous a pas dérangé ?

Une chose doit être clarifiée. Lorsque nous sommes allés au Congrès pour déposer notre demande de destitution, c’était presque en mode « mission secrète ». Nous n’avons eu aucun contact avec les parlementaires. Nous n’avions pris aucun rendez-vous avec le président de la Chambre qui était à l’époque effectivement Eduardo Cunha. Nous sommes allés à Brasilia, nous avons déposé notre dossier dans le service administratif compétent. Et puis ensuite nous avons attendu leur réponse pour revenir et déposer le dossier « officiellement ». Mais toujours sans aller voir Eduardo Cunha.

Eduardo Cunha n’était à ce moment-là même pas au courant de notre démarche. Mais la Constitution nous oblige à déposer le dossier auprès du président de la Chambre des députés. Ce n’est pas de notre faute si le président de la Chambre s’appelait Eduardo Cunha. Il convient de souligner que pendant longtemps, il était un allié de la présidente Dilma Rousseff. A présent, le Parti des travailleurs attaque Eduardo Cunha. Mais pendant longtemps, il était un partenaire de sa coalition. En fait, nous n’avions pas de choix !

Les sénateurs de l’opposition se congratulent à l’issue du vote sans appel qui a écarté de la présidence du Brésil Dilma Rousseff.REUTERS/Ueslei Marcelino

Eduarda Cunha a d’ailleurs attendu plusieurs mois avant de lancer la procédure…

Les autorités publiques ont des obligations. Si elles ne satisfont pas ces obligations dans un délai donné, elles se rendent coupables devant la loi. Comme Eduardo Cunha n’a pas donné suite à notre demande, j’ai enregistré une vidéo à la maison en rentrant d’une manifestation. Je l’ai posté sur Internet en disant : « Monsieur le président Eduarda Cunha, je vais vous coller un procès pour manquement à vos obligations si vous, monsieur, ne lancez pas immédiatement l’examen de la demande de destitution ! » Coïncidence ou pas, il a rapidement lancé la demande (rires). C’est vrai !

Pourquoi condamner Dilma Rousseff alors que la pratique des « pedaladas », le maquillage des comptes publics, existe depuis longtemps au Brésil ?

Vous savez, ces derniers temps, j’ai eu accès à quelques documents en la matière, des documents sur la gestion au niveau régional. Cet argument du Parti des travailleurs ne colle pas. Parce qu’au niveau régional, au niveau des Etats, il n’y pas de banques publiques. La présidente Dilma Rousseff a emprunté de l’argent auprès de trois banques publiques, ce qui est interdit par la loi. Elle l’a caché dans la comptabilité. De sorte que personne ne pouvait s’en apercevoir.

Le Parti des travailleurs (PT) dénonce un procès politique, une vengeance de la droite contre Dilma Rousseff. Que répondez-vous à ces critiques ?

Regardez mon bureau ! C’est un petit bureau dans un vieil immeuble. Je loue ce bureau, je ne suis même pas propriétaire. Est-ce que j’en ai l’air d’être une grande représentante de la droite ? Non, la vérité c’est que cette demande vient de deux citoyens. Du docteur Helio Bicudo, qui est un retraité de 93 ans, qui a fait une carrière de fonctionnaire honnête, qui n’est pas millionnaire, qui mène une vie simple. Vous me voyez ici dans mon bureau modeste. Non, en fait c’est un discours que le PT a inventé de toutes pièces pour justifier ses propres implications dans les affaires.

« Dilma Rousseff a perdu la connexion avec peuple »

Ce qui a beaucoup choqué à l’étranger, c’était de voir des parlementaires voter en faveur de la destitution et qui sont eux-mêmes très corrompus…

Je ne pense pas qu’il s’agisse de la majorité des députés. Mais il y en a beaucoup qui font l’objet d’enquêtes. Certains sont poursuivis par la justice. Mais alors c’était quoi notre alternative ? Laisser tout comme avant ? Ne rien faire ? Non, il n’en était pas question ! Il fallait lancer la procédure à un moment donné. Je pense que ce procès sert d’avertissement à tous les hommes politiques. Ils se rendent compte à présent qu’ils ne disposent pas du pouvoir absolu. Je ne parle pas seulement des parlementaires du PT, mais de tous les partis. Lorsque deux citoyens se lancent dans cette demande de destitution sans consulter aucun de ces parlementaires, sans demander l’autorisation de personne, c’est une leçon pour tout le monde.

L’insatisfaction avec le gouvernement du PT s’était déjà exprimée à travers des grandes manifestations de 2013.

Oui c’est vrai. Beaucoup de gens étaient descendus dans la rue avec des revendications très différentes. Des sympathisants du gouvernement déçus, des partisans de l’opposition qui voulaient un changement, des femmes, des homosexuels, des grands propriétaires, à chacun sa revendication. Je me souviens d’avoir écrit une lettre à la présidente Dilma Rousseff en lui demandant d’écouter le peuple. Elle paraissait complètement dépassée par les évènements. Je lui ai écrit dans cette lettre que je ne jamais pu envoyer : « Arrêtez d’écouter vos conseillers en communication. Vous n’êtes pas un produit ! » Je pense qu’elle n’est pas très bien conseillée. Souvenez-vous de cette grande manifestation il y a quelques semaines. Quelques jours après, la présidente a pris l’avion pour venir à la centrale du syndicat ABC près de Sao Paulo pour soutenir publiquement Lula qui fait l’objet d’une enquête. En plus, elle voulait le nominer dans son gouvernement. Pour moi, cela prouve que la présidente a complètement perdu la connexion avec le peuple. Donc il fallait faire quelque chose !

Avez-vous confiance en ce nouveau gouvernement de Michel Temer ?

Il est professeur de droit constitutionnel. C’est un homme de 74 ans. Je crois qu’il est conscient du fait qu’il a à présent une chance unique de marquer l’histoire d’une manière positive. Ces données font que je nourris un certain espoir quant à son action. Mais en tant que Brésilienne déjà un peu fatiguée des promesses mille fois entendues des uns et des autres, je vais bien sûr rester vigilante.

Le fait que Michel Temer n’a nommé aucune femme dans son cabinet, cela vous choque ?

Je suis contre la nomination d’une femme ou d’un Noir pour des effets de « vitrine », juste pour dire que j’ai un cabinet diversifié. En revanche, je suis pour que le gouvernement reflète effectivement la société brésilienne. Je connais des femmes très compétentes qui pourraient très bien occuper des postes de ministres. De ce point de vue, le cabinet n’est pas très représentatif.

Qu’est-ce que vous avez appris sur la classe politique et la culture politique au Brésil durent ces derniers mois ?

J’ai senti que lorsqu’on fait appel au Parlement en lui disant : « Hé, regardez, vous êtes important, je vous soumets une demande sérieuse », les députés le prennent en compte, se sentent valorisés et peuvent travailler jour et nuit sur ce dossier. En ce qui concerne le peuple brésilien, j’ai senti un engagement vraiment très fort des gens. Ils ont arrêté de regarder les télénovelas pour assister aux débats parlementaires à la Chambre, au Sénat et ont suivi les délibérations de la Cour suprême. Des femmes se sont approchées de moi dans la rue pour me dire : « J’ai regardé le débat jusqu’au petit matin, je suis d’accord sur tel point, mais en désaccord avec un autre point, et cetera. »

Ce procès a électrisé la population, ce qui le rend à mon avis encore plus légitime. J’espère que cette politisation restera et ne disparaîtra pas après le procès. Personnellement, je suis sortie grandie de cette affaire. Il y a eu des moments difficiles bien sûr, l’exposition aux médias, toute la pression… Mais si je devais tout recommencer, eh bien je le ferais.

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