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Désabusés, les Marocains se détournent des législatives

Les législatives, qui se tiennent au Maroc le 7 octobre, sont présentées comme un face à face entre le PJD et le Parti authenticité et modernité. Mais la clé du scrutin n’est-elle pas à chercher du côté de l’abstention ? Rencontre avec des électeurs.

Lorsqu’on marche dans les rues de Casablanca, il est bien difficile de deviner que les élections législatives vont avoir lieu dans quelques jours, le 7 octobre. Les affiches de campagne se font rares, puisqu’elles ne peuvent être placardées que dans les lieux autorisés. Seuls quelques militants du PAM, le Parti authenticité et modernité, une formation d’inspiration libérale qui espère prendre le pouvoir aux islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), distribuent des tracts de porte en porte. Dans une autre permanence, celle de l’Istiqal, l’un des partis historiques marocains, il n’y a pas âme qui vive.

« Il n’y a pas de changement »

Du côté des électeurs, l’engouement n’est pas non plus au rendez-vous. En promenade sur la corniche de la ville, Kamal Salmi et sa femme Hind Benkirane l’annoncent sans détour : ils n’iront pas voter vendredi. « On ne fait pas confiance aux partis. Tout ce qu’ils disent, ce sont juste des paroles en l’air », expliquent-il passablement blasés. « On a voté pendant longtemps, mais on a vu que cela ne donnait rien. » Ce couple de Casaouis s’inquiète surtout pour le futur de ses deux enfants : « Les politiques devraient avoir d’autres priorités. La santé par exemple. Ce qu’on voit dans les hôpitaux est catastrophique », insiste le père de famille, commercial de profession. « Il y a aussi le problème de l’éducation. Celui qui n’a pas de moyens est obligé de mettre ses enfants dans le public et cela n’apporte rien de concret. Nous, on leur paye des études privées. Nous n’attendons rien de l’État. »

Zina Bacri, une femme au foyer, partage ce mécontentement. Mère d’un jeune garçon, elle constate qu’il n’a pour l’instant pas d’avenir : « J’aimerais que tous les jeunes aient un boulot. Le mien a fait des études, mais cela fait trois ans qu’il est à la maison et qu’il ne travaille pas. Il n’y a pas de changement, alors moi aussi je ne vais pas voter ». Lors des dernières élections législatives, cette quinquagénaire avait pourtant déposé son bulletin dans l’urne, soutenant, comme la majorité des Marocains, le PJD d’Abdelilah Benkirane qui avait remporté un succès historique. Mais après cinq ans de ce parti au pouvoir, elle affiche sa déception : « J’avais cru à ses promesses. Je pensais que peut-être cela allait s’améliorer mais il n’a rien fait sauf pour lui ».

Look dernier cri, lunettes de soleil sur le nez, Nizar, 40 ans, fait lui aussi partie des déçus des islamistes du PJD. « J’étais pour le PJD pendant un certain temps mais, aujourd’hui, c’est terminé. Ils ont perdu beaucoup de soutien. Les projets qu’ils ont lancés n’ont pas profité aux citoyens, mais surtout aux investisseurs », explique-t-il. « Ma voix a finalement la même valeur si je vote ou si ne vote pas, car au final ce sont toujours les mêmes magouilles. »

UNE AFFICHE ÉLECTORALE POUR LE PAM, UN PARTI FONDÉ EN 2008 PAR UN PROCHE DU ROI, FOUAD ALI EL HIMMA

© Stéphanie Trouillard, France 24

« Je ne vote pas parce qu’ils ne font rien »

Du côté des jeunes, c’est le même manque de confiance. Lorsqu’on demande à Amine, Aya et Samir, trois amis d’une vingtaine d’années, s’ils vont aller voter, ils vous regardent d’un air éberlué, comme si la question n’avait aucun sens. « Bien sûr que non ! », répondent-ils en chœur. « Walou, walou ! », répète Amine pour signifier que les politiques, tous partis confondus, ne font rien. Pour lui, les élections ne devraient même pas avoir lieu : « On pourrait utiliser l’argent pour organiser le vote pour des chantiers qui peuvent servir à la population ».

Dans tous ces témoignages, le même sentiment, celui d’être délaissé. Et pour certains, le constat a un goût encore un peu plus amer. Gardien de parking, Kamel Ajdour se bat au quotidien pour gagner un peu d’argent. « Regardez l’état dans lequel je suis. Si je tombe malade ou si je ne travaille pas, il n’y a personne pour venir m’aider », raconte cet homme âgé de 30 ans, mais qui en fait beaucoup plus. « Regardez dans la banlieue de Casa. C’est toujours les mêmes problèmes de pauvreté et de chômage. Les politiques gagnent les élections et après on ne les voit plus. Je ne vote pas parce qu’ils ne font rien. »

UNE PERMANENCE DU PARTI DE L’ISTIQLAL. IL AVAIT ÉTÉ FONDÉ EN 1943 POUR OBTENIR L’INDÉPENDANCE DU MAROC.

© Stéphanie Trouillard, France 24

Des électeurs indécis

Qui va donc aller déposer son bulletin dans l’urne ? Il s’avère en effet compliqué de trouver un citoyen marocain un tant soit peu motivé par les élections législatives. M.S., un jeune technicien spécialisé qui préfère rester anonyme, finit par avouer que lui ira dans son bureau de vote. « Mais je ne me suis pas encore décidé pour qui. Je vais voir dans les prochains jours le programme des partis. S’il y en a un qui me convient, je voterai pour lui », souligne-t-il sur un ton très méfiant sans vouloir plus entrer dans les détails.

Mohammed Allali, un entrepreneur, est bien le seul qui paraît intéressé par le scrutin : « C’est évident que je vais aller voter ! », déclare-t-il avec un grand sourire. Mais ce sexagénaire est lui aussi très indécis. Il affirme qu’il ne soutiendra pas le pouvoir en place, mais ne cite pas ses préférences pour d’autres partis. « Tout ce que je sais, c’est que je veux du changement pour améliorer la situation actuelle. Pourquoi pas des gens qui n’ont jamais gouverné ? »

Même si la plupart des spécialistes annoncent une confrontation entre les islamistes du PJD et les libéraux du PAM, le spectre de l’abstention plane donc bel et bien sur ces élections. Combien des 16 millions de Marocains appelés à voter se déplaceront pour élire leurs 394 députés ? En 2011, le taux d’abstention avait déjà été très élevé (55 %), même s’il avait connu un recul par rapport à 2008 (63 %).

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