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Télécoms : pourquoi Canal+ a été rappelé à l’ordre au Bénin

Alors que le groupe français avait commencé à installer sa fibre optique à Cotonou, les autorités ont décrété l’arrêt du chantier. Motif : sa filiale internet n’a pas obtenu sa licence dans les règles.

C’est un petit caillou dans la chaussure du président béninois, rien de plus. Patrice Talon a d’autres sujets bien plus urgents à traiter que le cas Canalbox. Mais en s’éternisant, l’imbroglio qui oppose la filiale de Canal+, coupable de fournir des services internet sans licence, aux autorités et à une partie des acteurs du secteur des télécoms agace fortement au Palais. « L’affaire est très médiatisée et, en matière d’image, ce n’est pas un bon signal envoyé hors du pays », confirme un conseiller du chef de l’État.

D’ailleurs, si le dossier est toujours entre les mains de Rafiatou Monrou, la ministre de l’Économie numérique et de la Communication, cette dernière doit désormais le traiter en lien avec le tout nouveau Conseil national du numérique (CNN), rattaché directement à la présidence de la République.

La tentative de passage en force de Canal+

Tout a commencé en février, lorsque Canalbox a acquis les actifs d’EIT, un fournisseur d’accès à internet (FAI). Plutôt que de se conformer aux dispositions de la loi sur les télécoms adoptée en juillet 2014, ses dirigeants ont suivi les directives antérieures, datant de 2002. C’est donc sur la base d’un accord de l’autorité de régulation et non sur celle d’un décret ministériel qu’ils ont poursuivi l’exploitation de la licence acquise en 2010 par EIT au profit d’une centaine de clients. Puis, dans la foulée, ils ont sollicité une place de membre au sein du groupement d’intérêt économique (GIE) qui gère l’accès du Bénin au réseau mondial via le câble sous-marin Africa Coast to Europe (ACE).

Après avoir accepté la demande de Canal+, plusieurs membres du GIE dénoncent désormais une tentative de passage en force du nouvel arrivant. À la manœuvre, les dirigeants des FAI Bénin Télécoms Service, Isocel et OTI Télécom. « C’est la méthode Vincent Bolloré [président du conseil de surveillance de Vivendi, la maison mère de Canal+], persifle l’un d’eux. Il suffit de voir ce qu’il a tenté de faire en accaparant le projet de réhabilitation du chemin de fer au Bénin, au mépris du contrat déjà signé par Samuel Dossou. » Le débat est descendu jusque dans la rue, où, début septembre, les syndicats de salariés des FAI sont à leur tour montés au créneau.

Une offre révolutionnaire

Si ces acteurs sont vent debout contre l’arrivée de Canalbox dans le secteur des télécoms, c’est aussi parce que la filiale de Canal+ pourrait révolutionner l’internet béninois, à la manière de Free en France, de Global Village Telecom (ex-filiale de Vivendi) au Brésil ou de Wananchi au Kenya.

« Notre ambition est de proposer un réseau internet très haut débit et de réduire drastiquement les coûts des abonnements, car pour le moment les Béninois paient cher des services de qualité moyenne », affirme David Mignot, directeur général de Canal+ Afrique.

D’ailleurs, après l’acquisition des actifs d’EIT, Canalbox a signé, début 2016, un accord avec la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE) afin de déployer dans un premier temps 120 km de fibre optique en l’accrochant aux poteaux électriques de la compagnie publique. En août, 50 km ont été installés à Cotonou, avant que le gouvernement n’ordonne l’arrêt du chantier.

Un déploiement complexe 

« C’est parce que nous avons légèrement modifié le plan initial réalisé avec l’accord du ministère des Travaux publics, mais la reprise des travaux n’est qu’une question de semaines », estime David Mignot. En réalité, le chantier est interrompu parce que aucune des autorisations accordées à Canalbox n’a de base légale. Et même l’obtention en bonne et due forme d’une licence de FAI ne lui permettra pas de poursuivre son déploiement.

« La loi de 2014 autorise les FAI à installer de la fibre sur le dernier kilomètre. Or nous considérons qu’il s’agit là d’un réseau de transport pour lequel il faut une licence d’opérateur d’infrastructure », explique à Jeune Afrique la ministre de l’Économie numérique.

Il n’est pas question de décourager un investisseur qui a les moyens de développer le secteur des télécoms

Si, selon plusieurs sources gouvernementales, Canalbox verra prochainement sa situation de FAI régularisée, le contrat que la filiale de Canal+ a conclu avec la SBEE devrait en revanche être annulé. Cette mesure permettra au gouvernement d’étouffer un second foyer de protestation. L’accord passé par Canalbox avec la compagnie publique d’électricité fait en effet grincer des dents.

Chaque poteau lui est loué 500 F CFA par mois (0,76 euro) alors que son concurrent Isocel, qui souhaite déployer 60 km de fibre optique, a dû accepter un tarif dix fois plus élevé…

« Il n’est pas question de décourager un investisseur qui a les moyens de développer le secteur des télécoms. Ce serait une erreur, car le pays en a besoin », argumente Wilfrid Codjia, le directeur de cabinet de Rafiatou Monrou. Il est donc probable que Canalbox soit encouragé à faire une demande de licence d’infrastructure pour le déploiement de la fibre optique, seul ou en partenariat avec Bénin Télécoms.

Partage du réseau

En contrepartie du précieux sésame, le CNN semble décidé à imposer un partage du futur réseau de fibre optique. « Nous devons éviter de constituer un monopole », explique un conseiller du CNN. Trois réunions ont déjà été organisées sur ce sujet et une quatrième rencontre avec tous les acteurs du secteur a été programmée début octobre. D’abord opposé à tout compromis, Canal+ sera contraint de réviser sa position, sous peine de devoir renoncer à son projet. « Si c’est le cas, des têtes vont tomber chez Vivendi », pronostique un acteur du dossier.

Le Bénin fait en effet figure de test pour Canal+, dont l’ambition est de devenir un FAI dans les 23 pays africains où le groupe est implanté. Plus de 100 millions d’euros pourraient être investis pour acquérir des licences et déployer des réseaux de fibre optique sur le continent.

« À terme, l’objectif est d’avoir environ 1 million de clients dans les zones électrifiées densément peuplées, assure David Mignot. Les foyers qui paient déjà un abonnement aux chaînes de Canal+ sont ceux qui, demain, pourront s’offrir un accès à internet très haut débit pour 20 000 à 30 000 F CFA par mois. » Que Canal+ veuille faire du Bénin sa nouvelle vitrine est une bonne chose. Mais cela ne l’exonère pas de respecter les règles, répondent sobrement les autorités.

Julien Clémençot

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