La nouvelle de son décès, tombée hier, a provoqué une onde de choc dans son entourage.
Des signes de tristesse transparaissent des visages, à l’entrée du domicile de Mounchinpou Seidou, situé dans une vallée au quartier Manka à Foumban. Un groupe de jeunes, agglutinés non loin, ont presque arrêté de faire des commentaires à la sortie des classes, comme ils en ont l’habitude. Les plus âgés d’entre eux, ont les mains croisées sur leur poitrine. Un calme plat y règne, depuis la matinée du 18 janvier 2016, date à laquelle la triste nouvelle a fait le tour des chaumières à Foumban et ailleurs.
A une lisière de l’entrée principale du même domicile, des hommes et des femmes ont du mal à cacher leur consternation. Ils échangent sans certitude, sur la disparition annoncée de leur ‘‘patriarche’’ : ‘Est-ce que c’est vrai ? », s’interroge une dame qui finit par écraser des larmes. L’atmosphère est lourde. Elle est d’autant plus que personne ne peut confirmer ou infirmer la triste nouvelle qui traverse la ville, depuis quelques heures. « Nous sommes là, nous en avons été informés comme tout le monde. Rien n’est précis. J’attends une annonce officielle pour pouvoir faire d’éventuelles déclarations à la presse », précise le frère aîné du défunt, Me Idrissou, fonctionnaire du corps de la justice à la retraite. Non sans ajouter, visiblement affecté que : « Depuis le matin, j’essaye d’avoir mon frère cadet, sans succès. Son téléphone sonne, mais personne ne décroche. Je ne parviens à joindre personne, même ses deux épouses ».
Info ou intox. Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que de source digne de foi, Mounchipou Seidou, 65 ans, a quitté Foumban peu avant la célébration de la fête de nouvel an. « Quand il partait, il ne présentait aucun signe de maladie. Tout ce que je sais, c’est qu’il allait assister aux noces de l’une de ses filles », ajoute Me Idrissou. Nos sources indiquent que M. Mounchipou est arrivé en France. Et qu’il a subi une opération chirurgicale. De quoi souffrait-il ? Tout un mystère plane encore à ce sujet. Des informations en notre possession laissent croire que ce mal aurait eu raison de lui, dans un hôpital toulousain. « Comme mesure conservatoire, j’ai informé les autorités administratives de la ville dont le sous-préfet de Foumban, qui a fait sceller sa chambre ici à Manka. Parce qu’on ne sait jamais », poursuit son frère aîné. Le sultan bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya aurait également était informé. On en repart avec des doutes, pour un décès annoncé à des milliers de kilomètres. Les cœurs ne sont pas tranquilles.
On s’interroge sur la disparition, si elle est avérée, d’un haut commis de l’Etat qui a quitté le bagne de Kondengui, le 26 février 2014. Il venait d’y purger 15 ans de prison dans une affaire de 400 marchés publics passés au ministère des Postes et Télécommunications (Minpostel). Le 7 septembre 1999, le ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel), est interpellé par des policiers des la Police judicaire (Pj) à Yaoundé, puisque cité dans un scandale de marchés publics. Ce qui ébranle la République. Il n’y avait passé que quelques mois [7 décembre 1997- septembre 1999].
L’affaire fait grand bruit. L’ancien gouverneur de la province [ancienne appellation] de l’Extrême-Nord est écroué à la prison centrale de Kondengui, avec ses coaccusés, pour détournement des deniers publics. Plus tard, le Tribunal de grande instance du Mfoundi à Yaoundé prononçait son verdict : 20 ans de prison, assortis de 1 milliard de Fcfa d’amende. En appel, la Cour d’appel du Centre situait sa sentence à 15 ans de prison et 2,5 milliards de Fcfa d’amende. L’un des dignes fils bamoun qu’il était, proche du palais royal, puisque notable de la cour, en sortait six mois avant. Il débarquait d’ailleurs à Foumban sous forte escorte civile, le 1er mars 2014.
Pleurs
On se souvient encore de cette image saisissante, lorsqu’assis sur un tapis de prière, Seidou Mounchipou, arrivé quelques minutes à sa résidence de Manka à Foumban, fondait en larmes. L’ancien pensionnaire de la prison centrale de Kondengui, supportait mal des éloges qu’il recevait du modérateur d’une cérémonie d’accueil, organisée le 1er mars 2014, devant une nombreuse foule attentive. Des gens venus des coins et recoins du département du Noun, pour saluer le retour d’un homme apprécié presque de tous. La résidence de Seidou Mounchipou grouillait de monde.Un moment inoubliable pour une communauté restée longtemps sans son chef, Seidou Mounchipou, connu comme étant le chef du village Manka.
Dans sa posture de chef religieux, le modérateur de cette cérémonie trouvait des mots pour remercier le président de la République, Paul Biya, « apôtre de paix qui, à la faveur de son décret du 18 février 2014 portant commutation et remise de peines, a bien voulu penser à nous. Nous demandons à Allah de lui accorder santé et prospérité et de lui assurer une réussite totale dans toutes ses entreprises ». Les éloges continuaient de monter des baffles. « Combien de Bamoun en général et fils de Manka en particulier, nourrissent leurs familles, parce que fonctionnaires, commerçants, artisans, entrepreneurs etc ? C’est grâce à vous, Nji Mounchipou Seidou. C’est grâce à votre générosité légendaire. Une générosité multidimensionnelle, ressentie tant en milieu familial, scolaire que religieux. A chaque début de Ramadan, les imams de la mosquée centrale de Manka recevaient des paquets de viande…Il y avait parfois un bœuf attaché devant la mosquée », ajoutait le modérateur.
Ce qui ne manquait pas d’affecter M. Mounchipou, qui sortit une pochette de sa gandoura de couleur bleue, pour nettoyer ses narines déjà inondées. Par la suite, il la passa sur le visage, sans donner l’impression de faire disparaître des larmes qui coulaient, progressivement. Quatre hommes en tenue [trois gendarmes et un officier principal de police] observaient attentivement la scène et écoutaient ce qui sortait des témoignages. La cour était pleine. Au point où, quand Seidou Mounchipou prit la parole pour reconnaître l’attention accordée à sa modeste personne, il éclata une fois de plus en sanglots. La foule n’en pouvait plus. « Monsieur le ministre, essayez-vous », avait-on entendu. Mais, il aura délivré l’essentiel de son message : « Il y a 15 ans que ma population ne voyait plus son chef. Telle était la volonté de Dieu. J’ai appris tout ce qui se passait dans l’intervalle. J’ai appris que j’allais sur un fauteuil roulant en prison, que je devais revenir les pieds devant », rapportait M. Mounchipou. Avant de renchérir : « il y a 15 ans que j’ai cessé de communier avec les miens. Ma porte est désormais ouverte et ne sera plus fermée. Si Dieu me donne la possibilité d’avoir un bout de pain, je le partagerais comme ce fut le cas avant, avec tout le monde. Les bonnes habitudes ne changeront pas ».
Parole d’un chef, libre à l’époque. Bien avant, en mi-journée, de nombreux proches accueillaient Seidou Mounchipou dans les encablures du pont sur le fleuve Noun, à une cinquantaine de kilomètres de Foumban. La liesse populaire y était visible. M. Mounchipou donna des accolades. Puis, emprunta sa voiture estampillée Vg en direction de Foumban. Le cortège était constitué d’une trentaine de véhicules. Cinquante minutes après, Foumban était en fête. La ville était impatiente de revoir l’un de ses fils. La rencontre prévue avec le sultan bamoun au palais royale fut annulée, sans que l’on sache pourquoi. A Foumban, proche du palais, Seidou Mounchipou descendit de son véhicule et engagea une marche à pieds. Il salua des gens qui accoururent, le long de la route, sur près de cinq kilomètres. Une grande parade au cours de laquelle une fanfare s’en mêlait. D’un geste de deux poignées refermées, il témoigna sa gratitude à la foule. Il avait es dents bien resserrées. Une manière de dire qu’il est de retour. La marche s’acheva en aval du Mont de la piété. Les véhicules reprirent du service jusqu’à Manka, son village, où il résidait encore. L’autre arrêt, il l’effectua derrière sa résidence, afin de témoigner sa reconnaissance à ses ancêtres.
Malaise
Fin de partie au caveau familial et M. Mounchipou pouvait entrer dans sa concession. Des gens exultèrent comme s’ils eurent affaire à un messie. Des coups de feu partaient de fusils traditionnels. Il fallait passer à l’étape suivante. M. Mounchipou devait se soumettre à l’épreuve de fin d’apprentissage du Saint Coran dont il avait achevé les 60 chapitres durant son séjour au bagne.
Il s’en sortit plutôt bien. D’où son élévation au titre de ‘‘Maleum’’ [quelqu’un qui maîtrise la lecture du Coran]. Il pouvait alors recevoir un turban de ses pairs, autour de la tête. C’est à ce moment qu’un émissaire du sultan fit son entrée : « Le sultan m’envoie souhaiter la bienvenue à M. le ministre. Il vous souhaite un bon retour. En ce moment, il est avec le sous-préfet de Foumbot. Et vous prie de venir communier avec lui demain [dimanche, 2 mars 2014] à 15h au palais », déclara l’émissaire. La foule en voulait aux mots de ne pas avoir la force nécessaire pour traduire l’expression de sa gratitude. Les réjouissances se poursuivirent à Manka, jusque tard dans la nuit. M. Mounchipou venait ainsi de retrouver sa famille, plus libre que jamais. Le destin en a décidé autrement pour un homme flegme qui avait déjà des soucis de santé au cours son incarcération. Le 12 janvier 2012, il avait déjà été victime d’un malaise.
Michel Ferdinand, à Foumban
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