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vendredi, mai 17, 2024
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FINE BISSKITT !

Dans mon enfance un vendeur de biscuits parcourait la ville au pas cadencé, son plateau de marchandises en équilibre sur la tête. Il allait à travers quartiers, ruelles et concessions d’une allure soutenue par sa chanson fétiche, sa publicité comme on dirait aujourd’hui. J’en reproduis ci-dessous, approximativement, les deux seuls vers qui me restent après des décennies.

Fine bisskitt two fô one dolla.
No bi fo fo fo suga dé inside.

Ce jeune homme toujours très propre sur lui connut un succès remarquable. Nous, les enfants, l’appelions Fine Biskitt et attendions sa tournée avec impatience. Dès qu’il entrait dans la concession de son pas de danse sportive, son air à la bouche, nous étions sur ses talons à le mimer, à chanter en chœur tout en ameutant nos parents : « Fine Biskitt est là ! Fine Biskitt est là ! » Et s’il restait 5 francs dans le porte-monnaie d’une mère, elle nous les donnait et nous achetions les deux biscuits que notre nuée de moineaux se partageait, chacun ne recevant guère qu’un petit morceau que, longuement, il faisait rouler dans la bouche d’une joue à l’autre.

Ce pâtissier de talent avait compris qu’il fallait savoir vendre, sans artifices, simplement en créant autre chose à côté du produit proprement dit. Cette chose-là fut sa mise impeccable, sa bonne éducation qui charmait nos parents, son jeu dansant, sa chansonnette dont l’air trottera longtemps dans les têtes. Et, sa constance à programmer ses tournées dans les quartiers de la ville, sans oublier aucun, qu’il parcourait à fréquences régulières. Tout était réuni en une seule personne : le courage au travail, la qualité du produit, la rigueur dans la gestion, la pointe d’art en plus nécessaire à toute entreprise commerciale.

Un jour, sans prévenir, plus de Fine Biskitt.

La légende raconte qu’il fut rappelé dans son village de l’Ouest pour prendre la succession de la chefferie à la mort de son père. Devenus orphelins nous soupirions, un peu à la manière de cet homme réduit à répéter à propos de l’ami disparu sans laisser d’adresse :
Que sera-t-il advenu de lui ?
Que sera-t-il advenu de lui ?

Parmi les ingrédients de Fine Biskitt il y avait du sucre, importé en ce temps-là. Nous n’avions encore ni Mbandjock ni Nkoteng pour la fabrication du sucre. Ce produit qui rentre dans la consommation de masse dans le monde entier, circule d’un pays à l’autre, est pris en compte dans les indices boursiers, ce qui en fait son caractère sensible à l’anarchie des marchés, à la spéculation. Les alarmes à propos du sucre sont récurrentes dans notre pays : telle année on parle de pénurie, telle autre la mort de la Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM) est annoncée si le gouvernement n’en vient aux mesures protectionnistes contre l’importation du sucre, l’année suivante c’est l’effondrement de la SOSUCAM qu’il faudrait craindre en proportion inverse des prix du sucre.

Quelle est notre capacité actuelle de production du sucre ? Quelle est la consommation des Camerounais et qu’est-ce qui va à l’exportation ? Pendant la période de forte demande comme pendant le mois du Ramadan quelle est l’ampleur de la consommation ? Quelles sont les prix et du sucre importé et du sucre local ? Quels sont les prix mini et maxi ? Doit-on importer ou bien s’abstenir de le faire ? Etc. Ce ne sont là que quelques questions simples dont les réponses, curieusement, varient continuellement. Tel jour on apprend que la consommation des Camerounais est de 140 000 tonnes de sucre par an, le lendemain qu’elle varie entre 180 000 et 200 000 tonnes, et le surlendemain qu’elle atteint 300 000 tonnes. Tel jour l’on déclare qu’à cause de la production insuffisante de la SOSUCAM, autour de 130 000 tonnes semble-t-il, le Cameroun souffre d’un déficit de 40 000 tonnes de sucre que l’on doit par conséquent importer, une autre fois on dit que c’est plutôt 150 000 tonnes qu’il faudrait trouver à l’extérieur.  L’on entend la SOSUCAM demander aux autorités de mettre fin aux importations mais c’est la même SOSUCAM, derrière des prête-noms semble-t-il, qui en certaines circonstances se hisse au premier rang parmi les importateurs de sucre. Tel jour ce sont les exportations de sucre qui sont interdites par les autorités, tel autre c’est plutôt les importations. Que doit-on comprendre ?
Une denrée que des millions de Camerounais réclament chaque jour ce n’est pas rien. Il y a donc lieu d’attendre de nos autorités, avant toute chose, un minimum de pédagogie afin que chacun comprenne où l’on est et où l’on va. En l’absence de quoi la multiplication des alarmes ne cessera d’alimenter la spéculation jusqu’au niveau le plus bas du détaillant qui sait qu’il peut tenir à sa merci sa clientèle des mamans qui font des beignets en les impatientant pendant un ou deux jours, voire pendant une semaine. Sans l’éducation du consommateur camerounais, le soutien nécessaire qu’il doit apporter à notre propre production reste hypothétique, fragile, dans un domaine pourtant où rôdent des prédateurs aux dents longues ; et l’on aurait tort de penser qu’ils arrivent tous de l’étranger. D’alarme en alarme et de rumeur en rumeur, c’est l’effort de pédagogie qui aidera à distinguer entre les vrais problèmes du sucre et le bruit qui ne serait que de la diversion aux fins de cacher des opérations douteuses.

La SOSUCAM fut considérée en son temps comme un des fleurons de l’industrie camerounaise et à juste titre. De plus son produit fait partie de la consommation de masse, il circule dans les deux sens entre le Cameroun et les pays voisins, il rentre ainsi dans les spéculations transfrontalières. Si la configuration actuelle de la SOSUCAM fait qu’elle est encore incapable de couvrir la demande locale, quel problème entend-on résoudre en permettant à la société d’importer du sucre ? C’est vrai qu’on a déjà vu des sociétés dans l’importation des produits du même type que ceux qu’elles fabriquent (machines, voitures, etc.). Mais souvent, ces importations proviennent des filiales à l’étranger de l’industriel qui importe et il y a toujours un avantage commercial précis dans ce procédé ; qui est par exemple de couvrir toute la gamme d’une production donnée. Cela peut être pour des machines ou des véhicules de couvrir toute la gamme, des moins puissantes aux plus puissantes, ou bien toute la gamme des prix. Ainsi, une société devient-elle mieux armée pour faire des offres prenant en compte les besoins complexes des clients en insérant dans ses propositions y compris ce qu’elle-même ne produit pas et qu’elle a acquis en important.

Mais un producteur de sucre qui importe du sucre que cherche-t-il à résoudre ?

Si les importations avaient l’objectif de surmonter le déficit de production de la SOSUCAM, il y aurait du sens à autoriser d’importer. A plusieurs conditions cependant. La première étant de ne concéder ce droit qu’à la seule SOSUCAM, c’est-à-dire d’afficher la volonté de protéger (pour un temps à définir précisément) à la fois la société produisant sur le sol national et le consommateur camerounais ; ceci par le biais du monopole de l’offre entre les mains de ladite société alors autorisée à importer. Cela serait concevable dans le cadre d’un accord avec le gouvernement, l’usine acceptant en retour de pratiquer des prix adaptés au pouvoir d’achat des populations. Une telle formule est concevable, mais vous  entendez déjà les cris de tous ceux qui voudront rappeler à l’Etat camerounais qu’il a signé des textes lui faisant devoir d’ouvrir ses frontières à toutes les marchandises, sans protectionnisme. La seconde condition, surtout si l’on a en vue de protéger la production locale et le consommateur, c’est que l’Etat réponde de l’étanchéité de ses frontières et de la probité de sa douane. Faute de cela toutes les décisions protectionnistes ne sont que gesticulation puisque le sucre de contrebande continuerait à passer à travers des porosités diverses et variées et imposerait des prix spéculatifs.

Si l’on n’a pas cet objectif protectionniste en vue, le risque existe de faire évoluer la SOSUCAM, qui n’est pas un banal acteur dans le secteur sucrier au Cameroun, dans un rôle de distributeur du sucre brésilien ou d’un quelconque autre pays producteur de sucre. Or, toute quantité de sucre qu’elle est autorisée à importer ferait fatalement concurrence à sa propre production sur le marché, surtout si le coût du produit importé était compétitif. Ce qui serait le cas car les commerciaux et ingénieurs de la SOSUCAM ne courraient pas le monde à la recherche des fournisseurs de sucre, en dépensant de l’énergie et des devises, si c’était pour l’acheter aussi cher que son coût de production au Cameroun. Cette occupation engendre le piège contre l’équipe managériale  de dériver imperceptiblement en dehors de son cœur de métier, d’infuser des manières en son sein et d’ouvrir des appétits qui ne sont pas forcément favorables à la production locale.

La SOSUCAM entrée dans le jeu d’acheter à l’extérieur, son quota d’importation fixé, le reste, environ trois fois plus, à d’autres importateurs plus ou moins spéculateurs. Dès lors aura-t-elle encore l’autorité morale de crier contre ceux-ci alors qu’elle s’’est engouffrée dans la brèche ouverte de l’importation tout comme eux ? De même, ce sera un peu tard lorsqu’elle tentera de faire entendre que les vannes ouvertes des importations l’empêchent d’écouler sa propre production et qu’en définitive cela nuit aux affaires de la SOSUCAM et incidemment aux consommateurs.

C’est dans cette effervescence que la présidence vint ajouter son grain de sel, en 2014, à travers le Secrétariat général de la présidence qui a ordonné l’arrêt des importations de sucre « jusqu’à nouvel ordre ». L’autorité de la présidence empiète ici dans un domaine qui relève avant tout du ministre du commerce. Non seulement cette montée au filet de la présidence a laissé intact le désordre ambiant, et en plus elle n’a pas été rassurante, comme c’est d’ailleurs le cas chaque fois que le chef de l’Etat ou ses services les plus proches prennent des décisions qui relèvent de tel ou tel ministère.

En début de ce mois de juin, des rumeurs d’une pénurie de sucre en cette période du Ramadan poussent le journaliste à interroger le ministre du commerce. Celui-ci rassure l’opinion en expliquant que les stocks actuellement disponibles permettent de passer le cap du Ramadan et il indique que son ministère saurait répondre si malgré tout du sucre venait à manquer dans quelques mois.

« Par contre, poursuit-il, si, en fin d’inter campagne, c’est-à-dire autour du mois d’octobre / fin septembre, le besoin s’en faisait sentir, les marchandises actuellement stockées au Port de Douala, importées dans des conditions qui restent à éclaircir, pourraient, suivant des critères à apprécier et à préciser, servir éventuellement d’appoint. Nous n’en sommes pas là, du moins pour l’instant. »
Quel besoin s’en ferait sentir… ? Connaissant les capacités de production de la SOSUCAM et le volume actuel des stocks, les services du ministère devraient pouvoir dire sans hésiter si oui ou non le pays est à l’abri de la pénurie dans quelques mois jusqu’à la fin de cette année-ci. Et le ministre avance si prudemment avec des précautions oratoires à n’en plus finir, si besoin s’en faisait sentir…, Nous n’en sommes pas là…, du moins pour l’instant… Il faut malheureusement entendre qu’il y a beaucoup trop de paramètres ingérables derrière tout cela, à commencer par des hommes puissants qui spéculent.
Le ministère du commerce a bien ordonné une descente à Mbandjock et Nkoteng, l’on a pu juger du confortable niveau des stocks et il n’y a pas d’inquiétude quant à la consommation des Camerounais qui n’ira pas grimper à des niveaux que l’on a jamais connus. Tous les indicateurs sont bons, mais enfin avec la spéculation on ne sait jamais, le pire est toujours à venir. En ce cas le ministre recourrait aux « marchandises actuellement stockées au Port de Douala, importées dans des conditions qui restent à éclaircir, (et qui) pourraient, suivant des critères à apprécier et à préciser, servir éventuellement d’appoint… »

L’interdiction de l’importation du sucre ordonnée par le Secrétariat général de la présidence « jusqu’à nouvel ordre » a-t-elle pris fin ? Si oui quand ? Sinon qui donc aura importé et stocké au Port dans des conditions à éclaircir ? On pourrait se dire naïvement qu’il suffirait d’un coup de fil à la douane pour savoir le nom de l’importateur. Mais nous sommes là dans le domaine sensible et l’information que l’on pourrait avoir en appelant au téléphone exigera peut-être une enquête au bout du compte. Enquête qui aboutira. Ou pas. D’où encore une fois, les précautions de langage « Des conditions qui restent à éclaircir », «(qui) pourraient, », « suivant des critères à apprécier et à préciser », « servir éventuellement d’appoint », qui sont comme des abris derrière lesquels il semble sage, tout ministre que l’on soit, de se retrancher.

SOSUCAM doit se hisser à la capacité d’être au front elle-même pour défendre sa production, son territoire, son marché. L’augmentation de sa production, au niveau de la demande locale au moins, passe par l’amélioration de sa gestion (transparente, saine, vigoureuse, inventive) et la mise à niveau de ses équipements sur le plan des performances techniques, et par un soutien logistique efficace.
Fine Bisskitt, à l’aide !

Par Albert MOUTOUDOU

Téléphone : 697 47 14 91
Email : albert.moutoudou@orange.fr

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