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L’économiste Dieudonné Essomba et la question du code pénal

I. SUR LA FILOUTERIE DU LOYER

Le Cameroun marcherait mieux si chacun assumait ses responsabilités. Sans prendre sur moi la paternité de la loi sur la filouterie des loyers, ni même spéculer sur mon rôle sur cette loi, je reconnais cependant que la formulation adoptée dans le code pénal reprend dans les grandes lignes ce que j’avais proposé en deux circonstances. La première était une note formulée au Ministre NGANOU DJOUMESSI sur ce qu’il faut faire pour redresser la situation du logement, dont le déficit se chiffrait à plus d’un million.

La seconde est l’ensemble des recommandations que j’avais formulées au cours des travaux de la réhabilitation de la SIC, comme représentant du MINEPAT au Comité Technique de Réhabilitation. J’avais une bonne expérience de terrain des problèmes de loyer et, contrairement à l’image communément véhiculée, les pires locataires ne se recrutaient pas parmi les pauvres. Ceux-ci avaient tendance à prendre des logements correspondant à leurs niveaux de revenus, même s’ils devaient pour cela se réfugier dans les marécages inondés. Du reste, ils étaient sensibles aux menaces des bailleurs et acceptaient de libérer les logements après quelques mois d’arriérés.

Les mauvais locataires se recrutaient essentiellement parmi les gens qui, soit maitrisent la loi et peuvent en exploiter les failles pour refuser de payer les loyers (magistrats, avocats, greffiers, huissiers de justice, notaires, professeurs de droit), soit ceux qui disposent des pouvoirs évidents de contrainte et contrôlent l’appareil sécuritaire (policiers, gendarmes, militaires), soit enfin qui disposent d’un pouvoir administratif (préfets, sous-préfets, et leurs adjoints). Autrement dit, les « gens en uniforme » qui contrôlent le Cameroun. Mais il faut ajouter toute la faune de leurs dépendants qui les appellent au secours chaque fois qu’ils sont menacés par les bailleurs. On a même vu des cas où certains, utilisant les fautes des bailleurs (qui enregistrent rarement le bail) ou les failles de la loi, contraignaient le bailleur à renoncer à ses droits pendant des années, voire tentaient carrément de s’approprier les logements, quelquefois avec succès.

Dans un pays où tout le monde gémit sur l’absence du logement, comment développer le logement avec un tel modèle ? La protection du locataire allait au-delà de ce que le communisme pouvait envisager même dans ses rêves les plus fous de protection. Il ne faut pas simplement regarder les logements cossus construits par des élites avec des fonds acquis de manière plus ou moins régulière, mais considérer le problème dans son entièreté. Un grand nombre de Camerounais, vivant d’expédients, ont réussi, à coup de sacrifice et d’épargne, de se créer quelques petits logements à Yaoundé, et ces petites chambres, studios et autres deux-trois pièces représentent souvent leur pension. Ce sont ces gens qui vivent dans les quartiers populaires, qui abritent le maximum de la population et c’est surtout eux que cette loi protège.

Une étude avait montré qu’avec un peu d’effort, n’importe qui, disposant d’un revenu et faisant preuve d’une certaine discipline, pouvait construire en ville. Ce sont les menuisiers, pousseurs, maçons, mécaniciens et autres sauveteurs qui suent nuits et jours pour construire dans les quartiers populaires. Or, un grand nombre refuse de vivre cette vie de discipline, attendant d’avoir des millions pour commencer à construire, ce qui ne les empêche pas de refuser de payer le loyer et de transférer sur les autres les problèmes qu’ils ont. Que dire des cas grotesques où des couples de cadres fonctionnaires traînent des années d’arriérés d’un logement construit par un menuisier, au motif étrange que le coût du loyer ne doit pas compromettre son niveau de vie ?

La situation en est advenue au point où se battre pour construire était devenait très peu attractive, aggravant la situation. Il fallait donc agir, afin d’une part, va encourager les bailleurs à construire davantage et à élargir l’offre du logement ; et d’autre part, va pousser les locataires eux-mêmes à penser à construire pour sortir de l’étau de la location.

S’agissant maintenant de la politique du logement social, souvent évoquée, il faut le dire tout net : la configuration macroéconomique ne lui permet pas de fournir des logements sociaux aux Camerounais. Ce n’est pas techniquement faisable, et de manière intrinsèque, tout logement construit au Cameroun ne peut que coûter trop cher, le pays n’ayant pas les moyens opérationnels de procéder aux subventions. A moins évidemment que cela ne s’applique qu’à une poignée de privilégiés, ce qui n’est plus une politique sociale. Par exemple, les maisons SIC avec leur faible coût locatif sont considérés comme relevant de la politique sociale, mais c’est une pure escroquerie, car la modicité même du nombre de bénéficiaires en fait intrinsèquement une rente dont ne peut bénéficier qu’une poignée de privilégiés. On ne peut pas mener une politique sociale quand on est pauvre. C’est par ignorance et défiance de l’analyse économique que le Gouvernement et ses Économistes administratifs s’accrochent à cette lubie. Il faut mettre fin à cette voie qui ne peut que conduire à l’échec. La bonne démarche au Cameroun consiste en deux points :

-l’Etat viabilise des espaces et les distribue aux demandeurs, car c’est le terrain qui est le principal verrou opposé aux constructions. Ces espaces seront facilement accessibles, avec des modalités d’acquisition adaptées à chaque segment social
-chaque bénéficiaire, dans son espace, construit sa maison suivant sa convenance sans trop de contraintes, car les Camerounais ont développé des techniques de construction autochtones qu’ils peuvent mobiliser même en ville.

Il importe assez peu que ces logements soient des villas de luxe ou des maisons ordinaires, l’important étant que ce soit des maisons habitables. Il suffirait simplement de leur imposer quelques règles minimales favorables à la structuration urbaine. C’est un peu la logique qui a prévalu pour les quartiers MAETUR tels que Mendong, Biyem-Asi, etc., mais avec plus de souplesse.

Le Cameroun est un petit pays sous-développé avec une configuration macroéconomique encore trop défavorable qui n’a pas à s’imposer des exigences trop contraignantes de développement. Par vocation, les villes sont faites pour être reconstruites au fur et à mesure que le temps passe. Les maisons qu’on permettra aux Camerounais de construire en leur donnant le terrain qui est le vrai principal verrou seront un jour détruites et remplacées par d’autres plus évoluées. Il s’agit de canaliser l’énergie déployée dans les quartiers populaires et les bas-fonds vers des endroits plus viabilisés.

C’est cela que j’appelais alors la « Politique Sociale Participative du Logement », la seule possible à l’heure actuelle au Cameroun. Ceux qui attendent que l’Etat construise des logements pour les leur distribuer attendront longtemps. L’Etat lui-même vit des prélèvements sur les autres acteurs, il ne crée pas les moyens comme une divinité et on ne voit pas très bien quel secteur dégagera les moyens pour financer cette politique.

Je me résume :
1. Quand j’étais fonctionnaire, j’ai eu à indiquer au cours des études de restructuration de la SIC et dans une note adressée au Ministre NGABNOU DJOUMESSI que l’offre du logement ne pouvait s’accroître qu’en modifiant la loi au bénéfice des bailleurs, car cela les incitait à construire davantage tout en poussant les locataires à devenir propriétaires à leur tour ;
2. Il fallait abandonner la logique traditionnelle de la politique sociale du logement telle qu’elle était perçue, car du fait des moyens très réduits du Cameroun, on ne pouvait satisfaire qu’une poignée de personnes, créant en réalité une niche de privilèges, comme on en voit à la SIC ;
3. Le plus simple était une démarche sociale participative : comme fondamentalement, c’est un terrain viabilisée qui est le principal verrou, c’est sur ce point que l’Etat devait agir. Le social devait donc porter sur l’acquisition des terrains de construction, chaque bénéficiaire se débrouillant comme le font les camerounais dans les marécages ou les dans les villages où tout le monde a son logement
4. La qualité de ces logements ne devait pas être soumise à trop de contraintes, l’essentiel étant le respect de quelques cahiers de charge, étant entendu que par vocation, ce sont des logements qui seront un jour détruits et remplacés par d’autres plus évolués.

C’était cela, ma position, et comme chacun peut le voir, cette position ressortait d’une analyse globale. Comme chacun le sait, un Etat agit par deux instruments : le budget et la loi. Si le Cameroun ne peut pas avoir les moyens budgétaires d’une politique sociale du logement, il peut utiliser ses maigres ressources et la loi pour résoudre le problème du logement social, dès lors que la loi permet des capacités d’initiative des Camerounais. On peut regretter que le Code Pénal, dans sa sécheresse, n’ait pas donné l’occasion de fournir toutes les motivations.

II. SUR LE CAS KAMTO

Il ne faudrait pas lire dans mon discours une absolution de ce qu’on reproche au Pr KAMTO, accusé d’un conflit d’intérêt. Dans mon livre la « Monnaie Binaire » publié en 2010, j’avais traité des six principales sources de la corruption et voici ce que je disais de la cinquième :

5. La corruption « nosocomiale26 » : cette forme nouvelle est directement rattachée aux mesures thérapeutiques du FMI et de la Banque Mondiale et à l’expulsion de l’Etat du secteur productif. Autrefois, celui-ci intégrait toute une chaîne d’activités qui allaient de la conception des programmes de développement jusqu’à leur réalisation effective. Par exemple, le Ministre de l’élevage devait, non seulement concevoir la politique du secteur, mais s’assurer que la production suivait et c’est sur ces résultats palpables qu’il était jugé.

Mais depuis que l’Etat a été chassé des activités de production, son budget s’est retrouvé affecté presque uniquement à des opérations bureaucratiques dites de « régulation ». La conséquence a été le confinement de l’Etat à la paperasse et l’affectation de deux tiers de son volume aux réunions, manifestations festives, séminaires, colloques et autres missions de « renforcement des capacités ». Evidemment, une telle ambiance ne peut qu’aggraver la porosité d’un système déjà défaillant et susciter des détournements massifs, diffus et ubiquitaires de l’ensemble de la haute administration publique, générant une corruption sans visage et pratiquement impossible à combattre.

En outre, pour donner substance à leur fiction du développement d’un secteur privé, ces institutions ont sommé l’Etat de confier les activités traditionnelles d’études et d’analyses à des cabinets privés, développant une forme particulièrement pernicieuse de détournements de fonds. Il faut en effet noter que jusqu’aux années 90, l’Etat africain recrutait pratiquement toute l’élite intellectuelle, la seule qui, présentement, dispose des capacités requises pour mener de telles études.

La démarche des deux institutions a ainsi ouvert une large brèche où se sont engouffrés les gestionnaires de crédits qui n’avaient plus qu’à créer des bureaux prête-noms et faire mener ces travaux par leur personnel avant de les recycler. Une tâche facilitée par la récurrence des mêmes sujets d’étude dont il suffit de copier une version sur Google et de l’adapter.

L’incapacité d’en apprécier la valeur objective, les séductions en termes de « per diem » qui accompagnent leur « validation » au cours des séminaires dispendieux, les recommandations fermes de la haute hiérarchie de ne mener que des « débats constructifs » ont achevé d’en faire la voie royale pour piller l’Etat sans grand risque de se faire attraper.

Mais le plus grave de ces pratiques est l’impact sur l’administration : une expatriation des tâches régaliennes, l’éclatement des compétences et à terme, l’étiolement progressif des capacités opérationnelles de l’Etat.

A cet égard, l’observation des Ministères en charge des économies africaines révèle un constat alarmant. L’attention particulière portée à ces départements ministériels est liée à leur rôle de pilotage des économies nationales qui recoupe les préoccupations de ce livre. La condition minimale de leur succès est la détention d’une expertise pointue, libre et novatrice. C’était le cas naguère : ces ministères regroupaient la crème des économistes d’un pays, des gens capables d’alimenter des débats d’une grande profondeur, de prendre des positions publiques et de faire des publications.

Aujourd’hui, quelques-uns se caractérisent par un profil technique singulier, où des postes éminemment spécialisés se retrouvent entre les mains des gens n’ayant jamais entendu d’une fonction d’utilité. Mais du fait que leur rôle se limite à confier les travaux administratifs à des bureaux privés, tout ce monde estime qu’une formation spécialisée n’est pas nécessaire pour mener de telles missions. Du reste, soutiennent-il, puisque les problèmes de développement touche tous les citoyens, n’importe qui est en droit de les gérer, et toute mise en garde contre cette banalisation de l’expertise ne peut être que du corporatisme…

(Une Voie de Développement pour l’Afrique : la Monnaie Binaire page 222-223, Editions du CAES 2010)

Je m’arrête là. Ce que KAMTO a fait est exactement ce qu’ils font tous, en particulier, les plus diplômés, du Directeur au Ministre. Aucun ne peut montrer patte blanche, et quand Dieudonné ESSOMBA le dit, il faut le croire.

Le cas KAMTO présente cependant un intérêt particulier parce qu’il veut être chef d’Etat et prétend remplacer un régime corrompu par un régime plus sain. Evidemment que dans ces conditions, il aurait dû éviter une zone de fragilité aussi importante. L’accusation du député de l’UPC est un véritable coup de Jarnac, un terrible rappel qu’il fait partie du système et adopte avec autant de ruse et de cynisme les mêmes pratiques que ceux qu’il prétend dénoncer. Le coup sera donc très durement ressenti, en dépit de ses partisans. Le MRC est un jeune parti dont les militants sont encore du genre affectif. Ils lui sont liés soit pour des raisons de proximité communautaire, soit pour son prestige de grand expert en droit, soit pour des liens spécifiques qu’ils entretiennent avec lui. Or, il doit absolument sortir de ce cercle d’adeptes : ces adeptes sont déjà conquis et il n’y a aucun effort à faire pour les maintenir. Mais il ne sert à rien d’avoir un cercle d’adeptes fermés sur lui-même, se rassurant entre eux et incapables de s’élargir.
On peut cependant mettre ce débat dans la cadre des bagarres politiciennes normales menées par la descendance d’Aujoulat dont les divers courants se disputent leur héritage.

Il reste cependant une question essentielle : dans un pays normal, le Code Pénal n’est pas seulement un instrument juridique, c’est aussi et surtout, un instrument économique dont les impacts doivent être évalués a priori. Lors des consultations, a-t-on invité les Economistes ? Si oui, lesquels ?

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