Confiants, mais pas trop ! La presse et les supporteurs se remémorent les victoires de la Mannschaft pour se convaincre que les Bleus sont à leur portée.
Confiants, mais prudents. Les Allemands ne font pas preuve d’un excès d’optimisme béat lorsqu’ils pensent à la demi-finale qui va les opposer demain à la France dans le stade Vélodrome de Marseille. Le quotidien populaire Bild a bien essayé, mardi matin, de gonfler le moral de ses compatriotes en rappelant que la Mannschaft avait battu depuis 1972 tous les pays hôtes qui avaient tenté de lui barrer le chemin de la victoire, mais son article intitulé dans la langue de Molière « Adieu, les Bleus ! » ne semble pas avoir convaincu la majorité de ses nombreux lecteurs.
« La France est une grande nation du football, reconnaît Franz-Joseph Adler, un fan du Borussia Dortmund qui vient d’acheter à sa fille un maillot de son équipe nationale. Vous avez très bien joué contre l’Islande et nous avons des problèmes avec les blessures de plusieurs de nos joueurs. Je suis donc impatient de voir ce match. Je pense que le jeu va être très ouvert. Cela sera vraiment du 50/50. »
Inquiétudes
Ce quinquagénaire grisonnant n’est pas le seul à faire preuve de circonspection à Munich. « Cette rencontre sera très serrée, confirme Korbinian, le vendeur de la boutique officielle du TSV 1860 München, l’autre club de la capitale bavaroise un rien écrasé par la machine à gagner qu’est le FC Bayern München. La France n’est pas une équipe comme les autres, car vous êtes le pays hôte et vous avez de grands joueurs comme Paul Pogba ou Antoine Griezmann. Vos défenseurs semblent un peu plus faibles que vos attaquants, mais je pense qu’on gagnera seulement 2-1 durant les prolongations. »
La presse allemande fait preuve également d’une grande prudence. « Quatre des treize joueurs qui l’ont emporté contre l’Italie ne seront pas sur la pelouse face à la France », s’alarme la Süddeutsche Zeitung. La Frankfurter Allgemeine Zeitung se demande, pour sa part, si le sélectionneur, Joachim Löw, va parvenir à trouver « un nouveau numéro 6 » capable de remplacer au pied levé Sami Khedira blessé.
Les attaquants français inquiètent également les experts. « Giroud, Pogba, Payet, Griezmann, énumère l’hebdomadaire Die Zeit, chacun de ces joueurs pouvait déjà être décisif à lui tout seul. La mauvaise nouvelle pour la Mannschaft : maintenant, les grands individualistes de l’équipe française sont entrés en harmonie. » Le tabloïd munichois TZ se veut toutefois plus rassurant : « La balance penche pour nous (car) la dernière défaite contre la France (en compétition officielle) date d’il y a cinquante-huit ans. »
Oui, mais la glorieuse incertitude du sport n’a que faire des statistiques. « Regardez face aux Italiens, rappelle le vendeur de maillot. Les chiffres ne nous donnaient pas gagnants, mais nous les avons tout de même battus en quart de finale. Sans vouloir enfoncer de porte ouverte, une demie est un match de 90 minutes durant lequel tout peut se passer. » Nerveux au volant de son taxi, un chauffeur au fort accent bavarois pense, lui aussi, que l’Allemagne va gagner « mais cela ne sera pas facile, car les Français sont très, très forts ».
Oublier Séville !
La charge émotionnelle de cette rencontre est toutefois bien moins forte en République fédérale que dans l’Hexagone. La demi-finale de la Coupe du monde à Séville en 1982, durant laquelle Harald Schumacher a grièvement blessé Patrick Battiston, est tombée dans les abysses de l’oubli chez nos voisins. « Lorsque nous avons réalisé en 2014 le projet FREE (« Football Research in an enlarged Europe ») qui visait à analyser les dimensions socioculturelles du football dans l’UE, nous avons constaté que les deux tiers des Français se souvenaient du match de Séville contre à peine un tiers des Allemands », révèle Albrecht Sonntag, un sociologue qui enseigne à l’école de management ESSCA d’Angers.
Cette amnésie collective n’est pas uniquement due au passage du temps. « La Coupe du monde de 1982 n’a pas laissé de bons souvenirs en République fédérale, ajoute l’universitaire. Nous avons perdu la finale contre l’Italie et la RFA était une équipe désunie. Cinq joueurs avaient obtenu des primes supérieures à celles de leurs coéquipiers et l’entraîneur ne contrôlait pas ses stars comme Karl-Heinz Rummenigge. »
Les Français ont meilleure mémoire. Et pour cause… « Vous n’avez jamais eu l’occasion de laver cet affront, souligne Albrecht Sonntag. Lorsque vous avez gagné l’Euro en 1984 et le Mondial en 1998, vous n’avez pas joué contre l’Allemagne. » Le choc de Marseille pourra, peut-être, permettre de « boucler la boucle » et de fermer le douloureux chapitre sévillan.
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