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OPINION : DE QUOI S’ACCUSENT CEUX QUI TRAITENT ACHILLE MBEMBE D’ANTISÉMITE ?

Achille Mbembe a débuté son travail intellectuel par une thèse de doctorat dont le contenu n’a pas hésité à braver l’ordre dominant pour critiquer à la fois la domination coloniale française sur le Cameroun, et le fratricide sur lequel s’est abîmée l’indépendance de son pays dont les fondations sont faites du sang et des corps des nationalistes de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). C’est cette griffe de départ qui caractérise la réflexion d’Achille Mbembe. Elle précise son positionnement épistémologique et renseigne sur les questionnements de ses recherches contemporaines.

En conséquence, parmi les idées directrices qui traversent l’œuvre d’Achille Mbembe, penser une humanité à la fois commune à tous les Hommes et vectrice de justice dans tous les domaines au sein d’un monde cosmopolitique partagé par une communauté des passants, est centrale. Une telle préoccupation philosophique et l’antisémitisme sont foncièrement des antonymes cognitifs irréconciliables. Réussir à signaler ne serait-ce qu’une once d’antisémitisme dans la pensée d’Achille Mbembe relève donc, soit d’une hallucination causée par une ivresse politique poussée, soit d’une pensée magique qui défie toutes les règles de la logique analytique et herméneutique. Au Cameroun, pays natal d’Achille Mbembe, les voleurs, pour échapper à la justice populaire, se mettent souvent à crier aux voleurs pour dérouter les esprits alors qu’ils sont effectivement les voleurs recherchés. De quoi s’accusent donc ceux qui traitent Achille Mbembe d’antisémite ?

Ne pas savoir triompher avec panache

Il est important de ne point assimiler le peuple allemand et toute l’Allemagne politique aux élucubrations des sieurs Lorenz Deutsch et Félix Klein sur Achille Mbembe. Ce qu’il faut cependant mettre en exergue et que traduit cette polémique aussi nauséabonde que minable, est que ses auteurs sont pris au piège de ceux qui ne savent pas gagner et essaient d’évacuer la peur de perdre à nouveau en utilisant leur victoire pour écraser les autres. Cette attitude politique est omniprésente dans de nombreux courants politiques et au sein d’associations qui, alors qu’elles défendent les intérêts du peuple juif, ont opté pour un sionisme intégral depuis la victoire d’Israël dans la guerre de six jours de 1967. Cela équivaut à ne pas se retirer des territoires occupés depuis 1967 et à consolider sa domination par des colonisations supplémentaires qui annulent toute solution de cohabitation entre deux Etats. En conséquence, toute critique de ce sionisme intégral fait de son auteur un antisémite en puissance. Ce qui est caché ici par Félix Klein et Lorenz Deutsch est le fait que ne pas savoir triompher avec panache revient à envoyer aux calendes grecques son retrait de la Cisjordanie en échange d’un accord de paix qui aurait débarrassé cette victoire militaire de l’inimitié politique. C’est donc cette défaite politique, stratégique et morale que ceux qui accusent Achille Mbembe d’antisémitisme veulent cacher en jetant l’opprobre sur toute pensée qui, comme celle d’Achille Mbembe, critique des stratégies de tutelle tout en montrant qu’avoir été une victime dans l’histoire ne met aucune personne, aucun peuple et aucune institution en dehors de la critique. On peut donc comprendre la crise d’urticaire dont sont victimes ceux qui incarnent au XXIème siècle une forme de « raison nègre » qui s’abat sur les Palestiniens mais interdit à quiconque de signaler des relents d’apartheid ou d’un colonialisme dans sa logique. Quand on triomphe sans panache, on voit des ennemis partout.

Un antisémitisme pavlovien et instrumental

La Shoah est un drame humain qui appartient à la mémoire universelle des drames humains. Personnellement, je débute mon cours sur les organisations à l’Université catholique de Louvain par une analyse de l’organisation génocidaire. Je considère en effet qu’on ne peut analyser l’organisation de la même façon avant la Shoah qu’après la Shoah. Etudier l’organisation génocidaire permet d’inculquer aux jeunes générations des valeurs anti-racistes, de tolérance, de démocratie, de multiculturalisme, de justice et surtout de mettre en exergue les dérives auxquelles peut conduire l’intégrisme politique, identitaire et économique. La Shoah est donc d’une

importance inestimable pour le monde entier et pour tous les Hommes auxquels elle montre la part du démon en nous, les dégâts qu’elle entraîne lorsqu’elle s’exprime, et comment nous peuvons éviter que cela se reproduise en devenant conscients que la shoah est un produit de la modernité. La post colonie qu’Achille Mbembe met en scène, l’inimitié dont il théorise la politique, la raison nègre dont il montre les ravages et le brutalisme dont la figure capitaliste écrase le monde sont fondamentalement des critiques profondes contre le monde, la méthode et les idéologies qui, de façon globale, ont entraîné la Shoah. Les essais critiques d’Achille Mbembe prennent donc très au sérieux les mécanismes sous-jacents à l’organisation génocidaire, contrairement à l’antisémitisme pavlovien qui, comme le chien de Pavlov, salive de profiter des dividendes politiques de la Shoah en manquant ainsi de respect et de considération à ce patrimoine universel de la mémoire de la souffrance humaine. Autrement dit, l’antisémitisme pavlovien est un instrumentalisme politique de la souffrance qui dévalue la gravité historique de la Shoah en en faisant de la matière politique de bas étages et d’assouvissement de reconnaissance individuelle.

Ne pas savoir transformer la Shoah en fondement d’une justice sans frontières

Achille Mbembe est un Africain pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué. Ses recherches évitent toute essentialisme de type l’Homme africain parce que cet auteur mondialement estimé pense que l’expérience africaine, en tant qu’une des trajectoires de l’histoire globale, peut beaucoup apporter au monde dans la recherche des solutions à ses problèmes politiques, sociaux, économiques et environnementaux. Achille Mbembe ne fait donc pas de l’esclavage des nègres, de la colonisation de l’Afrique et des marchés aux esclaves des constructions politiques et identitaires qui écartent et disqualifient toute critique de l’Afrique et sur l’Afrique, mais des épreuves historiques dont l’analyse peut permettre de penser une justice sans frontières et/ou ce que Kant appelait une paix perpétuelle. Cette posture est importante pour faire des Hommes des prometteurs de justice en en faisant des humains étant donné, comme l’expliquait le philosophe Fabien Eboussi Boulaga, qu’on ne devient pas humain comme un arbre devient un arbre car devenir humain est un évènement improbable. Les travaux d’Achille Mbembe montrent donc, entre autres aspects, qu’avoir été un subalterne ou une victime de l’histoire de la modernité ou en être un descendant, peut apporter au monde moderne une sensibilité politique, anthropologique, économique et sociale qui s’occupera de l’évolution des statuts des gens de peu et de rien dans divers processus sociétaux. Il s’agit donc d’une pensée fondamentalement située à mille lieues de l’antisémitisme car elle critique la domination, l’exclusion et le raidissement identitaire qui le sous-tendent. Ainsi, là où Lorenz Deutsch et Félix Klein sanctuarisent le sionisme en disqualifiant toute critique en son encontre, les travaux d’Achille Mbembe font de la postcolonie, de l’esclavage, des marchés aux esclaves et de la colonisation des fondements historiques d’une critique capable de concevoir une justice sans frontières fondatrice d’un monde sans exclusion et sans identités assignées à cause desquelles Juifs et Nègres ont perdu leurs vrais visages pour revêtir les masques des combustibles ou des bêtes de sommes. C’est aussi de cette incapacité à transformer un drame identitaire en un fondement d’une justice universelle profitable à tous les Hommes dont s’accusent ceux qui voient plus facilement les poutres dans les yeux de la critique que les billes de bois qui obstruent leur regard.

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