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DIEUDONNÉ AMBASSA ZANG : “ L’opération Epervier est à tête chercheuse”

L’ancien ministre des Travaux Publics, réfugié politique en France depuis 2010, donne sa version sur les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de l’opération Épervier. Il en profite pour clamer son innocence.

Depuis que vous êtes parti du Cameroun, certains vous disent exilé en France, d’autres que vous avez changé de nationalité. Quelle est la vérité ?

Pour la bonne information de l’opinion publique, je dois faire savoir que j’ai été admis au statut de Réfugié Politique en France en avril 2010. Concernant le second volet de votre question, rien ne s’oppose à moi si je décidais de changer de nationalité mais, pour le moment, je suis encore de nationalité camerounaise.

Selon certaines sources, vous êtes parti dès que la justice a commencé à s’intéresser à vous. Au fait, pourquoi avez-vous quitté votre pays ?

Me trouvant en France pour des raisons personnelles lorsque mon immunité parlementaire a été levée au forceps par le Bureau de l’Assemblée Nationale le 07 août 2009, après une première session tenue le 14 juillet 2009 à l’issue de laquelle les Députés toutes tendances politiques confondues avaient exprimé des doutes sur le «caractère sérieux, loyal et sincère de la demande», j’ai décidé de ne plus revenir au Cameroun de peur d’être jeté immédiatement en prison et ce d’autant plus que je n’étais pas sûr de pouvoir bénéficier d’un procès équitable. J’ai été conforté dans ma démarche par le fait que plusieurs hauts responsables politiques accusés de faits semblables à ceux qui m’étaient reprochés croupissaient en prison depuis des mois voire des années, sans que la procédure engagée à leur encontre n’ait progressé ni qu’ils aient été traduits devant un tribunal. En outre, une Mission de haut niveau dépê- chée au cameroun par l’Union Interparlementaire a souligné dans son rapport que certaines autorités avaient à mon égard non une présomption d’innocence mais plutôt une présomption de culpabilité. Permettez-moi enfin de saisir l’occasion qui m’est offerte pour rappeler que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule en son article 14 (al.1) que, «Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays». À ceux et celles qui m’accusent d’être parti pour échapper à la justice, j’oppose le fait que l’accusation principale contre moi porte sur l’opération de réhabilitation du pont sur le Wouri financée par la France à hauteur de 7,5 milliards Fcfa. Peut-on imaginer un seul instant que la France pouvait accepter d’accorder la protection juridique et administrative à un ancien Ministre des Travaux Publics Camerounais ayant détourné les ressources allouées par l’Agence Française de Développement à la réparation d’un ouvrage d’art vital pour le Cameroun. C’est une question de bon sens, même si au Cameroun le bon sens n’est pas la chose la mieux partagée.

Le Tcs vous a condamné à vie en Juin 2015 pour détournements avec de forts dommages-intérêts à payer à l’Etat. Que vous reproche-t-on en fait et surtout reconnaissez-vous les faits liés au marché de construction du deuxième pont sur le Wouri ?

Grosso modo, on me reproche : (i) le déroulement du marché des travaux de réhabilitation du pont sur le Wouri; (ii) la non-présentation des pièces justificatives des Régies d’Avances et des comptes bancaires ; (iii) des indemnités injustifiées servies aux personnels dans le cadre des Commissions de Passation des Marchés et des Comités Interministériels ; (iv) la remise irrégulière des pénalités à une Pme de l’entretien routier. Avant de répondre au second volet de votre question, il me semble important d’attirer l’attention de nos compatriotes sur la position de l’Union Interparlementaire à la suite du lourd verdict prononcé contre moi par le Tcs. Le Conseil Directeur de de ladite organisation internationale, dans sa Décision adoptée à l’unanimité à sa 197ème session tenue à Genève le 21 octobre 2015, s’est dit convaincu que la procédure ayant abouti à ma condamnation est entachée d’irrégularités telles qu’elles ne peuvent en aucun cas justifier ma condamnation. Et cette instance ajoute qu’elle craint qu’en réalité, les divers éléments inquiétants du dossier, pris ensemble, donnent beaucoup de poids à l’accusation selon laquelle j’ai fait l’objet d’une procédure pénale fondée sur des motifs étrangers au droit. Créée en 1889 et comptant aujourd’hui 170 membres et 11 membres associés, l’Union Interparlementaire est l’organisation internationale des Parlements.

Revenons sur le pont sur le Wouri?

S’agissant précisément de l’opération de réhabilitation du pont sur le Wouri, ma condamnation pose plusieurs problèmes, au premier rang desquels la fausse interprétation et application des articles 74 (éléments constitutifs d’une infraction pénale) et 184 (définition juridique du crime de détournement) du Code de Procédure Pénale. La vérité est que le prétendu détournement de 4,9 milliards Fcfa est en réalité l’évaluation faite par l’État du Cameroun du préjudice subi à la suite de la décision brutale et unilatérale de l’entreprise Udecto d’arrêter les travaux en janvier 2006. Il s’agit donc à n’en point douter d’une question mettant en cause la responsabilité contractuelle du co-contractant défaillant de l’État du Cameroun, à savoir l’entreprise Udecto). Autant dire que ce n’est pas une question relevant de compétence matérielle du Tribunal Criminel Spécial. Comme autre problème pertinent, il importe de faire savoir les poursuites dirigées contre ma modeste personne sont abusives, au moins pour les deux raisons que je m’en vais exposer ci-après : -La Chambre de Commerce Internationale de Paris a pleinement réglé la question du préjudice subi par l’État du Cameroun dans sa sentence arbitrale rendue le 13 juillet 2010. En effet, après descente des Juges-Arbitres sur le terrain à Douala, ce Tribunal Arbitral a condamné l’entreprise Udecto à verser au Cameroun les sommes respectives de 3.041.860.168 Fcfa au titre de l’indemnisation pour préjudice subi et 368.500 Usd au titre du remboursement des frais d’arbitrage. – Le Ministère des Travaux Publics a mobilisé auprès de la banque camerounaise dénommée CBC les garanties données par l’entreprise Udecto représentant un montant de 2.834.073.931 Fca. Ces garanties constituées en application de la réglementation des marchés publics Mais bien malin celui qui pourrait dire la destination prise par les ressources libérées par la Cbc. Je ne peux qu’interpeller la représentation nationale, prise en ses deux Chambres que sont l’Assemblée nationale et le Sénat, pour demander la mise sur pied d’une commission d’enquête Parlementaire devant permettre d’éclairer la lanterne du peuple camerounais sur d’une part les dispositions prises par le gouvernement pour l’exécution de la sentence arbitrale rendue par la Cci de Paris et d’autre part l’emploi de la somme de 2,8 milliards mobilisée par le Gouvernement auprès de la Cbc .

Avez-vous exercé un recours contre cette décision ?

Si non qu’entendez-vous faire si elle devenait définitive ? J’ai fait introduire par mon avocat un pourvoi en cassation auprès de la Section Spécialisée de la Cour Suprême. Peut-être beaucoup ne le savent pas, le Tribunal Criminel Spécial «statue en premier et dernier ressort», une curiosité bien camerounaise non-conforme aux conventions régionales et internationales auxquelles notre pays a adhéré, en matière de procès équitable. Des esprits malins me rétorqueront qu’il y a une voie de recours offerte par le pourvoi en cassation auprès de la Section Spécialisée de la Cour Suprême. Je les invite à aller lire les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 11 de la Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 modifiée et complétée par la Loi n°2012/011 du 16 juillet 2012. En réalité, la voie de recours offerte par la loi susvisée n’est pas un recours de pleine juridiction à partir du moment où le pourvoi l’accusé et/ou du prévenu ne peut porter que sur les points de droit et non sur les faits. C’est donc dire que la possibilité n’est pas offerte à la personne qui conteste le verdict rendu par le Tribunal Criminel Spécial de faire réexaminer l’affaire tant en droit qu’en fait comme cela serait le cas s’il y avait une juridiction intermédiaire d’appel entre le Tribunal Criminel Spécial et la section Spécialisée de la Cour suprême. Cela est constitutif d’une grave violation des droits de la défense. Il y a urgence à mettre la Loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 modifiée et complétée par la Loi n°2012/011 du 16 juillet 2012 en conformité avec le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ainsi que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Tant que cela ne sera pas fait, il est fort à parier que le Cameroun perdra tous les procès qui seront intentés contre lui par ses nationaux devant les instances supranationales, même si le Cameroun a raison dans le fond car ce qui inté- resse prioritairement ce sont les garanties procédurales.

Certains de vos collaborateurs et coaccusés ont été acquittés en dehors de Mekongo Abega. Quelle appréciation faites-vous de l’opération Epervier en cours au Cameroun ?

Tout ou presque a déjà été dit concernant l’opé- ration épervier et cela ne me semble d’aucun intérêt d’avoir à redire les mêmes choses. Par contre, il me semble plutôt important d’appeler l’attention sur les graves conséquences de cette bonne idée de la lutte contre la corruption mais dont la mise en œuvre se fait en marge des lois et règlements de la République. Au plan social, la cohésion sociale a volé en éclats depuis le lancement de l’opération épervier et la Nation camerounaise est aujourd’hui profondément divisée à telle enseigne qu’il y a lieu de craindre une «nuit des longs couteaux». Au plan de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, l’opération épervier est une «opération à tête chercheuse» et dès lors qu’il y a un «Juge de l’opportunité des poursuites» (le Président de la République), la loi ne peut être appliquée que de manière différenciée. Au plan financier, l’opération épervier va emporter un coût financier terrible pour le Trésor Public au titre des réparations prononcées par les instances supranationales en faveur des personnes condamnées par les juridictions internes mais qui auront saisi avec succès le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies soit la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples. On parle aujourd’hui d’une somme de 3,3 milliards Fcfa recouvrées par le Tcs. Mais qu’est-ce que cela représente face aux sommes qui seront sorties des caisses publiques au titre de l’indemnisation des victimes des procès inéquitables des juridictions camerounaises. Juste à titre d’exemple, MM Michel Thierry Atangana réclame 270 milliards ; Paul Éric Kingue 23 milliards et JeanMarie Atangana Mebara 400 millions Fcfa. Aussi voudrais-je rappeler humblement à nos magistrats et aux autorités politiques les dispositions de l’article 37 (al.1) de notre Constitution, à savoir que «La justice est rendue sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais».

Le Cdbf a tenu le 25 mai dernier une session consacrée à l’examen de votre affaire. L’opinion publique a du mal à comprendre et voudrait connaître la décision qui a été prise ?

Les rapports confectionnés par les Vérificateurs du Contrôle supérieur de l’Etat à l’issue des missions de contrôle de ma gestion en qualité de ministre des Travaux Publics avaient été soumis au ministre de la Justice en mars 2009 par Mr Etame Massoma alors ministre du Contrôle Supérieur de l’État, pour mise en mouvement de l’action publique. Cette démarche et sans que le dossier ait été soumis au préalable à l’examen du Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, était constitutive d’un grave vice de procédure. En effet, la Loi n°74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants des crédits publics et des entreprises d’Etat telle que modifiée et complétée par la loi N°- 76/4 du 8 juillet 1976 consacre la compé- tence «ratione materiae» du Cdbf en matière de mise en cause de la responsabilité des comptables et des gestionnaires publics. Cette compétence a été réaffirmée par la loi n°2007-006 du 26 décembre 2007 portant Régime Financier de l’État, notamment les dispositions de l’article 52 (alinéa 3). Certes, la loi susvisée dispose que «la saisine du Conseil ne fait obstacle ni à l’exercice de l’action disciplinaire, ni à celui de l’action pénale» (Art. 11) mais, dans la lettre et l’esprit de la loi, les irrégularités et fautes de gestions présumées mises à la charge d’un Gestionnaire de Crédits Publics doivent au préalable faire l’objet d’un examen par le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière, à charge pour cette instance de transmettre le dossier à la Justice pour les cas qui seraient apparus au cours de l’instruction crimes ou délits (Art.10.al.3). La conséquence c’est que lorsque, sur recommandation de l’Union Interparlementaire, j’ai été traduit devant le Cdbf sur les hautes directives du président de la République, je me retrouve face à deux procé- dures parallèles et concomitantes : d’une part une procédure pénale et d’autre part une procédure devant une instance quasi-juridictionnelle de nature administrative. Cette situation véritablement inédite pose problème au regard du principe de droit «Le criminel tient le civil en l’état». Au Cameroun, ce principe est consacré par l’article 61 du Code de Procédure pénale dont ci-après les dispositions in extenso : «Article l’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique devant la même juridiction lorsque les deux résultent des mêmes faits. Elle peut aussi être exercée séparément de l’action civile. Dans ce cas, la juridiction saisie de l’action civile sursoit à statuer jusqu’à décision définitive sur l’action publique». C’est donc à juste titre que l’opinion publique se pose la question de savoir pourquoi et comment, après ma condamnation à vie par le Tcs et la déchéance à vie de mes droits, je me retrouve devant une instance de discipline budgétaire. Je lance un appel aux juristes notamment au barreau du Cameroun pour donner un éclairage. Parlant de la session du Cdbf du 25 mai dernier proprement dite, elle s’est tenue et j’y a été représenté par mon avocat. Il ressort du compterendu qu’il m’a fait que les membres du Cdbf ont convenu de reporter leur décision, le temps d’analyser les multiples documents que mon avocat a remis séance tenante. La prochaine session dont la date sera communiquée devra donc permettre aux membres du Cdbf d’aller au fond.

Comment vit-on l’exil dans votre cas ?

Des personnes qui ont vécu l’expérience de l’exil bien avant moi nous apprennent deux choses pas du tout reluisantes à savoir que d’une part «vieillir en exil, c’est vieillir deux fois» et d’autre part «Vivre en exil, c’est vivre en deuil, être en deuil». L’exil est un déracinement et même un arrachement surtout lorsqu’il est forcé comme dans mon cas. Je voudrais toutefois m’empresser d’y mettre un bémol. Certes l’exil est un grand obstacle mais il me fait grandir spirituellement ou physiquement, notamment en m’apprenant à me découvrir pour mieux prendre ma vie en main. Saint Exupéry nous apprend à cet égard dans son ouvrage Terre des Hommes que «L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle». Forcément, la vie est une école et pour ma part, l’exil est une étape de ma vie mais pas la fin de ma vie. Comment appréciez-vous la situation politique et économique du Cameroun aujourd’hui ? Vivant en exil depuis environ 07 ans, il est possible que mon point de vue manque quelque peu de pertinence. À la vérité, point n’est besoin d’être sur place pour comprendre que la question de la succession du Président Paul Biya aujourd’hui âgé de 83 ans est la chose qui agite la scène politique camerounaise. Les appétits et antagonismes suscités et/ou entretenus par les différentes «factions» au sein du sérail politique me font penser que «L’Après-Biya» risque fort d’être une période d’incertitude et d’instabilité pour le Cameroun. À ceux de nos compatriotes qui «me rentrent dedans» dès que j’exprime mes inquiétudes, je voudrais leur dire que je ne suis guère autre chose qu’un «lanceur d’alerte». À ce climat politique lourd, s’ajoute une situation économique assez préoccupante et j’en veux pour preuve le rapport Omd 2012 dressé par l’Institut National de la Statistique. Ainsi, concernant l’Omd N°1 «Éliminer l’extrême pauvreté et la faim», cet Établissement Public fait observer que : «La perspective de réaliser cet objectif à l’horizon 2020 reste incertaine si on s’en tient à la tendance actuelle. Les principaux indicateurs de pauvreté sont restés stables en milieu urbain et ont connu un repli en milieu rural entre 2001 et 2007. Dans l’ensemble la proportion de la population pauvre reste stable. L’emploi est en nette progression, la préoccupation majeure reste le sous-emploi qui se trouve très au-dessus de 50 %». Vous comprendrez pourquoi je condamne l’autosatisfaction permanente et stérile des personnes qui ont voie au chapitre. En parfaite conformité avec son rôle de contrôle de l’action gouvernementale, le parlement camerounais devrait mettre rapidement sur pied une Commission d’Enquête chargée d’évaluer le degré de mise en œuvre du «Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi» (Dsce)./-

Propos recueillis par Linus Pascal Fouda

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