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Fespaco : « Félicité » d’Alain Gomis fera-t-il parler de lui? Rencontre avec le réalisateur

Parmi les films favoris du 25e Fespaco (jusqu’au 4 mars, à Ouagadougou), « Félicité » a remporté l’Ours d’argent du festival de Berlin. Rencontre avec un créateur atypique.

Cette fois, c’est la consécration. En recevant l’Ours d’argent pour Félicité à la Berlinale, Alain Gomis entre dans la cour des grands. Déjà primé dans de nombreuses manifestations avec ses trois précédents longs-métrages, ayant notamment reçu l’Étalon d’or du Fespaco en 2013 pour Aujourd’hui, il franchit un nouveau palier avec le portrait rapproché d’une héroïne peu banale dont le prénom donne son titre au film.

L’histoire peut se résumer en peu de mots. Félicité, chanteuse de bar à Kinshasa, femme forte, libre et fière, voit sa vie basculer quand son fils est victime d’un accident de moto. Pour tenter de sauver la jambe de ce dernier, elle doit trouver l’énorme somme que lui réclame le chirurgien de l’hôpital. Commence alors une course contre la montre dans une ville à l’atmosphère électrique et imprégnée de musique. Une ville où cette femme indépendante rencontre pour la première fois le désarroi, la défaite, mais croise aussi l’amour, le rejet, le rêve, la solidarité ou l’égoïsme.

Accessibles et métaphysiques

Après un début plutôt classique, ce film déroutant emprunte des chemins de traverse, avec des plans et des séquences scandant sans nécessité apparente au premier regard l’avancée de l’intrigue. Un long-métrage passionnant, beau et atypique, à l’image de son réalisateur, un cinéaste dont les œuvres sont à la fois accessibles et métaphysiques, qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre et ne craint pas les plages de silence – même s’il sait exprimer de fortes convictions.

Après son triomphe à Berlin, il pourrait devenir avec Souleymane Cissé le seul cinéaste à être couronné pour la deuxième fois au Fespaco. Il assure néanmoins – et on peut le croire – être insensible aux récompenses, « même si, bien sûr, elles peuvent aider le film ».

Jeune Afrique : Souvent, dans vos films, les personnages se cherchent. Êtes-vous un cinéaste de l’errance ?

Alain Gomis : Peut-être suis-je un instable congénital. En tout cas, je n’ai jamais cherché à occuper une telle position. Ce qui est essentiel pour moi, comme réalisateur, c’est surtout l’étrangeté. Même quand on travaille dans un endroit qui nous est familier, ou sur un sujet qui nous concerne de façon très proche, je crois qu’il est important de pouvoir s’y trouver un peu comme un étranger.

À Kinshasa, on peut être cent fois désespéré et cent fois réconcilié avec l’existence en une seule journée.

Pour redécouvrir ce que l’on n’arrive plus à voir dans son quotidien, ce que l’on a trop bien intégré. Avec un étranger ou en milieu étranger, on est amené à déployer une qualité d’écoute, de dialogue et une disponibilité très particulières.

Félicité n’aurait-il pas pu être tourné au Sénégal, où vous êtes allé vivre après avoir réalisé Aujourd’hui ?

Il aurait même dû être tourné au Sénégal. Les personnages qui ont nourri le sujet du film étaient sénégalais, surtout des femmes dont je suis proche à Dakar.

Alors pourquoi avoir tourné à Kinshasa ?

Pour plusieurs raisons. La principale, c’est ma rencontre avec la musique du Kasai Allstars. C’est comme si j’avais découvert un nouveau territoire, et en même temps un territoire qui m’est absolument familier. Une musique qui confronte la tradition, réinterprétée, urbanisée, et la modernité, qui sent à la fois la forêt et le cambouis.

Avec ces musiciens, on a l’impression d’entendre la musique d’aujourd’hui par excellence, bizarrement, car ils font revivre le passé dans le présent. Ils évoquent ainsi la ville africaine contemporaine, du moins telle que je la vois. Je suis donc allé les rencontrer et ils m’ont très bien accueilli, manifestant leur envie de collaborer avec moi.

Vous faites aussi appel à un orchestre symphonique congolais habitué à jouer de la musique occidentale…

J’ai vu un documentaire sur cet orchestre amateur qui m’a soufflé du seul fait de son existence à Kinshasa, mais aussi par l’excellence de son interprétation de la musique symphonique. Ce n’est pas la virtuosité des musiciens qui m’a conquis, mais l’émotion qu’ils dégagent.

Ces femmes avancent avec des convictions, refusent les petites compromissions, disent plus souvent non que oui. Elles incarnent la droiture, la morale.

Je me suis donc dit, même si ce n’était pas forcément raisonnable, qu’ils pourraient jouer le rôle du chœur du film, au sens où il y a des chœurs dans les tragédies antiques. Ils racontent l’histoire différemment et me permettent de dire au spectateur : attention, il faut voir les personnages comme des héros mythologiques, un peu comme des archétypes.

Ce n’est quand même pas uniquement pour la musique que vous avez tourné à Kinshasa…

Je ne connaissais pas Kinshasa jusqu’à récemment, mais cette énorme mégapole m’intriguait et m’attirait, comme un grand point d’interrogation. J’avais à la fois envie et peur d’y tourner. De mettre en images une ville qui dégage une telle énergie, vit à une telle vitesse, toujours sous tension. Un territoire de tous les espoirs et de toutes les déceptions, où tout est compliqué et tout est possible dans une dialectique permanente.

Où l’on peut être cent fois désespéré et cent fois réconcilié avec l’existence en une seule journée. La population y a intégré le fait que rien ne passera par l’État. Là, demander puis s’asseoir et attendre, c’est mourir. Mais si les vies sont ardues, violentes parfois, elles sont belles aussi. Et pas comme dans ces films, les plus fréquents aujourd’hui, où s’en sortir de façon idyllique consiste à s’extraire de son milieu social. Une horreur !

Félicité n’est pas du genre à attendre… C’est une héroïne typiquement congolaise ?

Non, mes modèles pour ce personnage étaient des proches. Des femmes comme elle, j’en connais beaucoup, et on en rencontre aussi bien à Dakar qu’à Kinshasa. Elles sont fortes, font face aux coups qu’elles reçoivent dans la vie quotidienne, avancent avec des convictions, refusent les petites compromissions, disent plus souvent non que oui, prennent le risque de s’isoler car on leur reproche de n’en faire qu’à leur tête. Pour moi, elles incarnent à leur manière la droiture, la morale.

Mais, on le voit bien avec Félicité, ce sont des femmes qui peuvent avoir maille à partir avec leur orgueil, qui doivent apprendre à aimer. À accepter la vie. J’ai d’ailleurs été influencé à cet égard par la lecture d’un livre du romancier nigérian Ben Okri, La Route de la faim, qui relate le parcours d’un « enfant-esprit », un de ces êtres qui en général font le choix de mourir le plus rapidement possible afin de retrouver leur univers merveilleux.

Dans le roman, l’un d’eux décide de changer de chemin et d’affronter le monde… L’auteur laisse entendre qu’on peut précéder son incarnation, que la vie peut être un choix, mais il évoque aussi cette étrangeté à soi-même dont je me sens proche. Peut-être parce que je suis métis, ne ressemblant ni à mon père ni à ma mère…

Avez-vous songé à proposer le rôle à une chanteuse plutôt qu’à une actrice débutante ?

Après avoir vu des vidéos du Kasai Allstars, j’avais songé à demander à leur chanteuse Muambuyi, qui a un timbre de voix magnifique. Mais après avoir écrit l’histoire, il est apparu que c’était impossible parce qu’elle n’avait plus l’âge du rôle. Alors, j’ai décidé, tout en gardant sa voix, de faire un casting. Et Véro Tshanda Beya, au bout du compte, s’est imposée. J’ai hésité, je la trouvais trop jeune, trop jolie, mais sa puissance m’a aimanté. Elle a bénéficié ensuite de l’appui inconditionnel de Muambuyi.

Votre prochain film sera une nouvelle errance ?

Bien que je sois épuisé à force de me battre pour financer mes films, j’ai plusieurs projets, un en France, un au Sénégal, un aux États-Unis. Le plus probable, si je trouve les moyens nécessaires pour le tourner, car il s’agirait d’un film d’époque, dans les années 1960, c’est le troisième. Un nouveau lieu de tournage, New York, pour un film sur les Africains-Américains, une communauté plus fragile qu’on ne le croit.


FESPACO 2017 : C’EST PARTI !

Du 25 février au 4 mars, Ouagadougou accueille le plus important festival africain de cinéma : 150 films, choisis parmi plus de 1 000 candidats (30 % de plus qu’en 2015), seront projetés dans les neuf salles de la capitale du Burkina, participant à cette 25e édition devant, espèrent les organisateurs, plus de 100 000 spectateurs.

Dans la section phare, celle des 20 films de fiction en lice pour l’Étalon d’or de Yennenga, deux films font figure de favori : Félicité, d’Alain Gomis, bien sûr, mais aussi Praising the Lord Plus One, dénonciation des agissements des prédicateurs par le Ghanéen Kwaw Paintsil Ansah, déjà lauréat du festival en 1989 avec le désormais classique Heritage Africa. Comme toujours, le pays hôte sera bien représenté avec trois films de jeunes réalisateurs en compétition, devant la Côte d’Ivoire, le Maroc et l’Algérie, avec deux longs-métrages chacun.

Une curiosité : le retour du Niger, absent depuis plus de trente ans, avec L’Alliance d’or, de Rahmatou Keïta. L’Afrique lusophone est malheureusement totalement absente et l’Afrique anglophone, à peine mieux lotie.

Renaud de Rochebrune

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