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BURUNDI: éclairage du Dr. Shanda Tonmè dans un entretien avec Nestor Ngah Etoga

1 – Que pensez-vous de ce qui se passe au Burundi, notamment en ce qui concerne le coup de force raté ?

C’est suffisamment triste pour l’Afrique pour que les nombreuses condamnations entendues dans le peuple à la base ainsi que chez la majorité des leaders d’opinion et des membres de la société civile, soit compréhensible. Nous avons vécu-là, un cas d’école qui met en exergue le dicton selon lequel, « comparaison n’est pas raison ». Tout le monde ou presque s’attendait à revivre l’exemple du Burkina des 29 et 30 octobre 2014 qui a entraîné le renversement de Blaise Compaoré. Hélés, nous n’y sommes pas.

2 – Qu’est-ce qui peut expliquer cette variation ?

Je pense profondément, et je l’ai souvent martelé à souhait, que les Africains, en fait chaque peuple devrait, doit œuvrer avec ses propres forces et ne compter que sur ses propres forces, pour créer les conditions des mutations politiques qu’il souhaite pour son destin. Ensuite, il me semble maintenant illusoire, d’engager une épreuve de force politique sans s’assurer qu’un minimum de conditions objectives favorables au changement existe effectivement. Ceci suppose une maîtrise concrète des acteurs directs et indirects de la scène nationale.

3 – Voulez-vous dire que les opposants burundais n’ont pas été assez prudents ?

Si vous voulez, c’est un peu de cela qu’il s’agit. Mais l’essentiel reste la configuration ethnique des pouvoirs, et l’orchestration d’un tribalisme outrancier dans la composition des forces de sécurité. IL faut observer deux choses : la première c’est que la démocratie et l’alternance qui semble être son corollaire le plus emblématique, ne sont plus qu’un vulgaire étendard de face, lorsque le pouvoir prend le caractère d’un bijou du village, du trésor d’une tribu. A ce moment-là, toutes les structures de la République, tout l’appareil étatique, tout le système administratif, se comporte comme un virulent bouclier obscurantiste et conservateur au service du village et chargé de défendre le village. La deuxième chose, n’est que la conséquence de la première, c’est-à-dire l’articulation des forces de sécurité. En effet celles-ci cesse d’être au service du pays, et devient un instrument fonctionnant comme une grande milice au service d’un village, d’une tribu, et décidée à barrer la route à tout ce qui toucherait à la survie du chef du village.

4 – En fait vous soulignez-là le rôle des forces de protection des chefs d’Etat ?

Effectivement, mais pas seulement. Au Burkina comme au Burundi, il faut bien se rendre à l’évidence que c’est à l’armée privée du chef de l’Etat, qu’est revenue la responsabilité de décider du destin du pays. Dans les deux cas, c’est un ancien chef d’Etat-major qui s’est présenté initialement comme leader spontané d coup de force. Au Burkina, l’affaire a failli capoter également et n’a finalement réussi, que parce qu’au sein même de la garde présidentielle, il existait des rancoeurs, des instincts de vengeance. Le fameux colonel Djilda, devenu premier ministre, est un ancien prisonnier de Compaoré qui ne le portait pas très haut dans son estime. Donc, là-bas, c’est allé tout de suite dans le bon sens, après que la garde ait fermé le bec de l’ancien chef d’Etat-major. C’est le triste constat qui faut que l’armée réelle, celle qui a les moyens, des grands moyens, est l’armée privée du détenteur du pouvoir. Le reste est une horde de soulards laissée en villégiature, déprimée et dépravée, sans discipline aucune.

5 – Est-ce à conclure que rien n’est passible sans l’armée ?

Je crois profondément que cette affirmation que font certains, y compris hélas certains supposés experts, est fausse. Quelle que soit la puissance de l’armée, la révolution est possible et le changement radical d’un régime accessible sans elle et malgré elle. Prenons le cas du Burkina. Les militaires n’entrent dans le jeu qu’après que le peuple ait assiégé et brûlé l’assemblée, pris les rues, procédé à des premières arrestations de certains pontes du régime. Il faut donc un soulèvement massif, ordonné et bénéficiant de planifications réelles impliquant l’organisation institutionnelle concrète. S’il y a confusion et hésitations, alors l’armée bombe le torse et serre les rangs. C’est le spectacle vécu au Burkina. Par ailleurs, il s’agit d’un pays où il y a eu trop de crimes de sang diligentés par le régime et tout cela pendait dans l’air. Il faut en plus noter la détermination de ce peuple qui semble exceptionnel. Mais en fait d’exceptionnel, on ne peut pas le dire, car quand les nationalistes camerounais par exemple se lèvent à partir de 1955, ils sont eux aussi exceptionnel en Afrique francophone pour le discours nationaliste pur, l’engagement, et plus tard la guérilla.

6 – Comment interprétez-vous la réaction de la communauté internationale et pourquoi n’a-t-elle pas soutenu les auteurs du coup ?

Il faut cesser une fois pour toute de croire au père noël. J’ai même entendu quelqu’un regretter que les tanzaniens n’aient pas pris la décision de retenir le président Burundais comme un prisonnier pour l’empêcher de rentrer dans son pays. Il n’y a que les idiots pour continuer de penser que nous sommes en présence de chefs d’Etat. Il s’agit d’un syndicat du crime, une association de malfaiteurs comme on en trouve avec des gangs de sanguinaires et de braqueurs. Au fait le parallèle n’est ni excessif ni injurieux, parce que dans un cas comme dans l’autre, les citoyens sont dépravés de leur patrimoine, les lois sont violés. Tous ont commis les mêmes fautes, ont les mêmes ambitions, et travaillent à enfoncer l’Afrique.

7 – Et à propos des grandes puissances alors ?

Mais qu’en attendez-vous vraiment ? Nous devons savoir ce que nous voulons à la fin. On ne se lève pas un matin pour dire que l’on va renverser un pouvoir an ancré là depuis des décennies ou depuis des années, comme si on allait dans son champ sans maître envahi par la broussaille pour cueillir des mangues sauvages. La conquête du pouvoir est une affaire autrement plus sérieuse et non de la littérature, de la gesticulation, de la pantouflarde limitée aux purs apparats et déclarations d’intention. Pour ce que nous appelons souvent nos amis internationaux, ils savent bien ce qu’ils font. Cela me permet de revenir sur le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. C’est le premier homme blanc à avoir parlé franchement aux Africains, à avoir invité les jeunes Africains au réalisme, à se soulever et à prendre leur destin en mains. Hélas, les champions de la polémique, sans jamais pour certains avoir lu le discours, ont préféré s’accrocher sur une petite phrase de ce discours, pour développer une polémique inutile. Que chacun aille relire ce discours sur le net et fasse son examen de conscience. On ne va pas refaire le monde. L’Europe nous a colonisés, et les blancs nous ont fait esclaves. Si un Africain est très fâché, qu’il commence dès maintenant à préparer la colonisation de l’Europe et la traite des blancs comme esclaves dans dix, cent voire cinq cent ans.


8 – Mais ce que vous dites est très grave et même provocateur ?

Pas du tout, monsieur Nga et je crois que vous me connaissez bien. Lula l’ancien président brésilien avait déjà fait la même remarque ou presque. Ce n’est pas avec les trouillards, les génocidaires, les bavards et les fuyards que j’entends et que je vois tous les jours, que l’Afrique va s’en sortir, va devenir autre chose qu’un monde véritablement à part avec une culture sauvage où le pouvoir est perçu comme un bien privé. Remontez un peu le temps, et vous découvrez que ni Diouf ni Wade ne voulait vraiment partir du pouvoir. Ils y ont été un peu contraints. Pour Wade alors, c’est une honte éternelle, lui qui a voulu se faire succéder par son fils, lui l’agrégé de droit, l’agrégé d’économie, l’Avocat, le savant. C’est triste. Avez-vous vu à quoi ressemble cet idiot de président burundais, pas différent d’un tueur en série et à la machette. Soyons sérieux.

9 – Quelle leçon faudrait-il en tirer définitivement ?

Je reviens à ce que je vous ai dit. Il faut compter sur ses propres forces et travailler à construire de véritables forces sociales de changement. Quoiqu’il advienne, ce criminel burundais sera chassé du pouvoir et c’est à peu près certain. Il ne pourra pas tenir ainsi indéfiniment et même son affaire de troisième mandat, ne tiendra pas longtemps la route. Les profondeurs révolutionnaires sont comme des magmas en mouvement d’un volcan dans les profondeurs marines. Elles finissent toujours par exploser et par tout dévaster comme dispositif physique et écologique à la surface.
Maintenant, il est important que les autres potentats à côté qui portent les mêmes ambitions, ne se frottent pas les mains en disant qu’il suffit de bien entretenir sa garde ethnique prétorienne pour s’en tirer à bon compte et déjouer les projets de coup d’Etat. C’est évident pour les deux Congo et les autres. La marche de l’histoire est inéluctable vers des bouleversements et des mutations politiques radicales, particulièrement en contexte de gouvernance autocratique.

10 – Est-ce à conclure que nous allons assister à d’autres événements du même genre ?

Il n’y aucun doute qu’il en soit ainsi. Si l’on prend le Togo, voire le Bénin, tout ce qui est fait en ce moment prépare et attise des soulèvements violents à très brève échéance. Croyez-vous que les gens vont se contenter de la dynastie Eyadema qui confisque leur destin, ou encore le grand Boni Yayi qui manipule les insinuations. A un moment l’Afrique va replonger dans un mouvement de contestation et d’exigence de changement qualitatif généralisé comme en 1990.
Il y ‘ a toutefois une condition cruciale. Il s’agit du renouvellement de la classe politique de l’opposition. Un ami me faisait remarquer récemment, que nous nous plaisons à saluer et à tirer des leçons de l’expérience du Nigéria où une alternance parfaite vient de se produire au sommet, mais nous taisons sur les leçons à tirer des récentes élections en Grande Bretagne où les principaux leaders d’opposition battus ont démissionné pour laisser la place à du sang neuf à la tête de leur parti. Chez nous justement, le constat est pathétique. Ce sont les mêmes qui trônent à la tête de leur parti depuis leur création en 1990. Ils ont pourtant été battus à maintes reprises. Le tout n’est pas de dire que les élections sont truquées, il faut aussi admettre que les stratégies de travail politique ont échoué et qu’il faut de nouvelles personnes. A la fin, on n’est pas différent des Chefs d’Etat que l’on dénonce.

11 – Que répondez-vous à ceux qui pensent que la solution vient encore des pouvoirs en place ?

Oui, c’est une école de pensée qui gagne du terrain, mais je vous fais remarquer qu’elle n’est pas nouvelle. Effectivement, au regard de ce qui vient de se passer au Burundi, les révolutions de palais sont envisagées comme une forme de transition en douce proche d’un accouchement sans douleur. On a vu ce scénario au Niger, mais le préside avait été tué par sa garde, ce qui n’est pas vraiment dans l’ordre des choses qu’il faut souhaiter. Chaque fois qu’il y a mort d’homme, il y a échec de l’approche consensuelle de la gouvernance politique et sociale. Cependant, si des arrangements peuvent intervenir à un haut niveau entre les divers clans, réseaux et centres de décision qui influencent, tiennent, manipulent ou orientent le pouvoir suprême, tant mieux. C’est vrai qu’à ce moment-là, il resterait à travailler à la configuration de nouvelles institutions effectivement démocratiques. En somme, une révolution de palais n’est acceptable et viable comme solution, si et seulement si les auteurs s’en remettent après au peuple pour le dessin de nouvelles institutions, pour un arbitrage populaire et souverain sur le choix de la forme de l’Etat, du type de système, et des modes d’expression et de consultation.

12 – Comment y parvenir ?

Ecoutez, compte tenu de l’extrême tribalisation des forces de sécurité et même de l’administration publique dans ces systèmes de gouvernance autocratiques, il est capital qu’il se construise sur la durée et à partir de stratégies appropriées, une parfaite symbiose entre les forces politiques et les forces de sécurité. Cela veut dire quoi de concret ? Cela veut dire simplement qu’il convient de partir de l’idée selon laquelle, on travaille pour une démarche largement inclusive prenant en considération tous les corps constitués, tous les citoyens à partir d’une sensibilisation sur notre destin commun. De même, on doit pouvoir générer des leaders d’opinion et un discours qui élimine les subjectivismes ethniques, même si en réalité nous devons rester conscients.

13 – Justement, à propos de ces subjectivismes ethniques, comment s’en passer ?

Non, je ne demande pas de les ignorer. Vous ne pouvez pas demander à un enfant qui a été trois fois admissibles au concours de l’ENAM (école d’administration et de magistrature au Cameroun) et qui a été recalé à cause de ses origines ethniques, d’abandonner sa mémoire, d’effacer l’histoire, de passer un trait absolu. Ne faisons pas comme aux Etats unis où certains croyaient qu’avec l’avènement d’un Noir (Obama) à la Maison Blanche, la question du racisme était résolue. Que ce soit au Congo, au Cameroun ou en Centrafrique, nous faisons face à des réalités qui cadrent avec le niveau d’instruction, d’émancipation et de culture politique des citoyens, de a majorité des citoyens. Ce qui est en cause, c’est notre perception d’ensemble, de la notion d’intérêt public, du bien public, de l’administration publique et du destin national.

14 – A votre avis, qu’est ce qui justifie les échecs si l’’on peut le dire ainsi, de notre intelligentsia dont nombreux sont pourtant des conseillers des chefs d’Etat ?

Intelligentsia ne veut rien dire en réalité, de même que les diplômes sont une simple indication de l’intelligence et non de toute l’intelligence ni de la sagesse. L’erreur consiste justement à remplir les cabinets connus ou occultes des dirigeants avec ces bavards dont la plupart demeurent de piètres praticiens sociaux. On ne fabrique pas une marque de vêtement ou de produit avec les diplômes que l’on se contenterait d’introduire dans une machine ou qui posés sur une table voire simplement affichés sur un mur, serait suffisant.

Non et mille fois non, pour la priorité à des réflexions ou des stratégies fondées sur les qualifications académiques. Ce dont nous avons besoin, c’est des gens courageux, honnêtes, capables de comprendre ce que l’intérêt public, la chose publique et le destin d’une nation signifient. On ne peut pas faire de l’opposition pour se faire voir, pour obtenir des subventions et des invitations à l’étranger, ou encore pour être tous les jours à la tribune des défilés officiels et des cocktails budgétivores et ostentatoires qui vont avec. C’est autre chose. Il en va de même, quand certains croient qu’il suffit de fuir son pays parce que l’on ne parvient plus à joindre les deux bouts, à s’installer à New York, à Paris, à Genève ou à Berlin, et commencer à agiter un faux chiffon rouge sur internet pour se dire opposant. C’est autre chose une fois de plus.

15 – Alors, que faire ?

Mais cher ami, c’est vous qui me demandez ce qu’il faut faire, alors que nous sommes ensemble tous les jours ? La seule réponse qui vaille et qui tienne la route c’est de travailler, travailler pour le long terme et pour le salut collectif. Quand avons-nous réellement commencé à parler de changer la société ? Quelle cathédrale avons-nous déjà érigé ? Qu’avons-nous déjà constitué comme héritage pour la postérité ? Il faut aller voir les monuments en Europe, en Asie et ailleurs, et revenir humblement fermer son bec, se mettre au travail et envisager demain et le bonheur sur plusieurs siècles. Voilà ce qu’il faut faire concrètement. Les monuments, les champs de manioc, les murs des écoles, les autoroutes, les ponts et les usines sont visibles, laissent des traces, perpétuent l’œuvre et la bravoure humaine. C’est cela la voie vers la solution. Laissez les dictateurs où ils sont, et mettez-vous au travail. Nous n’avons pas d’autre alternative crédible et salvatrice. Les Compaoré et autres machins du Burundi sont des épiphénomènes dont l’histoire aura de la peine à retenir les noms. IL y a bien eu Adolphe Hitler en Europe, avec les monstrueuses destructions et les génocides, mais cette même Europe n’est-elle pas à la pointe de l’évolution du monde, de la technologie ?

Poutine Vladimir disait le 9 mai dernier lors de l’anniversaire de la fin de la guerre de 1939-1945, que la Russie a appris des leçons définitives et très importantes pour la sécurité de son peuple et de son territoire avec cette guerre, et par les destructions qu’elle a subie, étant la nation qui a défait la machine militaire nazie, et celle qui a payé le plus lourd tribut. Nous devons pouvoirs nous aussi, émerger avec de tels dirigeants, parler de nous et de notre histoire, avec les résultats probants malgré les malheurs, et non chanter tous les jours des insultes contre nos anciens et nouveaux supposés oppresseurs./.

Ngah Etoga est Journaliste, représentant de l’agence Anadolu agency
Agence officielle turc de presse

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