Le procès de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo ouvert le 28 janvier 2016 à la Cour pénale internationale ne cesse de susciter des réactions sur le continent. Dans cette interview, la parole est donnée à Joseph Kokou Koffigoh, ancien Premier ministre togolais et Chef de la mission d’observation électorale de l’Union africaine à la Présidentielle de 2010 en Côte d’ivoire. L’homme parle du procès, retrace l’historique de la crise ivoirienne et propose des dispositions pour renforcer la diplomatie africaine.
En tant qu’avocat, quelles appréciations faites-vous de l’ouverture du procès Laurent Gbagbo le 28 janvier 2016 à la CPI ?
Ce procès m’inspire deux sentiments diamétralement opposés. J’éprouve à la fois de l’écoeurement et un soulagement.
J’éprouve de l’écoeurement parce que de part ma connaissance de la crise ivoirienne et de part l’homme que représente Laurent Gbagbo que ce procès est une honte pour l’Afrique.
J’éprouve un soulagement parce que si procès il doit y avoir (et c’est en cours), alors le monde entier saura la vérité.
Une partie de l’opinion s’accorde à dire que ce procès est mal engagé par le fait qu’une seule partie des protagonistes se retrouve devant les juges. Quel est votre avis sur cette question ?
C’est aussi mon opinion parce que la guerre en Côte d’ivoire a été une guerre civile et non une guerre entre Etats. Dès lors, j’estime qu’il faudrait juger ceux qui sont impliqués dans cette guerre depuis 2002, c’est à dire les ex-rebelles.
Comment réagissez-vous devant l’absence de poursuite à l’encontre des partisans du Président Alassane Ouattara ?
Depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo, le Procureur de la République d’alors (sous Gbagbo, ndlr), devenu entre temps, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait clairement dit que les rebelles sont des libérateurs et par conséquent, on n’aura pas à les traduire en Justice. Vu de l’extérieur, cette situation traduit un échec de l’idée de justice impartiale qui devrait être le mot d’ordre de la Cour pénale internationale. Madame la Procureure de la CPI (Fatou Bensouda, ndlr) a laissé entendre que des enquêtes sont en cours et devraient déboucher sur des inculpations du camp des ex-rebelles, mais tout le monde sait que rien n’a été fait.
Devant un parterre de journalistes en France, le Président ivoirien Alassane Ouattara a dit qu’il « n’enverra plus d’ivoiriens à la CPI” . Quel est votre commentaire ?
Ce qui est souhaitable, c’est qu’il y ait les structures nécessaires pour faire face aux procès et rendre la justice dans chaque pays. Donc, si le Président estime que la justice ivoirienne est maintenant capable de faire face à ses responsabilités, on ne peut qu’en prendre acte. Seulement, il y a des doutes sur sa capacité à rendre cette justice impartiale parce que tous ceux qui ont commis de graves crimes durant l’ex-rebellion ont été tous promus à de grands postes de responsabilité. Je vois mal un Procureur de la Justice lancer un mot de convocation contre les gens qui sont les véritables piliers de l’actuel régime.
C’est vous qui aviez dirigé au nom de l’Union africaine, la mission d’observation électorale de la Présidentielle du 28 novembre 2010 en Côte d’ivoire. Les crimes dont on accuse Laurent Gbagbo sont-ils selon vous justifiés ?
Les crimes existent puisqu’il y a eu des morts et des blessés graves. Mais Laurent Gbagbo n’est pas l’instigateur de ces crimes. J’estime qu’il est l’une des victimes de ces crimes. Les instigateurs sont connus de tous et ce sont eux, les rebelles, qui ont pris les armes, appuyés par une puissance voisine le 18 septembre 2002 contre leur propre pays. Ils ont assassiné le ministre de l’Intérieur d’alors, Emile Boga Doudou. Après, qu’ils aient été repoussés par l’armée loyale, ils se sont repliés au nord et ont coupé le pays en deux. Voilà les véritables crimes commis en Côte d’ivoire.
Quel mot d’ordre aviez-vous reçu avant votre mission si l’on sait que cette élection s’annonçait décisive ?
Personnellement, je n’ai reçu aucun mot d’ordre. J’avais déjà une expertise en matière d’observation électorale et l’Union africaine a placé sa confiance en moi. J’ai juste suivi la feuille de route normale qui se résume en l’obligation de réserves, de neutralité, l’observation impartiale … et je l’ai respecté avec mon équipe.
Pensez-vous que Laurent Gbagbo soit une victime de la fameuse “Françafrique” comme le martèle ses avocats ?
Tout le monde sait que s’il n’y avait pas eu l’acharnement de M. Nicolas Sarkozy (Président français d’alors, ndlr), cette affaire aurait été réglé à l’amiable. Des chefs d’Etat africains ont commencé par se prononcer. Le Président Theodoro Obiang Nguema Mbasogo (de la Guinée equatoriale, ndlr) avait dit qu’ils avaient fait des propositions à la France pour leur dire que Laurent Gbagbo était prêt à quitter le pouvoir si le recomptage des voix lui donnait tord. Et ils (des chefs d’Etat africains, ndlr) avaient proposé à la France de patienter pour que l’Union africaine mette cette proposition en oeuvre. Mais, ils ont eu l’impression que c’est cela qui a accéléré la décision de Nicolas Sarkozy d’en finir en bombardant massivement la résidence de Laurent Gbagbo.
Je n’aime pas le mot “Françafrique”, mais ce qui ce qui est évident, c’est que Nicolas Sarkozy était acharné contre le Président Laurent Gbagbo. Et il ne le nie pas puisque dans les déclarations antérieures, il a reconnu qu’ils ont dégagé Laurent Gbagbo pour installer Alassane Ouattara.
Dans la foulée, les chefs d’Etat et de gouvernements présents lors la session de l’Union africaine du 21 au 31 janvier 2016 ont adopté un plan de retrait de certains pays africains de la Cour pénale internationale. Pensez-vous que cela soit la solution ?
Tout le monde est écoeuré par la manière dont la Cour pénale internationale fonctionne. La Cour jusqu’ici, n’a inculpé que des africains parmi lesquels des chefs d’Etat.
Si la justice internationale est un besoin, l’Afrique peut elle-même satisfaire ce besoin en créant une justice à l’échelle africaine. Pour le cas du Président Hissène Habré, il y a une Cour africaine qui a été créée et qui accomplit son travail. On peut s’en servir comme exemple en créant une Cour pour l’Afrique.
Un constat patent, la diplomatie africaine n’a pas du tout fonctionné durant la crise ivoirienne de 2010. Quels nouveaux mécanismes adopter pour la rendre efficace et adaptée aux différends qui persistent sur le continent ?
Le fait d’avoir laissé bombarder Laurent Gbagbo a permis de bombarder aussi le Colonel Kadhafi en Libye (en 2011, ndlr). Kadhafi a été celui qu’il a été, mais il oeuvrait beaucoup pour contenir les éléments extrémistes qui pouvaient déstabiliser l’Afrique subsaharienne. L’on voit tous aujourd’hui la déstabilisation au Mali, au Niger, au Tchad, etc. L’Union africaine en est conscient. Leur réaction depuis ces évènements démontre que chacun a pris conscience de la faiblesse de la diplomatie africaine.
Maintenant, l’Union africaine souffre d’un défaut de financement par ses propres membres. Il va falloir régler ce problème pour rompre le lien de dépendance avec nos organisations régionales et sous-régionales vis-à-vis de certaines grandes puissances qui trouvent l’occasion de dicter leur loi.
Vous vous réclamez souvent du panafricanisme. Comment faire pour réduire l’ingérence multiforme de l’Occident notamment de la France en Afrique ?
Notre faiblesse économique est un facteur majeur de cette dépendance. Il faut dans ce cas promouvoir la bonne gouvernance, poursuivre notre politique de développement tout en tenant compte des couches les plus vulnérables. Le taux de croissance dans beaucoup de pays africains est intéressant. Donc, la répartition doit être équitable.
Tant qu’on n’aura pas atteint un certain niveau d’indépendance économique et tant qu’on n’aura pas avancé dans le processus d’intégration sur le continent, notre vulnérabilité sera toujours exploitée.
Au Mali comme en Centrafrique, n’eût été l’intervention de la France, ces deux pays auraient sombré dans le chaos. Nous démontrons une faiblesse à faire face aux crises majeures. Tant que cela durera, nous serons toujours à la merci de certaines grandes puissances.
Il faudra donc renforcer notre système sécuritaire, y consacrer les moyens nécessaires et promouvoir notre politique de développement.
Parlons “Sécurité” pour terminer, que faire, selon vous, devant la poussée inquiétante des groupes djihadistes vers le Sud du continent ?
C’est un combat qui doit se mener à l’échelle internationale. Le plan de riposte doit être global et sans état d’âme. Il faudrait mobiliser certes des ressources de défense interne, mais nous ne devons pas hésiter à faire appel à l’aide extérieure. Ces groupes djihadistes sont bien équipés et soutenus. Il faut chercher à couper leur système d’approvisionnement.
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