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Qui est Harriet Tubman, première femme noire à figurer sur un billet américain ?

Elle sera le visage, à partir des années 2020, du billet de 20 dollars, très utilisé par les Américains. Portrait d’une femme hors du commun.

Rosa Parks est morte célèbre en 2005, sachant à quel point elle avait fait avancer la cause des Noirs en refusant de se lever de son siège de bus. Harriet Tubman, elle, s’est éteinte dans un demi-anonymat en 1913, l’année même de la naissance de Parks, avant de sombrer dans l’oubli pour plusieurs décennies. C’est pourtant elle qui sera le visage du futur billet de 20 dollars, dont le design sera finalisé en 2020. Une décision historique, annoncée mercredi par le secrétaire au Trésor Jack Lew : mis à part un certificat argent de la fin du XIXe siècle, où apparaissait Martha Washington, et un billet de 20 dollars au revers duquel était représentée l’Amérindienne Pocahontas, aucune femme n’a jamais figuré sur la monnaie américaine.

De très nombreux Français savent qui étaient Rosa Parks, mais qui, chez nous, connaît Harriet Tubman ? Aux Etats-Unis, pourtant, elle est redevenue dans les années 60 l’incarnation de la lutte contre l’esclavage et de la guerre de Sécession. Bill Maurer, un anthropologue de l’Université de Californie qui a fait partie d’un panel d’experts consultés par la Directrice de la Monnaie, explique :

« Elle est l’un des héros de cette époque dont tous les enfants du primaire apprennent l’histoire. Il y en a quelques autres, mais ce ne sont pas, comme elle, des icônes. »

L’extraordinaire parcours de Tubman est associé à l’Underground Railroad (« voie ferrée souterraine »), un réseau informel de sympathisants anti-esclavagistes constitué dans les années 1840, qui a aidé des dizaines de milliers d’esclaves noirs à rejoindre les Etats du Nord et le Canada.

Le design n’est pas encore finalisé. (Handout  Women On 20’s/AFP)

Vendue à six ans

Tubman était l’une de ces esclaves, elle a grandi sur une plantation du Maryland. A 6 ans, elle est séparée de sa famille et vendue comme femme de ménage et nounou (!) à une famille qui la maltraite et finit par la renvoyer dans sa plantation. Parmi les dizaines d’esclaves arrachées à leurs familles et vendues à des marchands pour être expédiées vers le Sud, d’où on n’entendra plus jamais parler d’elles, il y a deux de ses sœurs. Elle se jure de ne pas subir le même destin.

En 1849, à 27 ans, elle s’enfuit seule vers la Pennsylvanie, aidée par l’Underground Railroad. Ce n’est pas la première fois que des Blancs protègent les esclaves ; les Quakers, nombreux dans le réseau, le faisaient déjà à l’époque de George Washington. Mais pas à celle échelle : la guerre de Sécession approche, les esclaves sont de plus en plus nombreux à refuser leur condition et à vouloir s’échapper.

L’aventure est extrêmement dangereuse, des chasseurs de primes battent la campagne pour rattraper les fuyards. Ceux qui sont capturés risquent d’être marqués au fer rouge, comme Adam, un homme de 36 ans marqué sur la pommette droite d’une lettre « R » « pour sa vilenie ». Un propriétaire d’esclaves de Colombus, dans le Mississippi, marque ses esclaves au fer de ses propres initiales pour les dissuader de s’enfuir. Danger, aussi, pour ceux qui aident les fuyards à rejoindre le nord. « Quand nous étudions le mouvement Underground, nous le comparons souvent à la Résistance », confie Catherine Clinton, auteure d’une biographie de Harriet Tubman.

Harriet Tubman photographiée aux environs de 1885. (CHIP SOMODEVILLA/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP)

Une extraordinaire témérité

Tubman ne se contente pas de s’enfuir. Après quelques mois, elle décide de repartir vers l’enfer qu’elle a quitté pour aider sa famille à gagner la liberté. Une décision d’une incroyable témérité, qui lui vaudra plus tard son surnom de « Moïse ».

« Elle est revenue à l’endroit exact d’où elle s’était échappée, alors que sa tête était mise à prix et que les gens risquaient de la reconnaître », raconte Catherine Clinton.

Tubman fait fuir toute sa famille puis revient, encore et encore, pour aider des dizaines d’autres esclaves. Un contemporain racontera :

« Elle semblait dénuée de toute peur. L’idée d’être capturée par des chasseurs ou propriétaires d’esclaves ne paraissait jamais lui traverser l’esprit. »

Pendant la guerre de Sécession, elle s’engage dans l’armée de l’Union et conduit en juin 1863 une expédition navale sur la rivière Combahee, en Géorgie, qui libère 750 esclaves. Une gravure de cette époque la montre avec un fusil, ce qui lui vaudra d’être bien plus tard récupérée par les Black Panthers.

En réalité, « elle n’a jamais été l’avocate de la violence », souligne sa biographe. Mais il n’est pas étonnant qu’une certaine Amérique n’ait jamais voulu en faire une héroïne. En octobre 1994, Lynne Cheney, épouse du futur vice-président de George W. Bush, dénonce le « politiquement correct » qui donne trop d’importance à Tubman dans les manuels d’histoire. Même aujourd’hui, « sa présence sur un billet de banque mécontentera probablement un certain nombre de personnes, et pas seulement dans le Sud », prédit Bill Maurer. « Je suis sûr qu’il y aura des gens qui refuseront d’utiliser ce billet. »

Après la guerre de Sécession, Harriet Tubman tombe dans une pauvreté telle qu’elle doit devenir domestique. Elle a demandé une retraite d’ancienne combattante, mais l’idée ne plaît pas à tout le monde. Catherine Clinton :

« Au Congrès, des élus de Caroline du Sud étaient très hostiles à ce qu’on lui verse une pension. Il lui a fallu 30 ans pour l’obtenir, même avec tous ces généraux de l’Union écrivant des lettres de soutien. Quand elle l’a finalement obtenue, cela a été le premier revenu stable de sa vie. Et elle l’a utilisée pour sa maison de charité. C’était une personne incroyablement généreuse. »

Le choix de la placer sur le billet le plus utilisé par les Américains a été une affaire compliquée. Elle était pressentie, parmi d’autres choix possibles de femmes (Eleanor Roosevelt, Susan B. Anthony, etc.), pour figurer sur le billet de 10 dollars, qui sera le premier à être modernisé. Problème : ce billet – bien moins utilisé que celui de 20 dollars – est celui d’Alexander Hamilton, révéré par les économistes et, surtout, héros d’une comédie musicale new-yorkaise qui connaît un succès phénoménal.

Le billet de 20 dollars est plus prestigieux, et rares sont ceux qui pleureront la disparition d’Andrew Jackson, le président « tueur d’Indiens ». Mais il faudra quelques années supplémentaires de patience à Harriet pour voir sa bobine déclinée à des milliards d’exemplaires.

Elle aurait probablement souri : sa préoccupation, vivante, n’était pas d’être célèbre mais de pouvoir déclarer, comme elle le fit : « Je n’ai jamais perdu un seul passager ». Tous les esclaves qu’elle a aidés sont arrivés indemnes au terminus de leur voyage – la liberté.

Philippe Boulet-Gercourt

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