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L’animisme peut-il sauver le monde ?

« Auprès de mon arbre, je vivais heureux », chantait le poète Brassens qui savait transmettre les émotions profondes suscitées par la nature en général et les arbres en particulier. S’il pleut trop à Paris, s’il ne neige plus demain sur le mont Kilimandjaro ou si le troupeau pastoral se meurt en Ogaden et au Sahel, ne blâmons pas les cieux comme le faisaient nos ancêtres. Ce n’est pas la nature qui déraille. C’est l’homme moderne qui a oublié les lois du vivant et, par démesure et inconscience, provoque pollutions, gaspillages et écocides en tous genres.

A l’heure où la recherche à tout prix des profits dévoie totalement la planète, il serait temps de prêter attention à ceux qui ont inventé des écosystèmes viables et des manières devivre si différentes de celles du consommateur globalisé que nous sommes devenus. Des alternatives existent mais, pour les atteindre, il nous faut d’abord changer de paradigme et amorcer une transformation intérieure. Le romancier et philosophe camerounais Gaston-Paul Effa a emprunté pour nous ce chemin en allant quêter la sagesse millénaire des peuples antiques.

Indispensable initiation

Fils de féticheur, confié à des religieuses alsaciennes installées au Cameroun qui l’envoyèrent poursuivre ses études à Strasbourg pour en faire un prêtre, Gaston-Paul Effa finit par abandonner la voie religieuse et se fit professeur de philosophie. Dans son dernier livre au charme énigmatique Le Dieu perdu dans l’herbe (ou L’Animisme, une philosophie africaine, éd. Presses du Châtelet), l’auteur évoque sa rencontre avec l’animisme, auquel il a été initié par Tala, une guérisseuse pygmée : « Plusieurs saisons, je m’étais immiscé dans l’intimité du peuple pygmée, comme on s’enfonce dans le paysage familier de la terre natale, avec un sentiment aigu de participation à la nature profonde de l’être aumonde. »

Au cœur de la plus épaisse des forêts, Effa va se laisser prendre par la main pour réapprendre tout. Et surtout réactiver ses sens, car tout passe par les sens et non par la raison. S’asseoir dans l’herbe sans appréhension ni précipitation. S’adonner au silence pour remonter à la source d’une parole vivante et d’une relation respectueuse et sensible au monde et à soi-même. « Chez nous, les Pygmées, il ne suffit pas d’être au monde, il faut apprendre à naître. Nous appelons cela l’initiation. »

Loin du traité aride et jargonnant, Le Dieu perdu dans l’herbe fourmille d’évocations sensorielles et poétiques, de conseils pratiques, de proverbes éloquents et d’anecdotes touchantes.

Au fil de la lecture, une idée se fait jour : si l’humain est responsable de la situation dans laquelle nous sommes, ce même être humain est en capacité de donner en partage le meilleur de lui-même, surtout dans l’adversité. Ce qui nous fait le plus défaut, c’est une doctrine ou une philosophie politique à même de prendre le relais des grands discours de la modernité – libéralisme, socialisme, anarchisme, communisme, etc. – tout en plaçant au centre du débat la finitude de notre planète et la nécessité absolue de lutter contre la part sombre de l’homme, le désir de toute-puissance que les Grecs nommaient hubris.

Affranchir l’homme de ses démons

L’animisme pourrait-il remplir ce rôle ? Effa répond par l’affirmative. Ni religion ni philosophie, l’animisme est une compréhension neuve et fine de la nature. Un art de vivre, une invitation à penser sans raison, une pratique quotidienne qui nous apprend à mieux habiter le monde. L’animisme est surtout synonyme d’initiation, d’éveil de l’être tout entier qui ne passerait plus seulement par la raison. Face à notre monde agité et chaotique, l’animisme de Tala déploie sa tapisserie, nous invitant à retrouver l’aspect essentiel des choses, à réapprendre les gestes les plus simples comme respirer, contempler, imaginer, donner du temps au temps.

Instaurant un dialogue entre la philosophie occidentale et cette philosophie pratique d’inspiration pygmée, Gaston-Paul Effa décentre la perspective : et si une nouvelle révolution était en marche ? Et si, contrairement à l’idée reçue, c’était la Nature qui achevait d’humaniser l’homme. Longtemps ignorée, méprisée, cette pensée animiste – considérée par certains ethnologues comme le stade inférieur de l’évolution religieuse – pourrait nous servir de boussole. Mieux, en remettant l’homme à sa juste place, elle pourrait affranchirl’homme de ses démons et sauvegarder la planète.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (J.-C. Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (éd. Zulma).

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