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Alger, Libreville, Douala… Pourquoi ces Bourses ne décollent pas

De l’Algérie au Cameroun, en passant par le Gabon, la Sierra Leone et le Cap-Vert, le continent regorge de places financières atones qui n’ont pas su trouver leurs marques.

Novembre 2013. Alors que la Bourse d’Alger s’apprête à s’ouvrir aux investisseurs étrangers, Yazid Benmouhoub, son directeur général, dévoile ses ambitions pour la place financière. « Nous visons 40 à 50 entreprises [cotées] au cours des cinq prochaines années et une capitalisation boursière de 48 milliards de dollars [42,8 milliards d’euros] d’ici là, contre 190 millions de dollars aujourd’hui », indiquait alors celui qui venait de prendre les rênes de la Société de gestion de la Bourse des valeurs mobilières (SGBV) d’Alger, cité par Reuters.

Deux ans plus tard, rien n’a changé ou presque. Avec quatre sociétés cotées et une valorisation de 130 millions d’euros, Alger demeure l’une des plus petites places boursières de la planète, très loin derrière ses consœurs maghrébines de Casablanca (58 valeurs cotées et 43,5 milliards d’euros de capitalisation boursière) et de Tunis (79 valeurs cotées et 8,4 milliards d’euros de capitalisation boursière).

Quant au dynamisme du marché, autant dire qu’il est inexistant : sur l’ensemble de l’année 2014, 90 111 titres se sont échangés, contre 120 681 l’année précédente, soit une diminution de 25,33 %, selon les chiffres de la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de Bourse (Cosob). Sur le front obligataire, même constat : dans son rapport mensuel d’août 2015, la SGBV note, laconique, que « le marché des obligations n’a pas enregistré de transactions ».

Au forceps

Dans ces conditions, mêmes les soutiens de la première heure perdent patience. Premier groupe privé du pays à avoir tenté le pari de l’introduction en Bourse, en 2011, l’assureur Alliance a jeté un pavé dans la mare mi-2014, envisageant publiquement son retrait de la cote. Une menace qui pour l’heure n’a pas été mise à exécution…

Sur un continent qui compte plus de 25 marchés financiers, le cas algérien n’est pas unique. « Nombreuses sont les places boursières africaines souffrant de léthargie », résument les équipes d’African Alliance, un courtier panafricain. Même à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) d’Abidjan, pourtant deuxième place francophone du continent (11,1 milliards d’euros de capitalisation boursière, derrière Casablanca), les volumes d’échanges journaliers (1 million d’euros en moyenne) demeurent faibles au regard de ceux de Lagos (18 millions d’euros) ou de Nairobi (8 millions d’euros).

Comparée à ces poids lourds, la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC), basée à Libreville, fait pâle figure. Sept ans après son lancement, elle n’a attiré à sa cote qu’une seule entreprise, Siat Gabon, au prix d’une introduction au forceps. Initialement ouverte pour un mois en 2013, l’offre de souscription d’actions a été prolongée à deux reprises par la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf), faute de petits porteurs intéressés.

L’opération a été victime de la rivalité entre cette Bourse régionale et la place camerounaise. Le régulateur qui supervise le Douala Stock Exchange (DSX) avait remis en question la légalité de l’opération, alors que le Cameroun est membre de la BVMAC… « Nous regrettons d’avoir lancé cette opération », avait avoué Pierre Vandebeeck, le patron de Siat.

Depuis, aucune nouvelle introduction n’a eu lieu, et « le niveau d’activité s’en ressent », déplore un professionnel des marchés à Libreville, qui, comme nombre d’autres personnes approchées, n’a accepté de s’exprimer que sous le couvert de l’anonymat. Au DSX voisin, la dernière introduction en Bourse remonte à 2009, et les opérateurs doivent se contenter de trois sociétés cotées (Safacam, SEMC et Socapalm). « Il y a deux Bourses, deux régulateurs au sein d’une même union monétaire, et donc pas d’intégration effective », explique un bon connaisseur du dossier.

Seul le marché obligataire parvient à tirer son épingle du jeu, avec 2,88 milliards d’euros de fonds levés jusqu’ici, « le recours des États de la Cemac à ce mode de financement expliquant en grande partie l’importance de ce compartiment », précise la Cosumaf. Au total, la capitalisation boursière cumulée sur ces deux petites places financières ne dépasse pas 435 millions d’euros, soit 0,5 % seulement du PIB de la Cemac, quand, plus à l’ouest, celle de la BRVM d’Abidjan atteint 12 % du PIB de la zone UEMOA…

Alger, Libreville, Douala, mais aussi Maputo (Mozambique, 4 sociétés cotées), Praia (Cap-Vert, 4 sociétés), Victoria (Seychelles, 4 sociétés), Freetown (Sierra Leone, 1 société)… À quoi peuvent bien servir des places financières au nombre restreint d’entreprises cotées, à l’activité de marché négligeable, aux introductions en Bourse quasi nulles ? « Des aventures malheureuses qui, dans certains cas, auraient pu être évitées », estiment les équipes d’African Alliance, qui rappellent que « tous les pays ne sont pas tenus d’avoir leur propre place financière, car gérer une Bourse est onéreux, et pas toujours viable commercialement sur de petits marchés ».

Blocages culturels

Pour comprendre les difficultés persistantes de ces places financières, dont certaines ont été créées il y a plus d’une décennie, Pierre Célestin Rwabukumba, directeur général du Rwanda Stock Exchange, pointe volontiers les nombreux « blocages culturels » freinant encore trop souvent les chefs d’entreprise, « peu disposés à partager des informations sur leur société », et les épargnants du continent, « méfiants vis-à-vis du médium boursier ». Un point de vue que partage également un dirigeant de la Cosumaf, qui évoque « une culture financière encore embryonnaire et des dirigeants d’entreprise fréquemment réticents à l’idée d’ouvrir leur capital et de jouer la transparence ».

Mais ces pesanteurs culturelles, qui sévissent aussi a priori dans la plupart des autres Bourses africaines, n’expliquent pas tout. Au Maghreb, « la Bourse d’Algerreste une organisation essentiellement publique, déconnectée du monde économique et ne disposant pas de l’environnement professionnel nécessaire au développement du marché », rappelait déjà Noureddine Ismaïl, l’ancien président de la Cosob, dans son introduction au rapport annuel 2011 de l’autorité de régulation des marchés.

La situation n’a guère changé depuis, cette place financière souffrant toujours de « dysfonctionnements » ainsi que de « lourdeurs politiques et bureaucratiques », constate Slim Othmani, président du conseil d’administration de la Nouvelle Conserverie algérienne de Rouiba (NCA Rouiba), introduite en Bourse en 2013. L’homme d’affaires algérien en sait quelque chose : en décembre 2014, la Cosob a opposé son veto à l’acquisition par Cevital de 15 % du capital de NCA Rouiba auprès d’AfricInvest, au motif que « la non-clarté des textes de loi ne permettait pas de se prononcer sur une telle transaction », relate le dirigeant de NCA…

En zone Cemac aussi, « le problème est d’abord d’ordre politique », convient notre responsable de la Cosumaf – encore que de nature différente. Approuvé dès 1999 par la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), qui le jugeait viable, le projet de marché financier unique en Afrique centrale n’a jamais vraiment décollé, victime collatérale de la rivalité entre la BVMAC de Libreville et le DSX de Douala pour le leadership financier régional.

L’étude de la Beac recommandait pourtant de fixer les sièges de la Bourse régionale et de la Cosumaf à Libreville. Mais, prenant de vitesse ses partenaires, le Cameroun s’est doté dès 1999 de son propre marché financier, le DSX, un an avant la désignation officielle de Libreville comme siège de la BVMAC, pourtant Bourse commune aux six membres de la Cemac (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad). Depuis lors, c’est la guerre feutrée entre les deux places, et les coups bas sont (parfois) de mise. Comme ce fut le cas pour Siat Gabon.

La plupart des analystes interrogés reconnaissent toutefois l’évidente prééminence économique du Cameroun au sein de la sous-région (le pays représente la moitié de la population et 30 % du PIB de la Cemac, contre respectivement 4 % et 20 % pour le Gabon), ce qui fait dire à une source familière des jeux de pouvoir à la Beac que « l’orientation initiale de l’étude de faisabilité était biaisée », et qu’« il aurait fallu tenir davantage compte du rôle moteur du Cameroun au moment de l’élaboration du projet ». C’est dans ce contexte délicat que l’idée d’un rapprochement entre les deux Bourses est née. « Un vœu pieux », raille notre source, qui constate que, « malgré l’accord de principe des chefs d’État de la Cemac sur la question, rien n’a été fait ».

Reprendre la main

Les pistes à explorer ne manquent pourtant pas. Sollicitée par la Cosumaf pour débloquer la situation, la BAD a réalisé plusieurs études sur le sujet, qui ont permis de dégager deux options : maintenir les deux Bourses, en spécialisant Libreville sur le segment obligataire et Douala sur le marché actions ; ou transférer la Bourse régionale à Douala, tout en maintenant le siège de la Cosumaf à Libreville. Deux solutions qui ont le mérite de tenir compte de la problématique actuelle du marché financier en Afrique centrale, mais où le plus dur reste à accomplir : faire s’entendre durablement le Cameroun et le Gabon, les deux poids lourds économiques de la zone. En attendant de parvenir à cette hypothétique concorde, le régulateur d’Afrique centrale a confié mi-2015 une mission d’étude et de recommandation au cabinet Roland Berger.

À Alger aussi, les autorités cherchent à reprendre la main avec une série d’initiatives. Outre la création en 2012 d’un compartiment réservé aux PME et l’ouverture de la Bourse d’Alger aux investisseurs internationaux depuis fin 2013, la SGBV a signé une série d’accords de coopération avec les Bourses de Paris (depuis novembre 2013) et de Tunis (depuis mai 2014), en vue d’accélérer son développement. Abdelhakim Berrah, le président de la Cosob, a par ailleurs affirmé en avril que la place algéroise disposerait d’ici à fin 2015 d’un cadre juridique modernisé, tout en offrant des allègements fiscaux et une prise en charge partielle des frais d’introduction aux sociétés désireuses de rejoindre la cote.

Une source bien introduite auprès du régulateur financier d’Afrique centrale suggère quant à elle « une amnistie fiscale pour les entreprises souhaitant sauter le pas de l’introduction en Bourse » et rappelle que « nombre de sociétés susceptibles d’intégrer la Bourse demeurent réticentes à l’idée de dévoiler certaines informations financières ». En conséquence, « un moratoire sur les possibles contentieux fiscaux passés pourrait être instauré, mais sans transiger sur les obligations légales de diffusion d’informations financières, ni sur le respect des règles de bonne gouvernance, une fois l’entreprise cotée ».

Georges Ferré, consultant senior chez Roland Berger, rappelle de son côté « le rôle clé des market makers [acteurs des marchés qui assurent la liquidité régulière des titres] dans le succès des places boursières ». Une fonction de teneur de marché souvent absent des places financières africaines, mais « qui pourrait à terme revenir aux banques d’investissement, qui animeraient ainsi le marché tout en générant de nouvelles sources de revenus », suggère le consultant.

Enfin, au-delà des mesures ciblées prises çà et là, il faut surtout « renforcer la culture boursière par des campagnes pédagogiques régulières auprès des épargnants et des entreprises. Un prérequis indispensable pour faire réellement décoller les places boursières africaines, plaide le directeur général de la Bourse de Kigali, pour qui le dynamisme d’une place financière ne se décrète pas, mais se construit dans la durée ».

Car si les Bourses d’Alger, Douala, Libreville, Maputo, Praia ou Freetown vivotent, les autres ne connaissent pas non plus de très vifs succès : Jeune Afrique a recensé l’année dernière moins de trente introductions en Bourse …

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