L’écrivaine et militante altermondialiste Aminata Dramane Traoré exprime régulièrement ses points de vue critiques à l’égard des politiques impérialistes occidentales en Afrique. L’ancienne ministre de la Culture au Mali a accordé un entretien à Saphirnews à l’occasion d’une rencontre-débat au théâtre du Tarmac, à Paris le 12 mars, organisée autour de sa tribune « Ce sont nos enfants » portant sur les migrants africains qui bravent les mers pour rejoindre l’Europe.
Pourquoi n’avez-vous pas pris part aux gouvernements qui ont succédé le coup d’État au Mali en 2012 ? N’auriez-vous pas été utile à la reconstruction du pays ?
Vous préférez donc amener le changement par la base plutôt que par le sommet en résumé…
Allons-nous vers une partition du Mali ou l’autonomisation de certaines régions ?
Aminata Traoré : Je ne pose pas la question comme ça. C’est complexe, c’est douloureux. (Cette crise) n’a rien à voir avec les rebellions précédentes compte-tenu du nombre de protagonistes, de la composante jihadiste et autres enjeux. Personne ne peut dire où on va exactement. Je pense que c’est à nous de diagnostiquer les véritables causes de cette tragédie et de voir quels sont les leviers sur lesquels on peut jouer.
J’entends déjà dire : « On a perdu ». Les gens attachent trop d’importance à la dimension institutionnelle. Ce n’est pas ça qui fait le changement. Il y a énormément de souffrance faute d’emplois, de revenus, d’eau. Je n’appellerai même pas ça des problèmes de développement. C’est la survie qui devient de plus en plus difficile dans ces zones. Pendant qu’on se questionne sur le sexe des anges, pendant qu’on est en train de guerroyer, d’installer des militaires, qu’ils soient membres de la Minusma (la Mission des Nations Unies au Mali, ndlr) ou de Barkhane (l’opération conduite par les armées françaises depuis août 2014, ndlr), on ne se demande pas de quoi vivent les gens ordinaires ? Ce sont ces réponses immédiates et rapides qui vont donner un peu d’espoir aux gens. Faisons en sorte qu’ils ne croient pas que tout est foutu et qu’il ne leur reste pas seulement le choix de prendre les armes, de prendre le large ou de tomber dans le narcotrafic.
Vous avez souvent dit qu’il faudrait que l’Europe cesse de mettre en difficulté économique les pays africains pour régler la question des migrants. Parce qu’il est utopique de penser qu’elle changera, quelles solutions s’offrent à nous du coup ?
Aminata Traoré : C’est précisément l’aveuglement de l’Europe qui est à l’origine de cette marée humaine. Elle sera obligée tôt ou tard d’établir le lien entre sa politique étrangère en Afrique et au Moyen-Orient et ce drame humain. L’Europe n’est pas monolithique. L’espoir que j’ai, c’est qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec ce qui se fait. Il n’y a pas de solutions s’il n’y a pas de synergies entre nos luttes et celles d’ici (en Europe).
Un jour, les gens comprendront que les Africains n’ont pas la volonté d’abandonner leur pays. La véritable bombe en Afrique, c’est le chômage, question qu’on prend très au sérieux ici en Europe, où on essaye de contrer le problème par tous les moyens. La question n’est pas posée en ces termes chez nous. Quand j’ai écrit L’Étau, c’était justement pour dénoncer la mise en œuvre de politiques économiques mortifères (en Afrique). Chaque année, des centaines de milliers de jeunes Africains arrivent sur le marché de l’emploi mais le nombre de demandeurs d’emploi augmente. Si on ne change pas de modèle économique, on ne pourra jamais leur garantir du travail.
Il est effectivement rare qu’on parle des problèmes de chômage en Afrique.
Pouvez-vous nous expliquer le concept de « mère sociale » ?
Aminata Traoré : Quand on pose la question des femmes et des jeunes dans le contexte actuel, on est sur le registre de la victimisation. On ne sait pas que ces femmes sont aussi porteuses de réponses. Une femme met un enfant au monde, l’élève avec d’autres femmes et, ensembles, elles savent être des « mères sociales ». En langue bambara, on parle de « wolo ba » pour désigner celles qui donnent la vie, « lamo ba »pour celles qui éduquent, et « ladon ba » pour celles qui sont capables de s’occuper de ses enfants et de ceux des autres.
Face à cette jeunesse qui est en danger et qui a besoin d’interlocuteurs, nous devons revendiquer la fonction de mère sociale. Je m’assume comme telle. Nous sommes concernées par le sort de toute cette jeunesse aujourd’hui qui n’a ni repères, ni soutien.
Comment se matérialise ce concept concrètement ?
Aminata Traoré : Jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas demandés ce que nous pouvons faire par nous-mêmes. C’est ce que j’essaye de faire à travers un réseau de femmes. Dans les langues nationales, nous tenons des réflexions sur le Mali dans le monde, sur l’économie, sur ce que nous devons faire par nous-mêmes et comment redonner de l’espoir à ces jeunes.
Certains ont été chassés de Ceuta et Melilla (enclaves espagnoles au Maroc, ndlr) et sont revenu blessés. Nous en avons accueilli plus de 150 puis nous les avons encadrés pendant un bon bout de temps. Nous avons réalisé un documentaire qui s’appelle « Victimes de nos richesses » (sorti en 2006, ndlr) qui explique tout cela. Ces jeunes nous disent : « Si ce pays pouvait nous garantir le minimum en matière d’emploi et de revenus, on ne partirait pas. » Nous les avons impliqués dans des activités relevant de l’artisanat, de la reconstruction et de la culture. Certains sont restés et d’autres sont repartis mais on aura essayé.
Avez-vous d’autres initiatives locales ?
Quelles sont vos prochaines initiatives importantes ?
Combien de personnes faites-vous vivre là-bas ?
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