Par Ghonda Nounga (Manidem)
(Questions expresses au sujet de la proposition du Pr. Joseph Owona pour une rotation régionale de la présidence de la république.)
Je commencerais par noter qu’à ce qu’il paraît, la description que le Pr. Owona fait des systèmes de rotation du pouvoir dans certaines sociétés africaines précoloniales est excellente et vaut le détour. Mais la belle étiquette sur la marchandise cache, m’a dit un ami qui a « feuilleté » le livre du professeur, un produit avarié qu’il m’a décrit sous la forme des questions ci-après.
1. Les régions telles qu’elles existent actuellement sont-elles des données sacrées, inviolables, et existent-elles de tous temps ? Ne faut-il pas les considérer comme de simples constructions artificielles aux fins de manipulations politiques particulières ? Qu’indique leur histoire ? Inutile de chercher loin ! Il suffit ici de rappeler le maintien par Ahidjo, pendant une demi-éternité, d’un Nord monolithique, comme élément de son chantage à l’unité nationale. On pensera par ailleurs au dépeçage de ce même Nord en trois régions par Paul Biya après la tentative de coup d’Etat avortée d’avril 1984, comme paravent à d’autre entreprises déstabilisatrices susceptibles de venir des partisans d’Ahidjo.
2. Si jamais l’on acceptait la proposition singulière d’une rotation régionale du pouvoir présidentiel, les régions telles qu’elles existent actuellement constituent-elles l’organisation administrative optimale à cet effet ? Ou bien faudra t-il redécouper le Kamerun ? Et sur quels fondements ? Voilà qui fera des joutes politiques, juridiques, économiques et culturelles intéressantes ! Le Manidem, quant à lui, dispose depuis des lustres d’un plan de redécoupage de notre territoire à des fins plus utiles que la dévolution de la dictature par rotation entre les divers valets locaux du néocolonialisme. Mais en attendant ces joutes enflammées, comment ferons-nous pour éviter les inévitables batailles ethniques au sein de chaque région pour l’ahidjo-biyayerie à dévolution tournante ? Ici, on entend le Pr. Joseph Owona murmurer dans sa barbiche : « Ils se débrouilleront ».
3. Quelle utilité y a-t-il, en ce 21ème siècle et dans cette périphérie « catastrophée » du capitalisme qu’est le Kamerun, quelle utilité, dis-je, à expérimenter une institution qui a pu convenir à certaines sociétés claniques ou féodales, c’est-à-dire à des modes de production particuliers et désormais caduques, mais dont l’incongruité par rapport aux données politiques, économiques, sociales et culturelles nationales et internationales actuelles est flagrante ? Que vise et que doit viser l’alternance du pouvoir au sein d’une société ? Question fondamentale s’il en fût !
4. Les Kamerunais sont-ils des êtres régionaux par essence ou sont-ils des êtres historiques comme tous les autres Humains ? La tribu est-elle chez nous une donnée biologique ? Cette dernière question n’est pas hors de propos ici, comme mon lecteur s’en apercevra bientôt. Car, et il ne faut pas s’y tromper, la référence à la région, par le Pr. Owona, comme nouvelle unité de base possible pour la dévolution alternée du pouvoir présidentiel, ne constitue qu’un progrès trompeur quand on se réfère à la prégnance du tribalisme dans la gestion de notre pays depuis l’époque coloniale. Et je ne parle pas ce tribalisme subsidiaire dont se plaignent d’être victimes tels ou tels groupes ethniques au sein de notre société. Il s’agit ici d’un tribalisme plus « ontologique » et véritablement fondateur, sur lequel repose la gestion de notre pays depuis le premier colon. Et l’idée d’un passage de ce tribalisme “fondateur” à un régionalisme quelconque est une duperie si l’on n’admet pas que ce tribalisme est consubstantiel au système, et si l’on n’envisage pas ledit passage dans le cadre d’une révolution populaire anticapitaliste, eu égard à ce que le colonialisme et le néocolonialisme sont des sécrétions du capitalisme.
Le Pr. Owona ne s’aperçoit peut-être pas qu’il convoie subrepticement vers nos consciences, par son appel à la régionalisation rotative de la fonction présidentielle, l’idéologie raciste du colon ainsi qu’un fonds pourri des thèses lugubres des Lévi Brühl et Gobineau ! De fait, et contrairement à toutes les données historiques disponibles dès avant l’entreprise coloniale, l’idéologie raciste du capitalisme expansionniste considérait les Africains comme des êtres essentiellement ethniques, appartenant de manière irréductible à des entités tribales cloisonnées, hostiles les unes aux autres, et s’entre-massacrant en de perpétuelles guerres sauvages. Or cette idéologie raciste, qui justifia jadis l’instauration de la « paix coloniale », sous-tend aujourd’hui cette “paix néocoloniale” dont les manifestations phénoménales sont les pratiques dictatoriales et anti-populaires du pouvoir actuel. encore des pratiques politiques au Kamerun. Qui ne se souvient que pour légitimer sa dictature et l’imposition de son parti unique, et sous prétexte d’unité nationale, Ahidjo évoquait (ou « invoquait » – c’est selon !) l’extrême diversité de nos ethnies, belliqueuses comme par essence et prêtes à s’entre-déchirer pour un oui ou pour un non ? Paul Biya ne recourt-il à ce même stratagème intellectuel pour justifier son refus de la démocratie au motif que nos ethnies font du Kamerun « une nation fragile et encore en construction » ?
Il faut le redire ici avec force : le tribalisme que font semblant de craindre les uns et les autres est un artifice colonial de domination et, en tant qu’héritiers et continuateurs du colonialisme, nos dirigeants en sont les vecteurs et les pratiquants, tant par leurs discours que dans leurs actions.
5. Pour Joseph Owona par conséquent, et malgré l’évidence criarde des différentiations entre classes exploiteuses et classes exploitées au sein de notre société, et en dépit du caractère de plus en plus acéré des luttes sociales, il ne saurait y avoir de conflits essentiels au Kamerun que tribaux. On comprend aisément quel esprit a guidé l’introduction, dans notre constitution, des notions lugubres d’allogénie et d’autochtonie.
6. Aussi, à la question fondamentale du « qui détient le pouvoir ? », le Pr. Owona laisse implicitement entendre que ce ne peut être que des tribus, l’une après l’autre de manière rotative ou toutes à la fois dans le cadre de la fameuse « unité nationale » dont le clopinant « bilinguisme » est l’une des expressions culturelles. C’est dans le cadre de cette intellectualité abracadabrante qu’on dévoie, tous les jours que Dieu fait, les notions avérées de la science pour les conformer aux nécessités extravagantes du politique. Vous en voulez quelques exemples ? Dans les années 90, pour se coltiner la toute nouvelle ethnie des « Anglo-Bamis », on étend le concept de « Beti » jusqu’à y inclure les Bulus et même les populations du Mbam. Dans la même veine, le territoire des Sawas s’étend de Campo à Bakassi. On y aurait même inclus l’ancien royaume de Calabar, au Nigéria, si l’on n’avait craint quelque incident diplomatique. Les anthropologues kamerunais eurent beau hurler, rien n’y fit ! Est-ce qu’ils ont le pouvoir ? Aujourd’hui encore, la représentation dite « sociologique », pour les élections aux assemblées communales et législative, se réduit à l’allocation ethnique et par genre des postes à pourvoir. Les sociologues honnêtes en ont des larmes aux yeux. Mais, comme dirait l’autre, la science est chose trop importante pour qu’on la laisse aux mains de simples scientifiques.
Dépêchez-vous donc, mesdames et messieurs des syndicats, des associations de la société civile, des partis politiques, dépêchez-vous, citoyens ayant cru qu’on pouvait percevoir le Kamerun autrement que comme une agrégation d’ethnies ! Hâtez-vous d’oubliez vos tentatives de regroupements au niveau national ! La région (i.e. la tribu), il n’y a que ça de vrai ! Et cela est bon pour la survie du Renouveau néocolonialiste après Biya. Car tel est l’enjeu idéologique de la proposition du Pr. Owona.
Dans les classes destinées à quitter la scène de l’histoire, nous dit-on, de rares membres avisés de ces classes sentent très tôt le vent tourner. Monsieur Joseph Owona est un homme avisé, et c’est en cela qu’il est un authentique intellectuel. Il veut sauver le régime néocolonial. Mais ce régime est désormais condamné.
Le Manidem et les autres forces patriotiques veillent et ne laisseront plus si facilement abuser le peuple kamerunais. Qu’on se le dise !
Ghonda Nounga
*Le titre est de la rédaction de Diaf-tv
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