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Moi, Monsieur le Président : je me souviens

Monsieur le Président,

En 2012, vous nous avez gratifiés d’une belle anaphore sur tout ce que vous feriez une fois élu président. Je me souviens surtout de l’engagement n° 50 du candidat François Hollande: « J’accorderai le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidant en France depuis cinq ans ». Cette promesse de réforme, François Mitterrand l’avait déjà faite en 1981. Comme vous, il n’avait pas tenu sa promesse. Quand il s’en est souvenu une dizaine d’année plus tard, il a nommé Kofi Yamgnane secrétaire d’État à l’Intégration auprès du ministre des Affaires sociales.

L’ambition de Kofi Yamgnane était de réconcilier la France avec ses exclus, dont les immigrés. En a-t-il seulement eu les moyens? L’expérience ne dure que deux ans: de 1991 à 1993. Depuis, la gauche n’a plus nommé de Français issu d’un pays d’Afrique subsaharienne au gouvernement. Même la gauche dite plurielle. Qui n’avait de plurielle que le nom.

Monsieur le Président,

Quand votre Premier ministre a dit que votre projet de réforme pour accorder le droit de vote aux étrangers n’obtiendrait pas la majorité au Congrès et qu’elle ne sera pas présentée à la prochaine présidentielle car elle n’est pas une priorité, je me suis dit que vous irez devant le Congrès. Vous y êtes effectivement allé. Et vous avez proposé la déchéance de nationalité des Français bi-nationaux. Pire qu’un reniement, c’est un grand écart qui sonne comme une trahison. Passer d’une ambitieuse réforme de gauche au recyclage d’un projet du Front National…

Monsieur le Président,

Je me souviens que les étrangers, notamment les Africains du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, considéraient le Parti Socialiste et les partis de gauche en général, comme leurs alliés naturels. À l’instar de leurs ancêtres que l’on appelait, dans l’irrespect total de leurs origines diverses, les tirailleurs sénégalais, les Africains de France constituaient un électorat captif. De la chair à voter à gauche. Et nulle part ailleurs.

Monsieur le Président,

Les choses ont changé en 2007. Sitôt élu président, votre prédécesseur a nommé des femmes dont les parents viennent d’Afrique, à des postes ministériels que la gauche ne leur avait jamais proposés, ni à leurs semblables.

Monsieur le Président,

Ceux des Africains qui votent encore à gauche vous ont donné leurs voix, pour mettre fin à la françafrique des bases militaires. Pour que cessent les interventions militaires françaises intempestives, dont la vocation principale est de soutenir, ou imposer des régimes amis: le renversement et l’assassinat de Kadhafi en Libye (qui ont plongé la bande saharo-sahélienne dans l’œil de cyclone du djihad islamiste), le renversement de Laurent Gbagbo pour installer Alassane Dramane Ouattara à la Présidence de la Côte d’Ivoire, sans oublier le soutien à Idriss Déby Itno au Tchad. Vous leur présentez le visage d’un président chef de guerre. Dont les rares succès politiques sont des expéditions militaires. Les clés de la politique française en Afrique sont aux mains du ministre de la Défense: Jean-Yves Le Drian. À leurs débuts, vos campagnes militaires au Mali et en République Centrafricaine semblaient des opérations réussies. Je ne suis pas sûr qu’avec le recul du temps elles sont toujours perçues comme telles.

Monsieur le Président,

Quand les Africains de France parlent de l’Hexagone dans leurs pays d’origine, ils vantent les vertus d’une nation au sein de laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas une simple vue de l’esprit. Pourtant je me souviens des interventions de votre Premier ministre dans le dossier judiciaire de l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala (Breton comme votre ministre de la Défense), alors même que la justice ne lui accorde aucun répit depuis quatorze ans. Dans un registre moins solennel, vos ministres, qui ont échoué à réenchanter le quotidien des Français, se mêlent de la gestion du football pour déterminer, en lieu et place du sélectionneur, quels joueurs méritent ou pas, de porter le maillot de l’équipe de France. Je suis prêt à parier que Denis Sassou Nguesso (président du Congo Brazzaville), Ali Bongo Ondimba (président du Gabon) ou encore Teodoro Obiang Nguema Mangue (fils du président de la Guinée Équatoriale) ont dû vous appeler, pour essayer de comprendre ce qui vous empêche de les débarrasser des juges dans les affaires dites de biens mal acquis, alors que le sport préféré de certains de vos ministres consiste à prendre des libertés avec la séparation des pouvoirs.

Monsieur le Président,

Si je devais résumer ma pensée à ce stade, je dirais que les sujets qui intéressent les Africains dans la relation entre la France et leurs pays sont très loin de vos préoccupations : la fin de la françafrique, la fin du franc CFA, la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans les crimes contre l’humanité qu’ont été l’esclavage et les traites négrières, ainsi que l’engagement d’un processus de réparation au profit des afro-descendants… Ces questions de fond viennent s’ajouter à des problèmes plus basiques, comme les discriminations à l’embauche, dans l’accès au logement, les contrôles au faciès et la représentativité dans le paysage audiovisuel, que la crise syrienne et son lot de migrants ont aggravé.

Monsieur le Président,

Dans un an vous serez probablement candidat à votre propre succession. Certains disent que le ventre qui a porté le 21 avril 2002 est encore fécond. Et que votre présence au second tour de la présidentielle est tout sauf acquise. En attendant d’être en 2017, je me souviens de votre anaphore comme si c’était hier. Ceux des Africains de France qui peuvent voter aussi.

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