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Au Congo, l’incroyable impuissance des soldats de l’ONU devant les massacres de villageois

Les blindés de la mission de l’ONU foncent sur la route cahoteuse. Arme au poing, casque sur la tête, gilets pare-balles, les militaires de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) sont aux aguets. Un nouveau massacre a eu lieu la veille dans un quartier éloigné du village d’Eringeti. Il n’est que 8 heures du matin, mais le soleil déjà haut dans un ciel sans nuages écrase la brousse de sa chaleur.

Le convoi stoppe net. Les soldats descendent au pas de course vers quelques maisons de chaume. Sur la terre battue, entre des tongs et du tissu, le sang des victimes n’a pas eu le temps de sécher. Des miliciens ont débarqué ici, le 3 mai en fin d’après-midi, semant la mort dans le quartier. Une famille entière a été décimée à coups de machette et de hache alors qu’elle était en train de prendre son repas du soir. Au total, dix femmes dont quatre enceintes, cinq hommes et quatre enfants ont été assassinés. La tuerie s’est déroulée à seulement trois cents mètres de la base népalaise de la Monusco. Ici, il n’y a ni Daech, ni Boko Haram ou Al-Qaida, mais une guerre silencieuse menée par un ennemi invisible qui fauche des milliers de victimes. Chaque mois des civils sont assassinés par vingtaines dans l’indifférence médiatique. En grande pompe, les casques bleus vadrouillent pourtant sur le terrain des opérations.

La surdité des casques bleus

Depuis leur camp de barbelés, « les militaires n’ont pas échappé aux cris des victimes », reconnaît le général Jean Baillaud. Prévenu la veille, le commandant adjoint des forces armées cherche à comprendre sur place le déroulé des événements. Ses soldats n’ont pas porté secours aux villageois.« Ils ont tiré sur la base pour nous empêcher de sortir », justifie un militaire népalais. Au fil de la reconstitution des faits, l’opération ressemble à un énorme raté.

L’alerte a été donnée vers 16h30. Maombi l’assure, mais aucun membre des forces armées ne viendra lui poser de questions. Le vieux cultivateur, encore sous le choc, est venu prévenir la Monusco, l’armée congolaise (FARDC) et le chef du village. Il raconte « avoir accompagné les militaires congolais, à leur demande, sur la trace des miliciens ». Il était 18 heures. Après une rapide patrouille, tous ont rebroussé chemin. Une demi-heure plus tard, les villageois se faisaient massacrer dans leur maison.

Du côté de l’armée congolaise, on explique sans complexe : « Nous savions que l’ennemi était là, mais nous n’avons pas réagi assez vite. » Comment des militaires onusiens et congolais pourraient-ils ne pas être préparés àfaire face à des massacres à répétition ? Le scénario, inlassablement, se répète depuis des années.

Les attaques de miliciens sont devenues la norme dans la région. Traversée par plus de vingt ans de conflits et de guerres, la République démocratique du Congo (RDC) reste un pays où l’état de droit est inexistant. Les milices gangrènent la région du Nord-Kivu. Elles sont si nombreuses qu’il est difficile de toutes les compter et d’en retenir les acronymes : ADFL, RCD, M23, Mai Mai, FRPI, ADF, FDRL. Elles seraient cent cinquante à piller le sol de cette terre de volcans et de lacs qui regorge de richesses minières : or, diamant et coltan. Des richesses payées au prix fort par les civils, victimes de la convoitise.

Les islamistes « made in Ouganda »

Dans le territoire de Béni, où se situe le village d’Eringeti, la milice islamiste ougandaise Allied Democratic Forces (ADF) occupe la zone. C’est la plus dangereuse et cruelle, selon un cadre de la Monusco. Dangereuse, parce que bien que présente dans la région depuis plus de vingt ans, son fonctionnement et ses revendications restent mal connus. « Lors des affrontements, les ADF se battent pour emporter leurs morts et risquent leur vie pour ne pas laisser leurs corps aux infidèles, explique une source au sein de la Monusco. Parfois même, ils les découpent pour les transporterplus facilement. » Il est ainsi difficile d’évaluer les pertes humaines au sein de leurs troupes et de dresser un profil de leurs combattants. C’est aussi la plus cruelle dans son mode opératoire. Les femmes et les enfants ne sont jamais épargnés. « Une fois, j’ai découvert sur le lieu d’une tuerie cinq enfants qui avaient été alignés pour être tués à la machette, raconte le général. Les médias ne parlent que de Boko Haram, mais les ADF sont tout aussi violents. Ce sont des terroristes. »

A Eringeti, alors que les familles pleurent leurs morts dans le petit hôpital du village, la résignation creuse son sillon. L’inefficacité de la mission onusienne insupporte. Les condoléances présentées par le général Jean Baillaud aux habitants n’apaisent pas leur colère. « On est en train de se faire tuer sous les yeux de notre protecteur et on ne voit pas leurs actions », gronde une vieille dame. « On a besoin de sécurité. On ne veut que la paix », enrage un jeune homme qui a perdu sept membres de sa famille lors d’une attaque de miliciens en 2014. « Nous voulons être libres dans notre propre pays, nous nous suffisons à nous-mêmes », argue-t-il. Des paroles que les militaires n’entendent pas. Sous le soleil, ils restent plantés à cent mètres des villageois abrités à l’ombre des arbres. Aprèsavoir salué le médecin de l’hôpital et jeté un rapide coup d’œil sur les corps des victimes, le convoi repart sans tarder.

A l’hôpital d’Eringeti, les habitants du village sont venus pleurer les morts, massacrés à la machette le 3 mai 2016.

« On ne les poursuit jamais »

Direction les deux bases situées à un jet de pierre du village. Les bataillons népalais et malawi y forment la Brigade d’intervention directe (FIB). Une brigade mandatée par l’ONU il y a trois ans pour en finir avec les groupes armés, puisque son mandat l’autorise à riposter militairement en cas d’attaque. Une création pour appuyer la mission de l’ONU présente depuis dix-sept ans dans le pays. L’objectif est toujours de restaurer une paixintrouvable depuis l’indépendance du Congo, arrachée à la Belgiqueen 1960. Car, après deux guerres civiles (1996-1997 et 1998-2003) et une multitude de rébellions, la RDC a accouché de ces milices. Près de 6 millions de personnes, selon les estimations les plus récentes, ont perdu la vie dans ces conflits, ce qui en fait le plus lourd bilan humain depuis la seconde guerre mondiale.

Sous la tente du camp, Jean Baillaud donne ses ordres. Un drone est envoyé pour localiser les tueurs « réfugiés dans la forêt ». En aparté, un soldat qui désespère du manque de résultats regrette : « Si l’on avait une patrouille avec des chiens, on les aurait arrêtés en quelques heures. Ces types restent à trois kilomètres dans la forêt. Et on ne les poursuit jamais. »

De traque, il n’y aura donc pas. « C’est difficile, car ils portent les uniformes des FARDC », explique Jean Baillaud. « C’est une pratique courante. Ils les récupèrent sur nos soldats qu’ils tuent », atteste sans sourciller un gradé de l’armée congolaise. Pourtant une autre version circule dans les rangs des casques bleus et parmi les villageois. Lorsque l’on évoque les militaires congolais, les sourires se transforment vite en rictus. Nombre d’entre eux les soupçonnent de connivences avec le groupe armé. Une enquête rédigée par le chercheur Jean Stearn, du Groupe indépendant d’étude sur le Congo (GEC), qualifie leur refus d’intervention d’« implication passive » dans les massacres. Certains seraient même corrompus par les ADF. Des allégations que le général, toujours courtois, minimise : « Il y a des mauvais comportements partout, mais je peux vous assurer qu’ils ont perdu beaucoup d’hommes dans cette bataille. »

A la nuit tombée, sa délégation s’installe dans la base népalaise de Béni. Tandis que quelques soldats se désaltèrent sous une paillote, l’un d’eux se souvient d’un assaut surréaliste, en 2014. « Des civils nous ont attaqués avec des flèches empoisonnées », raconte ce dernier. Mais la conversation revient vite au massacre de la veille. Les soldats sont écœurés et dévoilent leur résignation face à leur inefficacité. Ils déplorent le manque de stratégie militaire. « La première chose à faire dans une guerre, c’est de connaîtreson ennemi. Le problème, c’est qu’ici on ne cherche pas à le définir. Pourtant, eux nous connaissent très bien. Ils savent où je dors et avec qui je suis », chuchote un casque bleu. Selon lui, dans cette histoire, les intérêts économiques et politiques priment.

Aveu d’impuissance

Face à la situation, le général confesse : « Nous ne sommes pas prêts. Mais c’est compliqué, cette milice sait parfaitement semer le trouble. Elle arrive àcontrôler le terrain avec un groupe de soldats restreints. » Un aveu qui traduit l’impuissance de la force onusienne alors que, depuis le début des massacres attribués aux ADF en octobre 2014, plus d’un demi-millier de civils ont été tués. Avec 3 millions de dollars (2,7 millions d’euros) de budget de fonctionnement par jour, « les problèmes sécuritaires sont à la hauteur des capacités que nous avons », évalue Jean Baillaud. La puissance de frappe des forces de l’ONU n’est pourtant pas encore venue à bout de cet ennemi. « Le problème ne vient pas uniquement des contingents, affirme une autre source militaire. La volonté de règlement du conflit n’est pas forte et cela commence au niveau politique. L’efficacité militaire est d’abordpolitique » Les pays contributeurs sont rémunérés par les Nations unies pour service rendu selon le poids de leurs contingents militaires sur place.« C’est de l’argent qui rentre dans leurs caisses et cela leur procure un bénéfice. C’est donc une incitation à ce que la situation perdure », explique ce militaire.

Sur le terrain, aucune véritable investigation n’est menée pour déterminer le déroulement de l’attaque et l’identité des tueurs. Indéniablement, toutes les tueries sont attribuées sans preuves aux ADF. Des constats rapides, des déplacements en blindés des bases aux villages coupent court à une prise de contact directe avec les seuls témoins : les civils. Sans cela, commentpercer à jour la nébuleuse ADF ? « Ils sont devenus comme des fantômes, ils tuent à droite à gauche, on en parle. Mais qui sont-ils vraiment, personne ne le sait », raconte un haut placé de la force onusienne, dans son bureau. Et la suspicion règne. Il baisse d’un ton et chuchote : « Mon secrétaire pourrait aussi être un de leurs espions. »

Les ADF ne se résument donc pas aux combattants cachés dans la dense forêt qui longe la province de Béni. Ils ont leurs infiltrés, leurs contacts locaux et internationaux. Selon les experts de l’ONU, les miliciens mouillent dans le trafic d’or et de bois illégal. C’est un véritable système mafieux qui règne. Reste à en percer la chaîne de commandement.

Une instabilité programmée ?

Des considérations à mille lieues de celles de Françoise, habitante de Béni, qui s’endort tous les soirs avec la peur au ventre. La jeune femme aux cheveux bouclés est lasse : « Nous sommes lâchés par le gouvernement. »Dans son petit local où elle tient épicerie et vend des légumes et du poisson, les clients se font rare. Avec les massacres, les gens ont fui la région ou ne vont plus aux champs par peur d’être égorgé. « Est-ce qu’un simple rebelle est plus fort que notre gouvernement ?, s’insurge Françoise. Entre l’insécurité et les personnes déplacées, on ne pourra pas voter. Le gouvernement qui laisse faire est complice de la situation. »

A l’heure où le pays manifeste pour réclamer le départ du président Joseph Kabila, toutes les excuses semblent bonnes pour repousser la date de la présidentielle, fixée au 27 novembre. L’insécurité en premier lieu. Au pouvoirdepuis quinze ans, le président est tenu selon la Constitution de ne pas sereprésenter. Mais comme dans nombre de pays d’Afrique, la machine démocratique est grippée. Le président, manœuvrant pour faire « glisser » le calendrier électoral, a obtenu, en mai, de la Cour constitutionnelle de semaintenir au pouvoir tant qu’aucun nouveau président n’aura été élu.

A l’aube, le ballet des convois militaires reprend. A 5 km de Béni, les maisons abandonnées se succèdent. A Opira, dans un village à l’orée du parc Virunga, la base des casques bleus jouxte le campement des FARDC. Sur le sol boueux, les soldats congolais dorment dans des tentes de branchages et de feuilles de bananier. Pour un salaire de misère, ils vivent pendant de longs mois dans des conditions déplorables. Patriote, le lieutenant John Kalaki Zino n’y voit pas d’inconvénients. « Nous acceptons les conditions et je me sacrifie même s’il faut rester dans la brousse. Je suis congolais et je le resterais », lance-t-il stoïque. Assis à l’ombre des arbres, un soldat qui se bat depuis trente ans dans l’armée résume : « La situation est compliquée, mais on y est habitués. » La guerre, les morts, les intérêts politiques, le silence médiatique ne surprennent plus personne. Chacun semble jouer ses pions sur un échiquier géant. Jean Baillaud, lui, ne veut pas perdre espoir : « On n’est pas là pour compter les morts mais pour les empêcher », rappelle-t-il, comme à chaque visite. Jusqu’à la prochaine. Sur la route du retour, un casque bleu, pensif, salue les villageois d’un « Ça va, il fait chaud aujourd’hui ? » Surpris, les passants ne répondent pas. Depuis vingt ans que durent les conflits, ce n’est plus la chaleur qui les accable.

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