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JO 2016 : l’équipe des réfugiés, dernier étendard de l’idéal olympique

Quand il pénétrera dans le stade Maracana de Rio de Janeiro (Brésil), vendredi 5 août, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (JO), Rami Anis aura une pensée pour son oncle Majad. C’est lui qui, en ­nageur émérite, fit un jour découvrir la natation au petit garçon d’à peine 3 ans, lors d’une compétition qu’il disputait à Alep (Syrie), bien avant le déclenchement de la guerre civile enSyrie en 2011. Vingt-deux ans plus tard, le voici qui s’apprête à prendre part au plus grand événement sportif du monde. « C’est le rêve de tout athlète professionnel de participer aux JO, le mien va devenir réalité. »

Sous les yeux de 3 milliards de téléspectateurs, alors que résonnera l’hymne olympique, le jeune nageur syrien va défiler derrière la bannière aux cinq anneaux entrelacés sur fond blanc – juste devant la délégation brésilienne, qui fermera la marche en tant que pays hôte. A ses côtés, neuf autres athlètes indépendants.

Rami, Yolande, Paulo, Yusra, Yiech, Rose, Popole, Yonas, Anjelina et James. Six hommes et quatre femmes choisis par le Comité international olympique (CIO) pour constituer une équipe représentant les réfugiés. Et, à travers eux, espérer attirer l’attention sur le sort des 65 millions de personnes déplacées dans le monde recensées en 2015.

Geste politique

Parmi ces sportifs, deux nageurs, un marathonien, cinq coureurs de demi-fond et deux judokas. Certains ont fui le Moyen-Orient, d’autres l’Afrique. Certains étaient encore enfants, d’autres avaient déjà démarré une carrière professionnelle.

Tous ont en commun d’avoir voulu échapper aux conflits et aux persécutions auxquels ils étaient exposés. Une équipe miroir des tragédies humaines des XXe et XXIe siècles, où sont représentés, outre la Syrie, l’Ethiopie, la République démocratique du Congo (RDC) et le Soudan du Sud. Thomas Bach, le président du CIO, précisait au moment de la formation de l’équipe :

« Alors qu’ils n’ont aucune équipe nationale à laquelle appartenir, ni aucun drapeau derrière lequel défiler, ni aucun hymne national, ces athlètes seront les bienvenus aux Jeux (…). Ils auront un “foyer” au village olympique avec les quelque 11 000 autres athlètes des 206 comités nationaux olympiques. »

L’initiative a été ébruitée à l’automne 2015, alors que l’Europe faisait face à de nouveaux afflux de migrants, dépassée par l’exode de milliers d’entre eux via la route des Balkans. Après avoir débloqué un fonds d’urgence de 2 millions de dollars (1,8 million d’euros), le CIO a fait appel aux comités nationaux afin d’identifier, parmi leurs athlètes réfugiés, ceux qui étaient susceptibles de satisfaire les critères de sélection aux Jeux.

Dans un premier temps, quarante-trois candidats prometteurs ont été repérés et se sont vu allouer une bourse par la commission Solidarité olympique du CIO. Parmi les critères pris en compte : le niveau sportif, le statut officiel de réfugié (vérifié par les Nations unies), la situation personnelle et le parcours de chacun. L’équipe a finalement été limitée à dix athlètes.

Dix sur les 20 millions de réfugiés comptabilisés à travers le monde, autant dire une goutte d’eau à l’échelle de la crise migratoire. Mais le geste est éminemment symbolique… voire politique, quand bien même la charte olympique érige l’apolitisme en principe fondateur.

« En ramenant ces athlètes aux Jeux, au sport, à la vie (…), nous retournons à nos racines et prouvons réellement que le sport peut servir la société, estime Pere Miro, directeur général adjoint du CIO chargé des relations avec le mouvement olympique et directeur de la Solidarité olympique. Avec cette équipe des athlètes olympiques réfugiés, nous pouvons montrer que le sport a des valeurs, qui sont ces derniers temps parfois mises en doute pour diverses raisons. »

La décision de mettre sur pied, pour la première fois dans l’histoire de l’olympisme, une équipe de réfugiés intervient à un moment où les valeurs fondamentales du CIO sont bafouées et sa crédibilité fragilisée : des athlètes russes ont été exclus des Jeux de Rio après la révélation d’un dopage d’Etat, et des soupçons de corruption pèsent sur l’attribution des Jeux 2020 à Tokyo. Le timing n’a donc rien d’anodin pour l’instance, qui cherche à redorer son image au moyen de cette opération.

« La pire expérience de ma vie »

Depuis l’annonce du CIO, les médias du monde entier se pressent à l’Institut Reaçao, à Jacarepagua, dans l’ouest de Rio, pour entendre Yolande Mabika, 28 ans, et Popole Misenga, 24 ans, les deux judokas de l’équipe. Au risque de rouvrir des blessures mal cicatrisées. Originaires de Bukavu, dans l’est de la RDC, ils ont fui la guerre civile qui a dévasté le pays entre 1998 et 2003. Le conflit armé le plus sanglant dans l’histoire de l’Afrique contemporaine – une « guerre mondiale africaine », diront les experts. Yolande avait 10 ans ; Popole, 8.

Tous deux font connaissance dans le camp de réfugiés de Kinshasa, où ils découvrent le judo. Mais les conditions d’entraînement deviennent chaque jour plus insupportables. « Si on revenait d’une épreuve sans médaille, on était maltraités, nourris seulement d’un peu de pain et de café pendant plusieurs jours », raconte ­Yolande. La jeune femme est à bout lorsque, en 2013, elle se rend avec Popole à Rio pour les championnats du monde. Ils saisissent l’occasion pour faire la belle puis trouvent refuge au sein de Caritas, l’association de défense des droits de l’homme, à deux pas du stade Maracana.

Yolande Mabika, le 13 juillet, à l’Institut Reaçao, à Rio de Janeiro. La judoka de 28 ans a fui la guerre civile qui a dévasté la RDC entre 1998 et 2003.
Yolande Mabika, le 13 juillet, à l’Institut Reaçao, à Rio de Janeiro. La judoka de 28 ans a fui la guerre civile qui a dévasté la RDC entre 1998 et 2003. VINCENT CATALA POUR « LE MONDE »

Rami Anis, lui aussi, aurait voulu chasser les images et les souvenirs douloureux de son périple en posant les pieds en Belgique en octobre 2015 – « la pire expérience de [sa] vie », selon ses mots. « Personne n’aurait envie de garder en mémoire autant de mauvais moments. Mais, depuis mon arrivée, on me les rappelle sans cesse… », souffle le nageur syrien au visage poupin, qui a fui Alep avec sa famille dès l’automne 2011 pourrejoindre la Turquie.

Alors, il répète cet itinéraire dont il a oublié les dates précises : l’attente à Izmir, ce grand port de la mer Egée, la traversée sur un canot pneumatique jusqu’à l’île grecque de Samos, puis la Macédoine, la Serbie, laCroatie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne, et enfin la Belgique. Parfois en train, le plus souvent en bus ou à pied. « On ne mangeait pas bien, on ne dormait pas bien. Parfois, on nous réveillait en pleine nuit pourfranchir une frontière… » Rami a fait le voyage avec son frère cadet âgé de 20 ans, Mohammed, deux mois après leur père. Trop fragile physiquement, leur mère, elle, est restée à Istanbul, où vit le frère aîné.

Rami Anis, le 6 juillet, à la piscine Rozebroeken de Gand (Belgique). Le nageur syrien de 25 ans, qui a fui Alep en octobre 2011, sera aligné sur le 100 m papillon à Rio.
Rami Anis, le 6 juillet, à la piscine Rozebroeken de Gand (Belgique). Le nageur syrien de 25 ans, qui a fui Alep en octobre 2011, sera aligné sur le 100 m papillon à Rio. VIRGINIE NGUYEN HOANG /HANSLUCAS POUR « LE MONDE »

Avant la guerre, l’adolescent était considéré comme l’un des principaux espoirs de son pays en natation. Détenteur des records nationaux sur 50 mètres et 100 mètres papillon, il avait pris part aux championnats du monde de Rome (2009) et de Shanghaï (2011). Sa carrière internationale s’amorçait à peine, tout comme celle de sa compatriote Yusra Mardini, elle aussi sélectionnée dans l’équipe des réfugiés.

A 18 ans, la jeune femme a quitté Damas quelques semaines avant Rami, en compagnie de sa sœur aînée, Sarah. Quand le moteur du canot transportant la vingtaine de migrants est tombé en panne, durant la traversée vers l’île de Lesbos, les deux sœurs n’ont pas hésité à pousser l’embarcation jusqu’à la rive pour éviter un naufrage.

« Je me suis dit que ce serait vraiment honteux de se noyer, en tant que nageuse », racontait-elle devant une foule de médias à la mi-mars, à Berlin, où elle vit désormais avec ses proches. A Rio, Yusra disputera le 200 mètres nage libre. Rami, lui, sera aligné sur le 100 mètres papillon. Installé à Gand, le jeune homme s’y prépare depuis février avec Carine Verbauwen, une ancienne nageuse belge finaliste aux Jeux de Moscou en 1980.

Faire tomber des préjugés

Ce n’est pas la première fois que le drapeau olympique abrite des athlètes qui ne peuvent concourir sous leur propre bannière. Aux Jeux de Barcelone, en 1992, cinquante-neuf sportifs serbes et monténégrins avaient été autorisés à participer de manière indépendante, alors que la Yougoslavie était en guerre.

Cette même année, les athlètes de douze républiques de l’Union soviétique (URSS) disparue avaient composé une « équipe unifiée de l’URSS », représentée par les anneaux olympiques. Huit ans plus tard, à Sydney, quatre représentants du Timor-Oriental, placé sous l’administration transitoire des Nations unies, n’eurent d’autre choix que de s’aligner à titre individuel.

Le recours à cette procédure se justifie aussi lorsqu’un comité national est dissous – ce fut le cas en 2012 pour trois sportifs originaires des Antilles néerlandaises, absorbées par les Pays-Bas deux ans plus tôt – ou bien non reconnu à temps dans les statuts du CIO. A Londres, le mara­thonien Guor Mading Maker n’avait pu ­représenter le tout nouvel Etat du Soudan du Sud, indépendant depuis juillet 2011. Depuis, son pays est devenu officiellement le 206membre du CIO, mais le jeune homme n’a pu se qualifier pour Rio.

Eux non plus ne défendront pas les couleurs sud-soudanaises, mi-août, sur la piste du stade olympique. Paulo Amotun Lokoro, Yiech Pur Biel, Rose Nathike Lokonyen, Anjelina Nadai Lohalith et James Nyang Chiengjiek sont tous issus de ce petit pays miné par des rivalités politiques et des tensions ethniques. Un Etat en conflit permanent qui, après deux décennies de guerre civile (1983-2005), a de nouveau basculé dans la violence fin 2013.

Leur enfance et leur adolescence, ils les ont passées en grande partie au camp de Kakuma, dans le nord du Kenya. Le site, à 90 kilomètres de la frontière avec le Soudan du Sud, abrite près de 180 000 réfugiés. « Ils n’ont rien à faire, la seule activité qui les motive et leur permet de rester actifs, c’est le sport », a pu constater Pere Miro, le directeur de la Solidarité olympique.

Les cinq jeunes gens ont été repérés par ­Tegla Loroupe, la première Africaine à avoir remporté le marathon de New York, en 1994. Ils ont depuis quitté Kakuma pour rejoindre son club d’entraînement près de Nairobi et ont eux aussi intégré l’équipe des réfugiés de Rio, où ils sont engagés sur 800 mètres et 1 500 mètres.

Les coureurs de demi-fond sud-soudanais Paulo Amotun Lokoro, Rose Nathike Lokonyen et Yiech Pur Biel, le 9 juin, lors d’un entraînement près de Nairobi, au Kenya.
Les coureurs de demi-fond sud-soudanais Paulo Amotun Lokoro, Rose Nathike Lokonyen et Yiech Pur Biel, le 9 juin, lors d’un entraînement près de Nairobi, au Kenya. THOMAS MUKOYA / REUTERS

Galvanisée par son rôle d’ambassadrice, Rose Nathike Lokonyen aimerait profiter de cette exposition pour faire tomber certains préjugés : « Etre réfugié ne veut pas dire que vous n’êtes bon à rien, insiste la jeune femme de 23 ans. La plupart des réfugiés ont du talent. Ils n’ont juste pas la chance de pouvoir l’exprimer. »

Yolande Mabika, elle, espère que cette soudaine notoriété planétaire « pourra changer [sa] vie. Peut-être que ça va m’aider à retrouver la trace de mes proches et me permettre de les faire venir ici. » Aujourd’hui Brésilienne, la jeune judokate dit ne plus arriver à se souvenir ni du visage de sa mère ni de celui de ses frères et sœurs. Il y a si longtemps… « Si mon père et mes frères me voient à la télévision, je pourrai leurdonner mon numéro, s’imagine-t-elle. J’aimerais tellement les revoir… » Plus qu’une médaille, ce serait sa victoire à elle : « J’ai tout perdu dans ma vie. Là, je peux peut-être regagner quelque chose. »

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