Le jet privé qui le transportait a atterri à Conakry, en Guinée. Ce départ a déclenché des manifestations de joie dans la capitale.
Il était 20 h 47, samedi 21 janvier, lorsque Yahya Jammeh, de sa main droite brandissant un Coran, a salué une dernière fois son pays, ses partisans depuis l’avion qui le mène vers l’exil. Trente minutes plus tard, le Falcon du président guinéen, Alpha Condé, dernier médiateur de la crise postélectorale gambienne, décollait pour Conakry, première étape de la nouvelle vie de l’autocrate déchu, avant de trouver refuge quelques heures plus tard en Guinée équatoriale.
Les vingt-deux ans de dictature gambienne se sont achevés avec la dramaturgie propre à ce genre d’événement. Sur le tarmac de l’aéroport de Banjul, alors que viennent tout juste de débarquer des touristes en provenance de Bruxelles, des soldats s’effondrent en pleurs, des femmes tombent en syncope, des supporters du dictateur étalent leur tristesse, crient leur colère de voir partir« l’homme qui a fait de la Gambie un paradis, le pays le plus stable d’Afrique ». Tous refusent de donner leur nom. La peur semble avoir changé de camp.
Yahya Jammeh lâché par les siens
Il aura fallu deux derniers jours de discussions sous la menace d’une reprise des opérations militaires de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour obtenir le départ de celui qui a régné sans partage sur le plus petit pays du continent et refusé de reconnaître sa défaite lors de l’élection du 1er décembre. Lâché par les siens, « convaincu d’avoir été victime de représailles de la communauté internationale en raison de ses prises de position », selon un membre de son entourage familial, Yahya Jammeh est arrivé malgré tout à négocier un départ qui lui évite une humiliation et pour l’heure d’éventuelles poursuites initiées par son successeur, Adama Barrow.
La Cedeao, l’Union africaine et les Nations Unies se sont en effet engagées à travailler avec les nouvelles autorités gambiennes pour assurer à l’ancien chef de l’Etat, à ceux qui l’ont servi et à ses partisans leur « sécurité », leur éviter « une chasse aux sorcières » et que « leurs biens ne soient pas saisis ».
Les trois organisations internationales promettent également de faire en sorte « que les pays hôtes qui offrent “l’hospitalité africaine” à l’ancien président Jammeh et sa famille ne deviennent pas la cible de harcèlement, d’intimidation ou toute autre forme de pressions ou de sanctions », et qu’elles œuvreront pour que l’ex-chef de l’Etat puisse « rentrer en Gambie au moment de son choix ».
Le mot d’amnistie n’est pas prononcé mais le président guinéen Alpha Condé, quelques heures avant d’embarquer le despote dans son jet, considérait que « le plus important était d’éviter la guerre. » Tout le monde est d’accord sur l’importance d’accorder à Yahya Jammeh une sécurité financière et juridique. C’est capital pour l’avenir de ce genre de médiation après le précédent – Charles Taylor – l’ex président et chef de guerre libérien qui en 2003 avait accepté de s’exiler au Nigeria pour mettre un terme à la guerre civile dans son pays, avant d’être rattrapé trois ans plus tard par la justice internationale.
« Un rêve, un film, un miracle »
Durant toute cette journée, Banjul, la capitale, est restée figée dans une attente angoissante. Dans le centre-ville désert, pas un magasin n’était ouvert. Amadou Ceesay, un chauffeur de taxi bien en peine pour trouver un peu d’essence estimait que « tant que Jammeh ne sera pas dans l’avion, je ne le croirais pas et ne ferais pas rentrer ma femme et mes cinq enfants. Nous l’avons expérimenté pendant 22 ans, ce type est un caméléon ». Abdoulaye Fall, un jeune « businessman », affichait alors la même prudence circonspecte. Tout juste débarqué du ferry qui l’a ramené à Banjul, il est revenu en éclaireur.
« Jammeh a dit hier – vendredi – qu’il partait mais je n’arrive pas à être 100 % sûr. Quand tout sera réglé, je dirais alors à ma femme, qui est au village, de revenir. »
Alors, lorsque l’avion transportant l’autocrate a traversé le ciel gambien, la capitale s’est mise à respirer mais avec encore une pointe d’appréhension. Des années de peur ne se dissipent pas en quelques minutes. Dans le quartier de Westfield, ce ne fut pas la fête mais tous ceux qui s’étaient massés sur le bord de la route confiaient leur soulagement, leurs espoirs. « Je me sens merveilleusement bien car enfin nous sommes libres, dit Renedy, un graphiste de 24 ans. Désormais, nous allons pouvoir nous exprimer librement. Le pays va enfin pouvoir se développer. La Gambie renaît aujourd’hui et tout doit être changé. »
Nafi, qui à 20 ans n’a elle aussi connu qu’un seul dirigeant à la tête de son pays, a encore bien du mal à croire que cet instant tant attendu est enfin arrivé. « C’est le plus beau jour de ma vie, jure-t-elle. J’ai l’impression que c’est un rêve, un film, un miracle. »
Cyril Bensimon
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