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L’engagement français au moment du génocide au Rwanda en 1994

Christophe Ayad, chef du service international du « Monde », a répondu à des questions d’internautes sur l’engagement français au moment du génocide au Rwanda en 1994.

Maxime : Dans votre premier article, vous mentionnez plusieurs fois une enquête judiciaire française menée pour motif de « complicité de génocide » ou encore « complicité de crime contre l’humanité ». Savez-vous qui la mène et où en est-elle dans son avancement ?

Christophe Ayad : Ce sont les magistrats du pôle génocide du parquet de Paris, spécialement créé pour traiter des questions de crimes contre l’humanité et de torture. L’instruction est toujours en cours pour le moment, sans qu’on sache ni quand ni si elle aboutira un jour à un procès.

Yohann : Les documents français classés « secret défense » ont-ils été déclassifiés comme promis par François Hollande puis par Emmanuel Macron ?

Christophe Ayad : Nous publierons dans le journal de samedi un long article sur la question. Certains de ces documents sont accessibles, d’autres pas. Par exemple, concernant le fonds Mitterrand, qui regroupe les papiers de François Mitterrand lors de sa présidence, toute demande de consultation est soumise à l’accord de la personne chargée de gérer ce fonds, Dominique Bertinotti, ancienne ministre socialiste.

Meryl : Quels étaient les liens entre la France et le Rwanda avant le génocide ? Le Rwanda était-il un pays stratégique pour la France ?

Christophe Ayad : Le Rwanda n’était pas un pays stratégique essentiel, c’était plutôt le Zaïre de Mobutu. Mais c’était un allié fidèle et discipliné. La France estimait que si elle laissait une rébellion anglophone s’emparer du pouvoir dans un pays de son pré carré, le message serait désastreux pour tous ses alliés en Afrique. A l’époque, la guerre froide est finie, et la France a peur de perdre de son influence en Afrique au profit des Américains et des Anglais.

Fitz : Peut-on accuser la France d’avoir armé les Hutu alors que la majorité des meurtres a eu lieu a l’arme blanche ? Vous donnez un chiffre de 35 % de meurtres « seulement » à la machette mais est-il fiable ? D’autres sources (Unesco) citent 85 % de meurtres a l’arme blanche.

Christophe Ayad : Je n’ai pas connaissance de ce chiffre de l’Unesco. Les plus grands massacres ont eu lieu dans des lieux clos (églises, stades, etc.) à la grenade et à l’arme automatique. La France n’a pas forcément armé les Hutu comme vous dites, même si elle a vendu des armes au régime, comme d’autres pays (l’Égypte notamment), lorsque c’était légal. Elle ne pouvait pas savoir que cela allait servir à tuer des civils, d’autant qu’une guerre était en cours contre le FPR depuis 1990.

En revanche, elle a formé ses troupes d’élite en sachant quelle était l’ambiance dans le pays et sachant qu’elles avaient déjà participé à des massacres ponctuels de Tutsi (1990, 1992). C’est plus gênant à mon avis.

Sébastien : Connaissait-on précisément l’ampleur des massacres au moment du lancement de « Turquoise » ?

Christophe Ayad : Au chiffre près, non. Mais on savait que cela se montait en centaines de milliers. Au moment du lancement de « Turquoise », cela fait plus d’un mois que le mot « génocide » a été prononcé dans le débat public.

GVD : Il semble évident que les puissances occidentales avaient connaissance du massacre à grande échelle. Pourquoi ne se décidaient-elles pas à intervenir ?

Christophe Ayad : Parce que le génocide au Rwanda a eu lieu peu après le fiasco de l’opération militaro-humanitaire américaine « Restore Hope », en Somalie, en 1993. Plus personne n’a voulu risquer ses soldats, d’autant que la Belgique a perdu dix Casques bleus dès la nuit du 6 avril 1994 et a retiré immédiatement ses autres hommes. Le contingent de l’ONU restant, sous-équipé, mal commandé, n’a rien su ou pu faire.

Enfin, le Rwanda ne présentait pas d’intérêt stratégique ou de richesse particulière : c’est un petit pays, pauvre et enclavé, au centre de l’Afrique.

David : On parle du rôle de la France, mais de qui parle-t-on exactement ? Du président, du ministre, des militaires ? Quel était l’intérêt de la France de fermer les yeux à l’époque ?

Christophe Ayad : Les militaires disent avoir exécuté les ordres. Quant à la politique de la France au Rwanda, elle était plus décidée à l’Élysée qu’au Quai d’Orsay. Donc on parle principalement de l’Élysée et de l’entourage très proche de François Mitterrand, qui a géré certains aspects de ce dossier en direct.

Lozloz : Est-ce que certains génocidaires ou proches de génocidaires ont pu trouver refuge en France après 1994 ?

Christophe Ayad : Oui, plusieurs génocidaires ont été arrêtés en France, parfois au bout d’un temps assez long. Certains ont été jugés et condamnés, d’autres ont bénéficié d’un non-lieu, comme le père Wenceslas. La famille du président Habyarimana a trouvé refuge en France aussi. Sa femme est accusée par certains d’être une des instigatrices du génocide, mais cela n’a pas été vraiment prouvé jusqu’à présent.

SD : Qu’en est-il de la position française de refus d’extradition des Hutu « réfugiés » en France ? Les choses pourraient-elles évoluer ?

Christophe Ayad : La France n’extrade pas les personnes qui risquent la peine de mort dans le pays où elles seront jugées, que ce soit au Rwanda ou ailleurs. Or le Rwanda a dit qu’il suspendait les exécutions, mais la peine de mort y reste en vigueur.

Anna : Les faits reprochés à la France sont-ils tous prescrits ou pourrait-il y avoir des retombées judiciaires pour l’État français et/ou pour les individus (hommes politiques et militaires) impliqués ?

Christophe Ayad : Les faits de crimes contre l’humanité ou de génocide, ou encore de complicité de ces deux crimes ne connaissent pas de prescription en France. Il y a donc des menaces judiciaires bien réelles sur ceux qui s’en seraient rendus coupables. Par exemple en livrant des armes à des génocidaires.

Michelle : Quelles pourraient être les conséquences pour la France si elle était reconnue complice du génocide ?

Christophe Ayad : La France, en tant qu’État, ne peut pas être reconnue complice de génocide. Et d’ailleurs quelle instance la jugerait ? On juge des individus, pas des États. Il faut attendre les éventuels procès de ces individus (sur les faits précis qui leur sont reprochés), s’ils se tiennent un jour et si le parquet ne décide pas d’un non-lieu.

HV : Quelle est l’attente du peuple rwandais (pas les autorités) concernant la reconnaissance d’un rôle de la France dans le génocide ?

Christophe Ayad : Il est difficile de savoir ce que le « peuple » rwandais pense. Ce n’est pas un pays où l’on peut dire ce que l’on veut. Ce que je sais, c’est que les autorités souhaitent des « excuses » et une « reconnaissance » par la France de son rôle dans le génocide. Nicolas Sarkozy a reconnu des « erreurs », mais il n’a pas souhaité aller plus loin. Emmanuel Macron le fera-t-il ? C’est tout l’enjeu de son voyage à Kigali, s’il y va un jour. Par ailleurs, les militaires, dont certains sont poursuivis en France devant la justice par des rescapés rwandais, pourraient vivre une reconnaissance du rôle de la France comme un lâchage par les politiques.

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