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Hommage à Ouandié : restaurer le sentiment national au détriment du tribal.

Jeudi 15 janvier 2015 : 44 ans qu’Ernest Ouandié tombait sous les balles de l’armée néocoloniale d’un « Cameroun » fantoche. L’Histoire est implacable : 44 ans plus tard, chacun peut mesurer, dans la grande Histoire des Hommes, la place de Ouandié par rapport à celle de son bourreau, le dictateur Ahmadou Babatoura Ahidjo. En faisant assassiner Ouandié ce vendredi 15 janvier 1971 Ahidjo, croyant l’avoir jeté hors de l’Histoire, venait en fait de l’y faire entrer pour toujours. 44 ans, déjà ! Le temps passe vite, mais pour les héros, il est suspendu.

C’est pourquoi ce 15 janvier, pour rendre hommage à notre héros national Ernest Ouandié, je l’invite, lui qui est plus vivant que jamais, à intervenir dans le débat sur le tribalisme qui secoue une certaine « intelligentsia » kamerunaise. A travers ses prises de positions, exprimées dans 2 extraits de textes, laissons le camarade Emile nous enseigner à tous, y compris aux professeurs et docteurs des grandes universités internationales.

Pour chasser Paul Barthélemy Biya et son régime du pouvoir et amorcer un tournant décisif vers un changement positif de ses conditions de vie, le peuple kamerunais, comme les Burkinabè fin 2014, doit trouver des stratégies, créer des contextes, et mobiliser comme un seul homme toutes les énergies utiles pour résister à l’oligarchie en place. Or la mobilisation commune d’énergies pour un véritable changement ne pourra jamais se faire dans le contexte de tribalisme dans lequel le régime UNC-RDPC a plongé et tente de maintenir les Kamerunais tout en paupérisant la très grande majorité d’entre eux. Ce tribalisme doit donc être férocement combattu pour permettre à tous les Kamerunais de se mettre ensemble, au-delà de leurs « ethnies » et des fossés qui ont été artificiellement creusés entre elles par plus de 60 ans de propagande coloniale et néocoloniale, pour vaincre la dictature de Biya.
C’est ici que le premier texte d’Ernest Ouandié, tiré d’un de ses premiers écrits sous maquis, nous enseigne :

« Jusqu’ici, les habitués des milieux fantoches répétaient à qui voulait les entendre que tous les maquisards de la région Bamiléké s’étaient ralliés et que ‘le calme’ était complètement rétabli dans ce département, mais subitement le 14 novembre radio Abidjan annonçait : ‘devant la persistance du terrorisme en région Bamiléké, l’état d’urgence vient d’y être étendu pour un délai de quatre moins par Ahidjo et son adjoint Foncha.’ Mais il n’y a pas que la région Bamiléké, en Sanaga Maritime, dans le Mbam comme dans le Moungo et ailleurs, l’A.L.N.K. marque chaque jour des points importants sur l’ennemi. (…) Bien sûr, l’issue finale ne sera victorieuse que si nous savons réaliser l’unité, parce que l’unité fait la force, l’unité c’est la vie, l’unité c’est la victoire. C’est pourquoi nous lançons un pressant appel à tous les éléments sains du pays, aux ouvriers, aux fonctionnaires, aux soldats, aux paysans, aux jeunes et aux femmes, aux chômeurs, bref à tous ceux que révolte le régime actuel, en leur demandant de s’unir et de s’organiser au sein du puissant front de lutte qui débarrassera notre pays des néocolonialistes et de leurs valets. »

Ouandié, que le régime tribaliste d’Ahidjo avait voulu enfermer physiquement et politiquement dans sa « région tribale », en est sorti avec intelligence. En évitant de tomber dans le piège de l’orgueil tribaliste d’appartenir à une prétendue ethnie qui seule aurait « vraiment lutté dans ce pays », il rappelle que la région bamiléké n’était pas la seule impliquée dans la lutte de libération du peuple kamerunais. C’est à ce type d’attitude qu’on sait que, s’il avait gagné la guerre contre le néocolonialisme, Ernest Ouandié aurait dirigé ce pays au profit de tous les Kamerunais. C’est pour cela qu’aujourd’hui, un vrai patriote ne doit pas s’appuyer sur l’origine ethnique pour disqualifier quiconque d’accéder à la magistrature suprême, qu’il soit Beti, Bamiléké, Bassa, Ewodi, Ngumba, Maka, Bamenda, Fulbé, Bororo, « francophone » ou « anglophone ».

Le second extrait est tiré de « L’Unique Voie du Succès », un ouvrage collectif militant auquel Ouandié, alors vice-président de l’UPC aura contribué grandement :
« 68. – Le tribalisme : Le Secrétaire Général de I’U.P.C. nous a déjà enseigné que le tribalisme n’est pas valable en politique. Pourtant, certains continuent à penser que seule telle tribu peut fournir des éléments valables, ou bien que telle autre ne peut jamais rien produire de bon, au encore, que si telle tribu n’est pas représentée à la Direction, ses originaires seraient lésés, etc. … Toutes les conceptions tribalistes, encore une fois sont à condamner, car, en plus des raisons déjà indiquées par Um Nyobe,

1) les membres de I’U.P.C. sont non pas des tribus, mais des individus qui ont chacun leurs qualités et leurs défauts, et qui tous peuvent progresser et devenir toujours plus dignes de leur Pays.

2) I’U.P.C. a toujours combattu le tribalisme non seulement dans les principes, mais encore dans la réalité :

a) nous avons indiqué plus haut les critères de choix des responsables : pas question de tribalisme, mais de militantisme, de dévouement à la cause de la Révolution (revoir N° 52).

b) cette cause elle-même est nationale et non pas tribale : pour s’en convaincre une fois de plus, il suffit de lire attentivement notre brochure « la Révolution Kamerunaise ». D’après les engagements, que I’U.P.C. prend, il apparaît clairement que les premiers bénéficiaires de la Révolution seront ses partisans et non les gens de telle ou telle tribu …

c) des aujourd’hui, on peut s’en faire une idée : le Comité Directeur est largement représentatif de toutes les régions où le Mouvement était réellement actif avant sa dissolution ; les bourses que nous obtenons sont réparties entre les élèves les plus méritants de toutes les régions. Telles sont les principales formes de sectarismes qui s’opposent au renforcement de l’unité du Parti. ».

Tout y est dit. Et ce qui s’applique à l’UPC s’applique aussi au Kamerun tout entier. L’unité réelle des Kamerunais, notamment sur le plan humain, nécessite donc « une lutte farouche contre tous les facteurs de division sans exception. En particulier contre le chauvinisme ethnique ou tribalisme. « Cette lutte doit être menée à la fois au plan des discours et de l’éducation politique des populations, mais aussi à travers des mesures objectives et concrètes facilitant l’intégration, particulièrement des jeunes de tout le pays : mesures au plan économique, culturel, éducationnel. » (Extrait du programme de l’UPC des fidèles : « Kamerun must change – Le Kamerun doit changer » – août 2008).

Le tribalisme, tellement ambiant qu’il conditionne les réflexes et les prises de position de nombreux Kamerunais, est la sève de la division qui empêche le peuple de se mobiliser efficacement contre la dictature tribaliste (et non tribale) UNC-RDPC qui l’opprime, bouche son avenir et le plonge dans un abîme de pauvreté.
Or la réalité est que le Kamerun est singulièrement divisé en 2 grandes « ethnies sociales » : l’ethnie sociale ultra minoritaire des « ayants », ceux qui possèdent (argent, pouvoir, entrées) et, l’ethnie sociale ultra majoritaire des « non ayants », ceux qui ne possèdent pas. D’un côté, une sorte de bourgeoisie économico-politique, de l’autre un prolétariat urbain et une paysannerie paupérisés. Et dans l’ethnie sociale des « ayants », on trouve des personnes issues de toutes les « tribus », tout comme dans l’ethnie sociale des « non ayants », on trouve des personnes issues de toutes ces mêmes « tribus ».

Voilà, au quotidien, la véritable fracture objective de la société kamerunaise. Les autres différences, à savoir les religions et croyances, les cultures ou les langues, ne posent en général pas de problèmes au sein de la société kamerunaise comme elles peuvent parfois en poser ailleurs en Afrique et dans le monde.
Le régime UNC-RDPC, à la suite du pouvoir colonial français, a développé le tribalisme comme moyen de perpétuer cette division du peuple kamerunais pendant que, toutes ethnies confondues, les apparatchiks de ce régime se gavent de richesses nationales sans états d’âmes, rassurés que les masses populaires ne seront jamais suffisamment unies pour leur porter une estocade fatale. Au sein de ce régime tribaliste et non tribal, une seule ethnie ne sera jamais en capacité de tenir tête à toutes les autres ethnies réunies. L’exercice total du pouvoir n’est pas confisqué au bénéfice d’une seule et même ethnie bien que, comparativement à chacune des autres ethnies prises séparément, l’ethnie du président est toujours nettement plus représentée dans les sphères de pouvoir (et pas forcément d’avoir) au sein de la classe des « ayants ». L’élimination du pouvoir des Betis n’aboutira jamais à un changement de système, vu par ailleurs les velléités de récupération du pouvoir par une élite du grand Nord, ou d’appropriation du pouvoir par d’autres élites Bamiléké ou anglophone, estimant « leur tour venu ». Faire alterner les ethnies majoritaires dans la classe ultra minoritaire des « ayants » ne réduira jamais la profonde fracture sociale au Kamerun. Celle-ci ne sera réduite que lorsque les « non ayants », toutes ethnies confondues, prendront eux-mêmes en mains leur propre destin, par tous les moyens démocratiques et légitimes possibles.

C’est ici que les intellectuels patriotes prennent toute leur place dans cette lutte contre le tribalisme. En tant que passeurs d’idées ou inducteurs de comportements les intellectuels doivent s’imposer, tant par leurs attitudes que par leurs discours, comme les remparts d’une conscience véritablement nationale voire panafricaine, et refuser toute participation au jeu tribalisant proposé par le régime en place.
Les « intellectuels » qui font le contraire ne sont, malgré leurs circonvolutions, doctorats et professorats, que de vulgaires complices objectifs de l’idéologie tribaliste du régime. De tels « intellectuels », qu’ils soient de la diaspora ou de l’intérieur, doivent être dénoncés sans complaisance. Leurs discours qui essaient, à tous les coups et sans nuance, de privilégier les considérations ethniques pour expliquer la société kamerunaise au détriment des considérations sociales, politiques ou idéologiques, doivent être démontés. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont vraiment : des « intellectuels » tribalistes, adversaires d’un régime tribaliste. Bref, des tribalistes entre eux. D’ailleurs, connaissant ce régime sanguinaire et répressif, on comprend qu’il laisse ces intellectuels-alliés-objectifs dire et circuler librement au Kamerun, pour le plus grand bien de sa stratégie tribaliste. Une stratégie d’autant plus renforcée lorsque ces « intellectuels » alliés-objectifs proviennent d’une prétendue ethnie « ennemie » des Beti et surtout s’ils se présentent comme des opposants farouches, insulteurs à tue-tête – ils crient des USA on les entend à Etoudi – de Biya. Faire-valoir tribalistes du régime, ils sont tolérés, voire cyniquement encouragés, parce qu’ils contribuent à imposer le prisme ethnique comme principal outil d’analyse politique, sociale ou « intellectuelle » des problèmes du Kamerun.

Pourtant, c’est sur la vérité objectivable des classes sociales et non des ethnies que Ouandié, dans le premier texte cité ci-dessus, appelle toutes les catégories à se mettre ensemble : ouvriers, fonctionnaires, soldats, paysans, jeunes et femmes, chômeurs, explicite-t-il. On ajourerait aujourd’hui : employés, petits commerçants, entrepreneurs de petites entreprises, etc. C’est par le prisme des classes d’intérêts économiques et sociaux que doivent se lire les tensions qui traversent la société kamerunaise, et non pas seulement par celui des appartenances ethniques, fussent-elles hélas parfois en cause lorsque certains protagonistes ne s’identifient que par leur ethnie.
Alors, ce 15 janvier 2015, rendre hommage à Ernest Ouandié, le Bamiléké-plus-Kamerunais-que-Bamiléké, le Kamerunais-plus-Africain-que-Kamerunais dont j’aurai été fier qu’il soit mon président de la république, c’est rappeler ses écrits et dénoncer les impostures « intellectuelles » de ceux qui alimentent aujourd’hui la stratégie tribaliste et aujoulatiste de l’UNC-RDPC.

Rendre hommage à Ouandié, c’est s’engager résolument à déconstruire les discours aux relents tribalistes d’où qu’ils viennent, du régime comme de « l’opposition », des incultes comme des « intellectuels ». C’est s’engager à restaurer le sentiment national kamerunais au-delà du sentiment tribal, qui seul permettra à tous les Kamerunais, quelles que soient leurs ethnies, en toute confiance les uns envers les autres, de réussir à se mettre ensemble pour bouter dehors le régime tribaliste RDPC-Biya et résister à tout autre régime tribaliste qui tenterait de le remplacer.

Moïse ESSOH
Militant de l’UPC (des fidèles) – Ni professeur, ni intello.

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