Source: africanews
Héros vénéré de décennies de guérilla de libération lorsqu’il prit la tête de l’Érythrée à son indépendance en 1993, Issaias Afeworki s’est mué en dictateur impitoyable et a fait de son pays une « Corée du Nord » africaine.
Longtemps paria car accusé de déstabiliser la Corne de l’Afrique en soutenant des groupes armés, dont les islamistes somaliens shebab, M. Issaias est revenu sur la scène internationale en 2018 en signant un accord de paix avec le nouveau Premier ministre de l’Éthiopie, Abiy Ahmed.
La fin de 20 ans de conflit ouvert ou larvé avec le puissant voisin éthiopien avait suscité un bref espoir d’assouplissement. Mais M. Issaias n’a pas desserré sa poigne sur le pays et continue de mépriser les critiques internationales.
Il a récemment qualifié de « chimères » les accusations d’exactions visant l’armée érythréenne au Tigré, région éthiopienne où elle a soutenu le gouvernement d’Abiy Ahmed en guerre contre les autorités locales du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), parti auparavant au pouvoir en Éthiopie et ennemi juré d’Asmara.
Agé de 77 ans, l’homme n’a pas toujours été le « dictateur isolé et lunatique », « austère », « narcissique » et « paranoïaque » décrit dans des câbles diplomatiques américains de 2009 publiés par WikiLeaks.
A la fin des années 1990, Washington le plaçait parmi la « nouvelle génération » de dirigeants africains, censés apporter démocratie et réformes économiques.
Issaias Afeworki est né en 1946 dans une famille chrétienne orthodoxe d’Asmara, capitale de cette ex-colonie italienne passée sous administration britannique durant la Seconde Guerre mondiale. Il interrompt à 20 ans des études d’ingénieur à Addis Abeba pour rejoindre la rébellion indépendantiste d’Érythrée, annexée par l’Éthiopie.
Ce brillant orateur, parfait arabophone, gravit les échelons jusqu’au commandement du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), qui tient tête durant trois décennies à la puissante armée éthiopienne soutenue par les États-Unis, puis par l’URSS.
Le FPLE prend Asmara le 24 mai 1991 et deux ans plus tard, jour pour jour, l’Erythrée proclame formellement son indépendance après un référendum. Issaias Afeworki en devient le premier chef de l’État. Le seul à ce jour.
Le chercheur français Gérard Chaliand, spécialiste des conflits armés, l’a rencontré en 1978 dans le maquis érythréen. Il se souvient d’un homme « ouvert », avec lequel il avait alors « sympathisé ». Le 24 mai 1991 à Asmara, il retrouve un homme « très différent », devenu « très distant et très décevant », raconte-t-il à l’AFP.
Au journaliste et universitaire américain Dan Connell qui lui demande en 1993 ce qu’il ressent à l’aboutissement de décennies de combat, il répond : « Je ne ressens rien, j’ai beaucoup de travail devant moi ».
Admirateur de Mao depuis une formation politique en Chine durant la Révolution culturelle, le président Issaias assoit son emprise sur l’État et transforme le FPLE en parti unique, le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ).
La Constitution adoptée en 1997 ne sera jamais mise en œuvre et les rêves de démocratie et de paix des Érythréens se fracassent sur la réalité d’un régime sans élections et le retour à la guerre avec l’Éthiopie, qui fera au moins 80 000 morts entre 1998 et 2000.
L’état de guerre permanent dans lequel M. Issaias maintient l’Érythrée justifie tous les tours de vis, notamment la durée illimitée d’une conscription obligatoire pour femmes et hommes – toujours en vigueur.
Mais son exercice solitaire du pouvoir suscite les critiques jusque dans son entourage. En 2001, 15 hauts dirigeants du PFDJ, anciens compagnons de lutte, réclament dans une lettre ouverte des réformes démocratiques et la mise en œuvre de la Constitution.
Sa réponse est brutale. Onze sont arrêtés et leur sort toujours inconnu. Ceux qui échappent à l’arrestation s’exilent. La presse indépendante est suspendue, ses rédacteurs en chef croupissent depuis dans des geôles sinistres.
Longtemps, M. Issaias a cultivé une image « d’homme du peuple », arpentant de sa silhouette longiligne les rues d’Asmara. Il dédaigne costumes de luxe et culte de la personnalité et son portrait à l’éternelle épaisse moustache apparaît rarement hors des bâtiments officiels.
Mais il ne tolère aucune critique et isole son pays.
Les affronts sont rarissimes : en 2013, des soldats mutins s’emparent des ondes officielles, réclamant libération des prisonniers politiques et mise en œuvre de la Constitution. Le signal est rapidement coupé, le mouvement fait long feu et Asmara minimise.
Mais la jeunesse fuit en masse vers l’étranger ce régime de fer et la terrible conscription, assimilée à du travail forcé par l’ONU, qui vaut à l’Érythrée d’être qualifiée de « prison à ciel ouvert » par de nombreux observateurs.
Issaias Afeworki a « réussi à vider son pays des forces vives que représente la jeunesse », constate Patrick Ferras, docteur en géopolitique et spécialiste de la région.
Selon Gérard Chaliand, il « a créé un des régimes dictatoriaux les plus roides de son époque ».
Le titre par la rédaction
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