En 2016, le Rassemblement démocratique africain (RDA) fête ses 70 ans. Sa section ivoirienne, héritière du parti d’Houphouët-Boigny, organise des grandes commémorations du 9 au 30 avril 2016. Retour sur un « un panafricanisme raisonné » oublié…
Questions à… Jean-Noël Loucou, professeur associé d’histoire contemporaine à l’université Félix Houphouët-Boigny, et ancien directeur de cabinet du président de la République de Côte d’Ivoire Bédié de 1995 à 1999. Il est actuellement secrétaire général de la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. Co-lauréat du Prix de la recherche ivoirienne en 2006, il a publié plusieurs ouvrages, notamment une histoire de La Côte d’Ivoire coloniale (2012).
Qu’est-ce que le congrès de Bamako de 1946, qui fonde le Rassemblement démocratique africain ?
Le congrès qui se tint, du 18 au 21 octobre 1946, à Bamako, chef-lieu du Soudan français (actuel Mali) fut l’évènement fondateur du mouvement de décolonisation des colonies françaises d’Afrique subsaharienne. Il réunit environ 800 délégués, issus de toutes les couches sociales. Il fut convoqué par huit élus africains à l’Assemblée nationale française, notamment les députés Félix Houphouët-Boigny, de Côte d’Ivoire, Lamine Gueye et Léopold Sedar Senghor, du Sénégal-Mauritanie, Jean-Félix Tchicaya et Gabriel d’Arboussier, du Gabon-Moyen Congo, Sourou Migan Apithy, du Dahomey-Togo, Yacine Diallo de Guinée et Fily Dabo Sissoko du Soudan-Niger. Sous la pression de la SFIO auquel ils étaient apparentés, Gueye, Diallo et Senghor se désistèrent et manquèrent ainsi ce rendez-vous historique. Le parti communiste français par contre accorda son soutien actif à ce grand rassemblement.
En convoquant ce congrès, les élus africains réagissaient aux états généraux de la colonisation qui remettaient en cause les réformes pourtant modérées de la Conférence de Brazzaville et de la constitution du 19 avril 1946 (représentation aux assemblées métropolitaines, citoyenneté, abolition du travail forcé). Ils escomptaient faire appuyer leur action par un vaste mouvement politique en Afrique même, Le congrès définit clairement le but du mouvement : l’émancipation des pays africains du joug colonial par l’affirmation de leur personnalité politique, économique, sociale et culturelle, et l’adhésion librement consentie à une Union française fondée sur l’égalité des droits et des devoirs.
La dynamique sociale que le RDA a entraînée ne pouvait que susciter au maximum la revendication d’une autonomie politique et à terme, l’indépendance nationale.
Quelles évolutions le RDA a-t-il connu avant, pendant et après la décolonisation autour d’Houphouët-Boigny, mais aussi d’autres figures telles que Sékou Touré ou Modibo Keita ?
Avant la décolonisation, disons les années quarante, le débat a porté sur les relations avec le PCF auquel le RDA était apparenté sur le plan parlementaire. Les intellectuels formés dans les Groupes d’études communistes (GEC), les syndicalistes de tendance CGT étaient pour le maintien de cette alliance et même pour la formation à terme d’un parti d’orientation marxiste. Pour Félix Houphouët-Boigny, le compagnonnage avec les communistes était tactique et répondait essentiellement à un souci d’efficacité au sein des assemblées métropolitaines. Ces divergences allaient, dès le lendemain du congrès de Bamako, miner le mouvement et conduire à la rupture avec les communistes en 1950. Ceux qui refusèrent ce qu’Houphouët appela « le repli tactique » furent exclus du RDA, notamment la section sénégalaise, l’Union démocratique sénégalaise et la section camerounaise, l’Union des populations du Cameroun qui opta pour la lutte armée et qui allait subir la terrible répression que l’on sait. Gabriel d’Arboussier, secrétaire général du mouvement, après avoir contesté véhémentement le choix d’Houphouët (dans deux lettres ouvertes restées célèbres), allait rentrer dans le rang. Mais cette décision du désapparentement d’avec le PCF eut pour conséquence un infléchissement du RDA vers la collaboration avec l’administration coloniale pour conduire un processus de décolonisation pacifique, au lieu de la quasi- révolution née de la mobilisation des masses africaines contre la colonisation française.
Pendant la décolonisation, accélérée par les guerres d’Indochine et d’Algérie, l’évolution du RDA est marquée par la querelle du fédéralisme et de l’accession à l’indépendance immédiate. Des compagnons d’Houphouët comme Sékou Touré qui l’avait soutenu dans la rupture avec les communistes, et Modibo Kéïta s’opposèrent à la balkanisation de l’Afrique française et militèrent pour le maintien des fédérations d’AOF (Afrique occidentale française) et d’AEF (Afrique équatoriale française) qui formeraient une confédération avec la république française. Et Sékou Touré et le peuple guinéen refusèrent la Communauté franco-africaine, proposée par la constitution de la Ve République en votant Non au référendum du 28 septembre 1958. L’accession de la Guinée à l’indépendance allait précipiter le mouvement et aboutir à la cascade des indépendances de l’année 1960.
Après la décolonisation, le RDA est divisé en deux camps, comme le monde de la guerre froide. Certains optent pour le socialisme et le Bloc de l’Est comme la Guinée de Sékou Touré et le Mali de Modibo Kéïta. D’autres pour le capitalisme et le Bloc de l’Ouest, comme la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny et le Gabon de Léon Mba.
Le RDA est un parti panafricain dans l’esprit d’Houphouët-Boigny. Pourtant, le RDA est aujourd’hui synonyme de PDCI : c’est-à-dire qu’il est réduit à son volet ivoirien. Pourquoi ?
Le RDA n’était pas seulement panafricain dans l’esprit d’Houphouët-Boigny. Il l’était également par ses structures et son implantation. Il est réduit aujourd’hui à sa section ivoirienne, le PDCI, parce que ce parti est encore au pouvoir. Les autres partis se réclamant du RDA ont été évincés du pouvoir par des changements souvent anticonstitutionnels comme les coups d’Etat. Ce fut le cas au Mali avec l’US-RDA, au Burkina Faso avec l’UDV-RDA, en Guinée avec le PDG-RDA.
Le PDCI se retrouve seul par la force des choses. Il maintient la flamme du RDA dont Félix Houphouët-Boigny fut l’unique président de 1946 à sa mort en 1993. Son dernier congrès ordinaire tenu en 2013 a adopté une résolution demandant de réunir tous les partis se réclamant encore du RDA. C’est une initiative qui vient à son heure et qui relancera le panafricanisme raisonné qu’Houphouët-Boigny a mis en œuvre.
Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage d’Houphouët-Boigny et du RDA, à l’heure de la fusion du RHDP (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix), d’une part, et, d’autre part, de la réforme interne que connait le PDCI ?
Il reste l’houphouetisme, c’est-à-dire les valeurs et les idées qu’Houphouët-Boigny a défendu, la pratique politique qu’il a soutenue. Ce sont d’ailleurs ces éléments qui font l’unité du RHDP. Comme pour tout héritage, les héritiers ont un droit d’inventaire et un devoir d’approfondissement de l’œuvre.
Au moins son souci constant de la paix et du dialogue a inspiré ses héritiers, notamment les présidents Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié qui ont tu leurs querelles pour conquérir le pouvoir d’Etat et le gérer ensemble. On attend de voir comment ils conduiront le processus d’unification de leurs différents partis.
Quels projets la Fondation Houphouët-Boigny développe-t-elle autour de l’héritage du RDA pour l’Afrique du XXIe siècle ?
La Fondation Houphouët-Boigny a entrepris une vaste collecte toutes les sources (sources d’archives, sources imprimées, sources orales, sources iconographiques) relatives au RDA et l’action de ses chefs historiques. Cela servira à la recherche historique et à l’élaboration d’ouvrages généraux et particuliers sur l’histoire du RDA et de l’Afrique noire contemporaine.
Elle va abriter une Ecole panafricaine de la paix, en cours de création par L’Union africaine et le Gouvernement ivoirien avec la collaboration de L’UNESCO. Cette Ecole assurera des formations de haut niveau pour les décideurs politiques, économiques, culturels, religieux et militaires. Elle mènera des recherches sur toutes les questions de la paix pour un continent africain confronté à d’immenses défis sécuritaires, notamment le terrorisme.
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