A plus de 6 000 km de Diffa, la capitale de la région est du Niger, ces interrogations continuent de troubler mon sommeil : comment la séduisante ville qui m’a vu grandir a-t-elle pu devenir l’épicentre des activités au Niger de la secte extrémiste nigériane Boko Haram ? Pourquoi des jeunes de Diffa, que j’ai vu naître pour certains, qui sont nés après mon départ pour d’autres horizons ont-ils basculé au point de rejoindre une bande terroriste sans foi ni loi ?
Comment le beau quartier de Diffa-Koura, que je traversais pour aller au lycée Idriss-Alaoma ou à Kazalmari, le palais du chef traditionnel, a-t-il pu un jour héberger des terroristes ou leur servir de cache d’armes et de bombes ? Pourquoi ces extrémistes en sont arrivés à prendre pour cible le marché du poivron, à l’entrée de la ville, non loin du bureau des douanes, juste à l’endroit où, gamins, on venait, les pieds nus, pour jouer au football ?
Maïduguri, notre Mecque
Passées la nostalgie du bonheur perdu, la colère et l’amertume de la descente aux enfers de ma ville de jeunesse, des éléments me viennent progressivement pour mieux décrypter le mauvais sort qui s’abat aujourd’hui sur Diffa.
A analyser froidement le contexte, il s’impose à moi l’évidence que la région est du Niger ne pouvait être épargnée longuement dès lors que Maïduguri, capitale de l’Etat de Borno, au Nigeria voisin, a servi de berceau à l’extrémisme religieux incarné par Boko Haram. En effet, pour nous, Diffaéens, Yarwa – l’autre nom de Maïduguri en langue kanouri – a toujours été notre référence, notre métropole, notre rêve. Une sorte de Mecque de la modernité, des affaires et de la connaissance.
Moins de deux cents kilomètres séparent Diffa de Maïduguri, contre plus de 450 km entre Zinder, la deuxième ville du Niger, et Diffa. Résultat, mes parents kanouri de Diffa vont plus fréquemment et plus facilement à Maïduguri qu’à Zinder, la grande ville nigérienne la plus proche.
Ils y vont pour retrouver leurs cousins germains et souvent même leurs frères. Ici, il n’est pas rare de trouver dans une même famille des frères restés nigériens pour certains et devenus nigérians pour d’autres. De Diffa, on regarde également Maïduguri comme un pôle d’érudition. Les « talibés » (élèves de l’école coranique) y vont pour apprendre le Coran. Des marabouts, faute de pouvoirpartir à l’université Al-Azhar du Caire, Al-Kahira de son nom local, prennent le chemin de Yarwa pour parfaire leurs connaissances coraniques. En retour, Maïduguri nous envoyait, de temps en temps, des prêcheurs capables d’expliquer les versets du Coran en langue kanouri.
Terreau favorable
Au-delà de cette forte communauté de destin entre Diffa et Maïduguri, Boko Haram a trouvé dans la région de Diffa un terreau favorable à l’embrigadement d’une jeunesse désemparée, traversée d’un sentiment d’abandon par le pouvoir central. Ce n’est, sans doute, pas un hasard si Diffa, avec 1 360 km, est la capitale régionale la plus éloignée de Niamey et qu’elle est en même temps la région qui reçoit le moins d’investissements publics. En 2012, par exemple, les investissements du budget de l’Etat s’étaient élevés à 21 millions de francs CFA (31 500 euros) à Diffa contre 64 milliards francs CFA (96 millions d’euros) à Niamey, 8,1 milliards francs CFA à Agadez et 15,3 milliards francs CFA à Dosso.
Sur le plan symbolique, pendant longtemps, la mutation d’un fonctionnaire à Diffa a été perçue comme une punition, en raison du retard de développement par rapport au reste du pays, de l’éloignement et de l’enclavement de la région.
Si les mentalités ont certes évolué depuis lors, les récentes mesures décidées à Niamey pour lutter contre Boko Haram n’en attestent pas moins du déphasage entre le pouvoir central et les réalités de la région de Diffa. Là-bas, le commerce du poivron, c’est la vie. Il représente chaque année l’équivalent de 10,5 millions d’euros. On ne s’y adonne pas par adhésion à l’esprit de marché ou connaissance des valeurs boursières. Le vieux paysan des villages de Toumour, Assaga ou Bosso vend plutôt son sac de poivrons pour ramener du riz à la maison, pour acheter des médicaments à la pharmacie ou pour donner un peu d’argent à son fils qui va à l’école.
Enjeux financiers énormes
Dans le lit du lac Tchad, le commerce du poisson fumé, banda en langue kanouri, assure les mêmes retombées socio-économiques aux populations, mais avec des enjeux financiers de l’ordre 15 millions d’euros chaque année.
Les dirigeants de Boko Haram, des enfants de la région pour la plupart, ont vite réalisé qu’ils pouvaient tirer profit de l’activité lucrative du commerce du poivron et du piment pour financer leur entreprise criminelle. Mais, de là à interdire totalement le commerce du banda dans le lit du lac Tchad et la culture du poivron le long de Komadougou-Yobé, le cours d’eau saisonnier qui traverse la région de Diffa, il y a un grand pas que l’Etat central nigérien a franchi un peu trop maladroitement. La mesure d’interdiction totale est d’autant plus malheureuse qu’il existe d’autres solutions alternatives et qu’elle peut accélérer la paupérisation des habitants de la région de Diffa.
Conséquence inattendue, elle peut même jeter des jeunes comme ma voisine de maison Falmata Kollo dans les bras de Boko Haram. J’ai appris par une relation commune restée à Diffa-Afounori, le quartier de ma jeunesse, que Falmata Kollo, la jeune fille à l’allure athlétique, qui adorait porter le gumajé, la tenue traditionnelle typique des femmes de Diffa, et la tresse kilayakou, a cédé aux sirènes de Boko Haram. Falmata Kollo, que rien ne prédisposait pourtant au destin d’une djihadiste, est partie, faute d’espoir. Comme d’autres, elle a donc choisi une mauvaise solution aux vrais défis qui se posent à la jeunesse de Diffa.
Seidik Abba
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