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Internet : dans la jungle de l’e-commerce

Alors que Cdiscount met la clé sous la porte au Sénégal et au Cameroun, Jumia vaut, quatre ans après sa naissance, plus de 1 milliard de dollars. Enquête sur une activité aussi prometteuse que risquée.

Une véritable débâcle. En quelques mois, Cdiscount a mis un terme à ses activités au Panama, en Équateur et au Vietnam, cédé sa filiale en Thaïlande… et il s’apprête à fermer celle de Colombie. Début juin, son directeur Afrique, Florent Mermet, a annoncé aux salariés du Cameroun et du Sénégal la fin des opérations dans ces deux pays. Aussitôt, les deux sites de vente spécialisés dans les téléphones, l’informatique et les biens d’équipement ont baissé le rideau.

Plombé par une gigantesque fraude comptable au Brésil, qui vaut à sa maison mère, Cnova (cotée aux États-Unis), une action judiciaire collective à New York, Cdiscount a décidé de mettre un terme à une aventure internationale démarrée deux ans plus tôt et de se recentrer sur la France, où il a vendu en 2015 pour 2,7 milliards d’euros de marchandises.

En Afrique, Jumia s’adapte et Cdiscount coule 

En Afrique, le site ne garde des activités qu’en Côte d’Ivoire (et un contentieux avec ses anciens salariés sénégalais), mais pour combien de temps ? « À travers le monde, l’ambition était de nous installer dans un à trois pays par mois, explique un ancien salarié. Jean-Charles Naouri, actionnaire de référence qui est né en Algérie, a beaucoup poussé pour le développement en Afrique. Mais on y a perdu beaucoup d’argent et connu de nombreux problèmes : des sites pas adaptés aux connexions bas débit, des délais de livraison non respectés et pouvant aller jusqu’à deux ou trois mois, des problèmes dans la gestion des stocks… Nous avons voulu vendre des produits stockés en France à des gens qui n’ont pas internet et ne paient pas avant la réception des biens. L’équation était compliquée. »

Au moment où Cdiscount Sénégal et Cdiscount Cameroun mettaient la clé sous la porte, Jumia, le groupe concurrent, finalisait une nouvelle levée de fonds : 50 millions d’euros apportés par l’institution financière de développement britannique CDC. Première licorne africaine (nom donné aux start-up valorisées à plus de 1 milliard de dollars), Jumia a récolté depuis le début de l’année 375 millions d’euros venant d’investisseurs aussi prestigieux que MTN, Goldman Sachs, Rocket Internet, Axa et Orange.

Une reconnaissance du modèle construit en quatre ans autour d’une dizaine de sites marchands dans 23 pays africains, avec plusieurs milliers d’employés et des revenus totaux estimés à quelques centaines de millions d’euros. Complexité de la logistique, paiement en cash, accès encore limité à internet… Jumia semble s’accommoder de tout cela.

« Le métier de l’e-commerce n’est pas simple, concède Jérémy Hodara, cofondateur du groupe. Mais cette activité en Afrique est une opportunité de long terme qui ne se construit pas en un ou deux ans. Il faut avoir des entrepôts, développer une activité de livraison aux particuliers inexistante sur le continent, donner confiance aux consommateurs… » Malgré les 111,3 millions d’euros de pertes connues par Jumia en 2015, Jérémy Hodara se veut serein : « Certains de nos business sont rentables et notre modèle peut l’être dans son ensemble. Mais nous avons fait le choix d’investir massivement. »

Un secteur en pleine expansion 

Julien Garcier, patron du cabinet d’études de marché Sagaci Research, analyse : « L’e-commerce est encore très marginal en Afrique, avec des ventes concentrées sur les portables et quelques produits d’équipement, et dans quelques pays comme l’Égypte, le Maroc, le Kenya et, dans une moindre mesure, le Nigeria. En même temps, s’y développer demande des moyens colossaux. Aujourd’hui, Jumia assomme littéralement la concurrence. »

Celle-ci, pourtant, est foisonnante. Pas un jour ne passe sans qu’un nouvel acteur émerge, attiré par un marché qui devrait croître, selon la société de recherche eMarketer, de 20 % à 30 % par an jusqu’en 2019. Soit entre 4 milliards et 6 milliards d’euros de ventes supplémentaires chaque année !

Rien qu’en Égypte, 150 entreprises opéreraient dans le domaine, un nombre qui devrait doubler cette année, le marché national (plus de 900 millions d’euros) étant le plus important du continent. En Afrique subsaharienne francophone, même les spécialistes de la distribution physique s’y mettent : CFAO a ainsi lancé AfricaShopen Côte d’Ivoire et au Sénégal, l’ivoirien Prosuma vient d’inaugurer son siteYaatoo.ci, tandis que Mercure International of Monaco (MIM, partenaire de nombreuses enseignes internationales comme Casino, Celio, Go Sport, Adidas) mettra en ligne sa propre solution de vente d’ici à la fin de 2017.

Pour beaucoup, et comme dans de nombreuses activités internet, la casse sera probablement impressionnante. Au Maroc, par exemple, MyDeal est en veilleuse, le géant américain Groupon s’est retiré et Epicerie.ma vient de se transformer en Market+, avec l’objectif de développer… une chaîne de magasins physiques !

« Chacun peut lancer un site de commerce en ligne, mais après, il faut assurer l’offre, la livraison, et avoir un budget pour conquérir des clients, explique Rania Belkahia, dirigeante d’Afrimarket, qui développe des sites d’e-commerce en Afrique de l’Ouest. Le cas de Cdiscount montre aussi que les modèles calqués sur ce qui se fait ailleurs dans le monde ne fonctionnent pas. Il faut avoir une offre adaptée aux besoins locaux et livrable rapidement. »

Les marques anticipent la casse en diversifiant leur offre

Cédric Houdrouge, vice-président du groupe MIM (qui possède de nombreux supermarchés et magasins), livre sa vision : « En Afrique, les gens prennent encore du plaisir à faire du shopping dans les nouveaux malls. Il faut vraiment que l’offre en ligne soit simple d’utilisation, fiable, et apporte une valeur ajoutée en matière de référencement et de prix. » Un constat rapporté par de nombreux opérateurs : sur la Toile, le consommateur africain est encore plus exigeant sur les prix, la qualité et les délais.

Pour durer sur ce segment et espérer capter les croissances mensuelles à deux chiffres, il faudra donc avoir les reins solides. À l’instar d’un Amazon, qui a perdu beaucoup d’argent jusqu’en 2015 et n’en gagne aujourd’hui que grâce à des activités annexes comme le cloud computing, ou d’un Alibaba, dont les activités vont de la vente en gros à la musique en ligne, chacun doit innover en permanence pour trouver les bons dosages.

L’Afrique a certainement les coûts logistiques les plus élevés au monde

En se reposant sur l’offre de nombreux partenaires déjà physiquement établis, Afrimarket réduit les coûts de stockage et les délais de livraison. En développant rapidement son activité de place de marché (via une plateforme ouverte à d’autres vendeurs), Jumia limite quant à lui son activité de pur e-commerçant (achat et revente de produits) aux offres les plus demandées, comme les téléphones portables.

Au Kenya ou au Ghana, le groupe suisse Ringier a développé des sites où l’offre est limitée (et donc les coûts de stockage aussi) mais où la demande est dopée par des promotions massives. « L’Afrique a certainement les coûts logistiques les plus élevés au monde, décrypte Julian Artopé, qui a participé de 2012 à 2016 à l’expansion de Ringier en Afrique.

Cela réduit les gains unitaires et rend nécessaire de bien choisir quel produit offrir au consommateur. » Pour tous, l’objectif est de se faire une place sur un marché dont les limites sont loin d’avoir été atteintes mais où, en raison des coûts très élevés, le risque est désormais clair : fermer boutique aussi vite qu’on est arrivé.


JUMIA DÉVISSE

Après avoir plus que doublé son chiffre d’affaires en 2014 puis en 2015 (134,6 millions d’euros), Jumia a connu début 2016 son premier accident de parcours, avec une baisse de 36,6 % de ses revenus nets au premier trimestre. Un coup dur qui s’explique par la crise – notamment monétaire – au Nigeria.

Frédéric Maury & Julien Clémençot

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