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Union africaine : les ambitions démesurées de Nkosazana Dlamini-Zuma

Souvent absente, la présidente sortante de la Commission de l’Union africaine a beaucoup déçu. Peut-être parce que, dès l’origine, l’ex-épouse de Jacob Zuma a utilisé l’institution pour ses ambitions plus qu’elle ne l’a servie.

Au sommet de l’Union africaine (UA), fin janvier à Addis-Abeba, il y avait comme une ambiance de fête dans la délégation sud-africaine qui célébrait le 68e anniversaire de la présidente sortante de la Commission, Nkosazana Dlamini-Zuma, et son « succès », à ce poste. Ledit succès n’avait rien d’évident pour les autres délégations, mais il en fallait plus pour refroidir l’enthousiasme de ses partisans.

Préparer les élections de 2019

Ceux-ci sont déjà dans le coup d’après : la conquête du pouvoir sud-africain par leur championne. Médias publics sud-africains et politiques avaient d’ailleurs fait le déplacement à Addis-Abeba. Son ex-mari et soutien, le président Jacob Zuma, était là. De même que sa vieille complice, Bathabile Dlamini, la présidente de la Ligue des femmes du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), par ailleurs ministre du Développement social.

Une forme de pacte est-il conclu entre les ex-époux – un mandat de plus pour Jacob, le suivant pour Nkosazana ? »

Quelques semaines plus tôt, cette dernière avait donné le ton. En vue de l’élection, en décembre, du prochain président du parti, elle avait officiellement soutenu la candidature de Dlamini-Zuma. L’enjeu est énorme : celui ou celle qui parviendra à s’imposer dans cette « primaire » devrait accéder à la présidence de la première puissance du continent lors des élections de 2019.

Une sacrée revanche pour cette femme née dans un système – celui de l’apartheid – qui lui interdisait tout espoir. Militante dans l’âme et médecin de formation, elle a cofondé un syndicat étudiant avec Steve Biko, ce qui l’a contrainte à l’exil. Après la fin de l’apartheid, elle a été nommée ministre de la Santé par Nelson Mandela, des Affaires étrangères par Thabo Mbeki, puis de l’Intérieur par Jacob Zuma. Mais sur son CV, c’est certainement son passage à l’UA qui pèsera le plus lourd face à son principal rival, le vice-président Cyril Ramaphosa. Peut-être même que ce scénario a été écrit il y a bien longtemps.

Le parti de l’ANC en crise

Retour en décembre 2011. Après deux années au pouvoir, le président Jacob Zuma n’est pas au mieux de sa forme. Déjà, l’économie piétine. Et à l’international, il vient de subir un revers majeur : l’assassinat du « guide » Mouammar Kadhafi par les rebelles libyens soutenus par les armées occidentales. Au sein de l’ANC, la mort de cet ancien sponsor de la lutte contre l’apartheid est vécue comme une humiliation. Et Zuma en est en partie tenu pour responsable : sa médiation au nom de l’UA a été un échec, et Pretoria a validé la résolution onusienne qui a servi de fondement à l’intervention occidentale. L’élection interne, prévue un an plus tard au sein de l’ANC, se présente mal.

Or, à cette époque, Nkosazana Dlamini-Zuma est le centre de gravité de l’ANC. Elle seule a su rester proche des deux factions en guerre : celle de Zuma et celle de l’ancien président Mbeki. Que se passe-t-il à cette époque, entre ces deux ex-époux restés proches malgré leur divorce en 1998 ? Une forme de pacte est-il conclu – un mandat de plus pour Jacob, et le suivant pour Nkosazana ?

Entre-temps, l’UA ferait un tremplin idéal pour lui forger une stature de présidentiable, tout en permettant au pays de reprendre en main la diplomatie africaine. Dernier avantage, dont l’importance a crû à mesure que s’accumulaient les scandales de la présidence Zuma : en lui succédant, son ex-épouse pourrait défendre les intérêts du clan.

L’Union africaine comme tremplin

En janvier 2012, Pretoria présente sa candidature à la tête de l’UA face au sortant, le Gabonais Jean Ping, contrevenant au passage à tous les usages de l’institution. Une règle non écrite voulait, en effet, que les principales puissances du continent s’abstiennent de briguer ce poste.

Faute de consensus, Dlamini-Zuma ne parvient pas à se faire élire lors du premier sommet, lequel ouvre, entre anglophones et francophones, une plaie qui cicatrisera mal. Pretoria persiste et pèse de tout son poids pour qu’elle soit finalement élue, en juillet 2012. Rétrospectivement, la détermination sud-africaine est d’autant plus surprenante que Pretoria renoncera à ce poste après un seul mandat.

Tout se passe donc comme si, dès l’origine, Dlamini-Zuma se préparait à la présidence sud-africaine. Dès son arrivée à Addis-Abeba, elle s’entoure d’une équipe de compatriotes, n’interagit qu’avec la presse de son pays. Elle conserve son influence au sein de l’ANC et retourne en Afrique du Sud à chacune de ses réunions.

Mauvaise gérance 

Bien évidemment, à l’UA, l’étrange sens des priorités de Dlamini-Zuma fait grincer des dents. Dans les couloirs, on se plaint de ses absences répétées. Le coup de fouet à l’institution promis par les Sud-Africains n’est pas au rendez-vous, et la patronne se désintéresse des crises du continent. Sous son mandat, le Soudan du Sud se désintègre, les troupes de l’UA subissent des revers sanglants en Somalie sans qu’elle daigne s’y rendre, la contribution de l’UA à la crise d’Ebola est marginale, la gestion des crises maliennes et centrafricaines est laissée à la France, Addis-Abeba recule sur l’intervention au Burundi…

Une attitude que Dlamini-Zuma va jusqu’à théoriser. À Jeune Afrique, lors du sommet de janvier 2016, elle explique ne pas vouloir insister sur des sujets qui donnent une mauvaise image du continent. Avec un certain sens du marketing, elle se focalise plutôt sur des politiques « positives » : son utopique Agenda 2063 (lire encadré), la création d’un « passeport africain » (qui ne profite pour l’instant qu’aux hauts fonctionnaires de l’UA) ou la construction d’une indépendance financière vis-à-vis des bailleurs de fonds occidentaux.

Finalement, la seule sphère où son engagement personnel est décisif, c’est son plaidoyer pour l’égalité entre les sexes. Il y a tout lieu de penser d’ailleurs qu’il s’agira d’un axe majeur de sa campagne sud-africaine.

Jacob Zuma encore très présent

Dans ce combat, son principal atout, le soutien de Jacob Zuma, est à double tranchant : il maîtrise encore l’appareil du parti, mais son image est désormais catastrophique. Cette situation, Thuli Madonsela, l’ancienne médiatrice de la République devenue un symbole de la lutte anticorruption, l’a résumée d’une formule assassine : « J’adorerais que [le prochain président] soit une femme, mais je détesterais qu’elle soit un prête-nom. »

Quelques semaines avant la fin de son mandat à l’UA, Dlamini-Zuma a lancé une ultime initiative. Comme les précédentes, elle brille plus par son impact médiatique que par son efficacité : il s’agit de prononcer un discours, annuel, « sur l’état du continent ». Elle a choisi de le prononcer chez elle, à Durban. Loin du siège de l’UA, mais près de ses futurs électeurs.


UNION AFRICAINE : AGENDA 2063, QUÈSACO ?

La présidente de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, a lancé son Agenda 2063 pour la construction d’une Afrique meilleure. Beaucoup d’ambition mais peu de projets concrets.

S’il y a une action dont Nkosazana Dlamini-Zuma est fière, c’est l’adoption de l’Agenda 2063. En matière de marketing politique, il a en effet connu un certain succès : tous les partenaires du continent (ONU, Union européenne…) présentent désormais les actions comme des contributions à ce projet-cadre.Il est, en revanche, beaucoup moins certain que ce document permette à l’Afrique de devenir, d’ici à 2063 (année du centenaire de la fondation de l’Organisation de l’unité africaine), un continent « prospère », « politiquement uni » et où « règnent la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme, de la justice et de l’État de droit ».

Chimères

Inspiré par la vision de la « renaissance africaine » de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki (dont Dlamini-Zuma a été la ministre des Affaires étrangères), ce document ressemble davantage à un catalogue de vœux pieux qu’à une stratégie détaillée. Certains objectifs paraissent d’ores et déjà hors d’atteinte, comme celui de parvenir, d’ici à 2020, à « faire taire les armes » partout sur le continent, ou à « mettre un terme à l’occupation illégale de l’archipel des Chagos [administré par le Royaume-Uni mais revendiqué par Maurice], de l’île comorienne de Mayotte [département français] et [à permettre] l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ». Mais à cette date, Dlamini-Zuma ne sera plus là pour constater l’échec de son agenda.

Pierre Boisselet

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