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Dérèglements climatiques : apprendre à gérer l’eau d’ici 2050

Face aux dérèglements climatiques, à la multiplication attendue des «migrants climatiques», l’usage de l’eau se doit d’être raisonné. Entre étatisation et privatisation, une troisième voie est possible : celle d’une responsabilisation commune.

Au 8e Forum mondial de l’eau qui s’est ouvert à Brasilia ce lundi, l’ONU a présenté des chiffres qui font froid dans le dos : près de la moitié de la population mondiale – 3,6 milliards de personnes – vit dans des zones potentiellement pauvres en eau au moins un mois par an, et ce nombre pourrait atteindre 5,7 milliards en 2050. Plus de 2 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable. Un tiers des eaux souterraines du monde sont surexploitées, ce qui aura tôt ou tard des conséquences dramatiques sur l’environnement et l’accès à l’eau. Les prélèvements d’eau actuels au niveau mondial (4 600 km3 par an) sont déjà proches du seuil maximal compatible avec un cycle de l’eau normal. L’assèchement de régions autrefois fertiles et la perspective de «guerres de l’eau» ne relèvent donc pas de la science-fiction. La tragédie syrienne en est une illustration.

Or, avec l’augmentation de la population et la modification des modes de vie, la demande en eau devrait vraisemblablement augmenter de près d’un tiers d’ici 2050. Dans le même temps, les dérèglements climatiques perturbent déjà le cycle de l’eau, bouleversant notamment la mousson aussi bien en Asie qu’en Afrique. La fonte des glaciers des plateaux tibétain et andin, quant à elle, pourrait conduire à un assèchement, en saison sèche, du Yangzi Jiang, de l’Indus et du Gange, d’ici 25 ans, et donc provoquer le déplacement des populations riveraines. Un rapport de la Banque mondiale, publié le même jour que le rapport de l’ONU sur l’eau, alerte sur la multiplication attendue des «migrants climatiques» – qui pourraient atteindre 143 millions d’ici à 2050. En cause, les dérèglements climatiques déjà en cours, et en particulier les pénuries d’eau à venir.

Optimiser l’usage de l’eau

Il ne faut évidemment pas attendre d’être privé d’eau pour mettre en place des mesures pour préserver celle qui est aujourd’hui disponible. S’il est trop tôt pour en faire un bilan détaillé, la récente expérience du Cap, en Afrique du Sud, sera sans doute un cas d’école : le Jour 0, date à laquelle les robinets d’eau du Cap devaient être coupés faute d’eau, a été repoussé de plusieurs mois. La mise en place, par la municipalité, de mesures drastiques de réduction de la consommation d’eau (limite de consommation fixée à 50 litres par personne en février 2018, avec possibilité de sanctions) a sans doute contribué à préserver la ressource disponible. Plus généralement, on peut évaluer à 50% environ la part de l’eau «consommée» par l’agriculture mondiale qui ne parvient pas à destination (plante ou animal), et qui est donc dilapidée. Les marges de progression en matière d’efficacité d’usage de l’eau sont donc considérables. Comment se donner les moyens de les exploiter ?

La thèse de Garrett Hardin, en 1968, était qu’en l’absence de droits de propriété privée sur la ressource, celle-ci serait vouée à la dégradation et à la surexploitation. Dans le sillage des travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, nos recherches et notre expérience du terrain montrent que Hardin avait tort : c’est la privatisation qui, en privant la communauté locale des moyens institutionnels d’expliciter les externalités exercées par chacun sur la ressource, provoque la dilapidation de cette dernière. Entre étatisation et privatisation, une troisième voie est possible : celle des communs. En témoigne la Tunisie, où l’Etat a donné l’impulsion pour que les agriculteurs s’organisent afin de préserver la ressource en eau. En témoignent également les luttes sociales menées contre la privatisation de l’eau tant à Cochabamba qu’à Naples.

Les collectifs sont capables de s’organiser pour permettre l’accès à l’eau pour tous et augmenter l’efficacité de son usage. En Bolivie, lors de la crise de l’eau qui a frappé La Paz en 2016, les communautés qui ne dépendaient pas du système d’adduction général mais de petits systèmes décentralisés, n’ont pas connu de pénurie (1). Les communautés s’étaient organisées en amont de la crise : l’accès à l’eau était peu onéreux mais, en contrepartie, les usagers devaient participer aux travaux collectifs de maintenance des infrastructures. L’émergence de communs, c’est-à-dire de règles partagées pour gérer une ressource avec des droits d’accès différenciés renégociés de manière participative, semble donc être la meilleure réponse à la raréfaction programmée de l’accès à l’eau potable. C’est aussi, bien souvent, la plus démocratique. Le plan de gestion du manque d’eau en cas de Jour 0 au Cap prévoit ainsi de ne pas appliquer de coupures d’eau aux quartiers informels qui disposent déjà de points d’eau collectifs, aux hôpitaux et aux cliniques mais aussi au Central Business District, le quartier d’affaires du centre-ville… L’arbitrage entre des intérêts parfois concurrents est un enjeu décisif pour la démocratie de bien des pays. Mettre autour de la table toutes les parties prenantes intéressées par une gestion commune de la ressource reste le meilleur moyen d’échapper à la résolution d’un tel arbitrage par le rapport de force.

Neuf milliards d’individus en 2050

C’est aussi une excellente manière de responsabiliser chacun dans l’usage de la ressource en assurant un contrôle par les pairs. Le 1er mars, le ministre britannique de l’Environnement, Michael Gove, fustigeait l’attitude des distributeurs d’eau au Royaume-Uni, plus intéressés par la recherche de profits que par la qualité du service, au détriment de l’usager. En 2017, la société britannique Thames Water a écopé d’une forte amende pour avoir déversé des milliers de mètres cubes d’eau d’égout non-retraitée dans la nature. Il y a urgence à apprendre collectivement à faire un usage raisonné de l’eau car l’humanité peut se passer de bien des choses, mais pas de l’eau. Et les usages domestiques ne comptent que pour 10% de la consommation totale d’eau : cette dernière est également décisive pour l’agriculture, la production d’énergie non fossile et l’extraction de minerais. Compte tenu du défi de nourrir 9 milliards d’individus en 2050, de l’impératif de sortir des hydrocarbures fossiles et de la raréfaction de certains minerais clefs comme le cuivre, le nexus eau/énergie/minerais promet d’être l’enjeu central de l’économie mondiale pour les décennies à venir. De l’intelligence collective que nous mettrons en œuvre pour l’usage de ces trois communs mondiaux dépendra l’hospitalité de la planète à l’égard de l’humanité.

(1) Voir l’article de Sarah Botton dans The Conversation.

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