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vendredi, avril 26, 2024
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De l’usage de la colère en politique


Par Raoul Nkuitchou Nkouatchet

Il arrive que même du côté de ceux qui veulent sincèrement voir la chute du Renouveau, l’on entende des gens appeler leurs camarades combattants à la retenue, parce qu’il faudrait en quelque sorte ménager l’ennemi. Mais savent-ils seulement de quoi ils parlent ? On ne renverse pas une tyrannie si on n’est pas vraiment en colère contre elle, pour être encore plus précis, il faut avoir de la haine pour elle si on veut lui porter des coups décisifs. La colère existe dans le registre des affaires humaines depuis l’Antiquité, même si longtemps elle est restée l’apanage des dieux dans les mythologies ; eux seuls étant censés avoir le droit de la manifester. Les colères de Dieu dans la Bible sont mémorables, celles de Jésus dans l’Évangile également. Les choses ont évolué un peu partout ailleurs sur la planète, au sujet du droit d’exprimer sa colère – en particulier en politique – mais pas chez nous ; il est encore interdit de le faire. Signe supplémentaire de la confiscation de nos esprits par les forces qui nous tourmentent. La colère chez nous est toujours une passion à combattre, rangée comme autrefois parmi les sept « péchés capitaux », une émotion suspecte, troublant le jugement, bannie de la vie sociale.
Les chrétiens qu’il y a parmi nous peuvent trouver du réconfort chez Saint Thomas d’Aquin qui, au XIIIe siècle, tout en ne remettant pas en question ces péchés capitaux dans sa Somme théologique, introduit cependant une nuance intéressante : il distingue diverses circonstances qui peuvent en expliquer les différentes formes, entre la bonne et la mauvaise colère. Les psychologues considéreront longtemps après le grand philosophe et théologien, que la colère fait partie d’un processus de construction de soi, d’autonomisation, permettant à chaque sujet de trouver sa propre place dans la vie. Chez Freud, c’est elle qui aide l’individu à se consacrer à la grande tâche de se détacher de ses parents, lui permettant de cesser d’être un enfant pour devenir un Homme à part entière. La longue éducation asservissante qu’on nous a inculqués depuis toujours a eu pour conséquence plus ou moins voulue, de nous interdire d’exprimer ouvertement notre COLÈRE devant les injustices et les maltraitances qu’on nous fait subir depuis des générations. L’interdit ou le tabou érigé autour de la colère, donc de notre capacité d’indignation, repose depuis l’époque coloniale, sur un déni de nos droits politiques, y compris ceux liés à l’autodétermination. Ce formatage ancré depuis des générations, à la maison ou à l’école, dans la rue ou au travail nous exhorte principalement à encaisser, refouler ou feindre l’indifférence face à des situations injustes voire inadmissibles. Cette autocensure exigée par l’ordre social, politique, philosophique et religieux a plutôt bien fonctionné jusqu’ici. On nous a appris à tendre l’autre joue, lorsqu’on nous fait mal. On nous a menti pendant longtemps !
Les hommes politiques dignes de ce nom, c’est-à-dire ceux qui se sont préparés relativement longtemps avant de venir un jour sur la scène publique se mettre au service de leurs compatriotes, savent que la colère ou le mécontentement sont légitimes ; quelquefois ce sont elles qui permettent de se mettre au diapason des émotions véritablement ressenties par le peuple. Sans notre colère ouvertement exprimée, aucune transformation de la situation n’est possible. La colère est le point culminant de l’affirmation de soi. Exprimons notre colère, car l’heure est grave. La somme de nos colères est un projectile redoutable, ne nous privons plus d’en faire usage. La colère doit être réhabilitée chez nous, faute de quoi beaucoup ont l’impression qu’on se bat pour des places au parlement suisse ou pour l’augmentation du nombre de jours de congés payés en Allemagne, alors que l’objet de la lutte en cours est d’améliorer notre condition humaine.

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