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Côte d’Ivoire : la chute des cours du cacao modifie la politique budgétaire

La chute brutale des cours mondiaux de l’or brun oblige le gouvernement d’Alassane Ouattara à revoir à la baisse son budget 2017, compromettant des investissements pourtant indispensables, notamment dans les secteurs sociaux.

La chute drastique de 40 % des cours du cacao depuis juillet 2016 frappe durement la filière clé de l’économie ivoirienne, qui représente 50 % des exportations du pays. « C’est le désarroi dans les campagnes, s’inquiète Benoît Kadjo, responsable d’une coopérative dans l’est du pays. Cette baisse fausse toutes nos prévisions, nous avions stocké notre récolte en espérant bénéficier d’un prix bord-champ (payé sur la plantation) d’au moins 800 F CFA (1,22 euro) par kilogramme de fèves et non 700 F CFA, comme proposé aux cultivateurs depuis début avril », explique ce professionnel du secteur, qui craint une exportation de contrebande à grande échelle vers le Ghana voisin, où les prix d’achat au producteur sont plus attractifs.

Un groupe d’agriculteurs conduit par la Coordination nationale des planteurs de Côte d’Ivoire (CNPCI) et le Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire (Synap-CI) envisage même de porter plainte contre le Conseil du café-cacao (CCC), qu’il accuse d’avoir mal géré les surplus des saisons précédentes et d’être de ce fait incapable d’aider aujourd’hui les planteurs.

En Côte d’Ivoire, c’est la filière dans son ensemble qui est ébranlée. Pour la première fois depuis 2012, année des grandes réformes du secteur, le revenu des paysans enregistre une forte baisse. « En 2016, avec un prix bord-champ de 1 100 F CFA par kilogramme, les paysans avaient engrangé 1 730 milliards de F CFA, soit 3 % de plus qu’en 2015 » explique Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement, qui reconnaît que l’année 2017 sera loin d’être aussi belle.

D’autant que, fin mars, plus de 90 000 tonnes de cacao étaient encore stockées chez les producteurs, les exportateurs ayant été incapables d’honorer leurs contrats d’achat signés en 2016, avant la chute des cours. Le CCC, plus que jamais décrié pour son opacité, enregistre des pertes sèches liées à la crise estimées à 293 milliards de F CFA, ce qui ne sera pas sans conséquence pour son programme d’investissement en milieu rural.

Pour maintenir sa promesse de payer aux cultivateurs 60 % du prix fixé par les marchés, le gouvernement ivoirien a renoncé à l’application de la taxe d’enregistrement sur les exportations pour la campagne intermédiaire en cours (d’avril à septembre). Ce renoncement lui fera perdre 43,4 milliards de F CFA sur cette période. « Ces pertes fiscales ont commencé à se faire sentir dès le 1er avril », confie Abdourahmane Cissé, le ministre du Budget et du Portefeuille de l’État.

Rabotage massif

L’impact économique de la chute des cours du cacao sur les finances publiques préoccupe au plus haut point le président Alassane Ouattara, déjà fragilisé par les mutineries et les grèves de fonctionnaires de janvier et février. Le chef de l’État, qui a décidé le 22 février de lancer un audit du système de commercialisation du cacao, sait d’ores et déjà qu’il va devoir rogner sur ses

J’ai été heureux pendant cinq ans parce que tout allait bien. Mais cette année, nous sommes dans l’obligation de réduire les dépenses de 10 %, et tous les ministères vous diront que leurs budgets ont été réduits de 5 % à 10 %

Jusqu’alors peu disert sur le sujet, il a fini par l’aborder le 19 avril, alors qu’il recevait au palais présidentiel une centaine de femmes soutenant ses réformes, conduites par Kandia Kamissoko Camara, la ministre de l’Éducation nationale. « J’ai été heureux pendant cinq ans parce que tout allait bien. Mais cette année, nous sommes dans l’obligation de réduire les dépenses de 10 %, et tous les ministères vous diront que leurs budgets ont été réduits de 5 % à 10 % », a expliqué Alassane Ouattara à ses hôtes.

Abidjan pourrait devenir une plateforme mondiale à même de dire non aux diktats des pays consommateurs de cacao

Avec 2 216 milliards de F CFA inscrits à la section investissements du budget 2017, les 10 % de coupes représentent donc un rabotage massif de 200 milliards de F CFA. Il n’épargnera aucun domaine, pas même les secteurs sociaux, pourtant fragilisés par plus d’une décennie de crise politique dans le pays. Les projets phares de 2017, comme la construction de collèges et de lycées, la réhabilitation et l’édification d’universités publiques, la mise à niveau de centres de santé dans le cadre de la Couverture mutuelle universelle (CMU) ou encore le programme d’électrification des localités et villages de plus de 500 habitants seront affectés. Quant au déficit budgétaire de l’État, initialement évalué à 3,4 %, il est désormais estimé à 4,5 %.

« Le président étudie plusieurs solutions pour sortir de cette impasse, fait valoir un conseiller d’Alassane Ouattara. Il a déjà mobilisé son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo pour créer un cartel du même type que l’Opep afin de pouvoir agir sur les cours mondiaux. Abidjan pourrait devenir une plateforme mondiale à même de dire non aux diktats des pays consommateurs de cacao. »

Emprunt

Pour limiter la casse, le chef de l’État ivoirien s’est aussi tourné vers la France afin qu’elle l’aide à convaincre le FMI et la Banque mondiale d’apporter un appui budgétaire supplémentaire au pays du fait de la chute des cours internationaux du cacao. « Cette question a été discutée lors de la rencontre entre François Hollande et Alassane Ouattara le 15 mars à Paris », indique une source française qui suit le dossier et assure que l’Hexagone va « appuyer la demande ivoirienne auprès du FMI ».

Une source proche du cabinet du Premier ministre estime que l’organisation internationale autorisera la Côte d’Ivoire à avoir accès à 100 % des ressources prévues dans le cadre du programme économique et financier qui les lie. De son côté, la Banque mondiale a déjà répondu, promettant à la Côte d’Ivoire un appui budgétaire de 125 millions de dollars (environ 115 millions d’euros). Dernier outil pour soulager ses finances publiques, un nouvel emprunt obligataire international d’une valeur de 1 milliard de dollars sera lancé par la Côte d’Ivoire entre juin et juillet.


Le retour du rêve d’un cartel de l’or brun

L’idée de créer une « Opep du cacao » est une antienne qui revient chaque fois que les cours dégringolent. Et pour cause : si 70 % du cacao mondial provient d’Afrique de l’Ouest, c’est à la Bourse de Londres (et dans une moindre mesure à celle de New York) que les prix sont fixés. Jusqu’ici, les pays producteurs ne sont jamais parvenus à s’entendre pour infléchir les cours par un contrôle des volumes produits, comme le font depuis près de soixante ans les membres de l’incontournable cartel de l’or noir.

Mi-avril, la directrice générale du Conseil du café-cacao ivoirien a reçu son homologue ghanéen pour discuter d’une coordination de leurs stratégies de production. Dix jours plus tard, le 24 avril, les représentants des principaux pays producteurs se sont réunis à Abidjan. « Nous sommes en crise. Nous ne pouvons plus prendre de décisions uniquement au niveau de nos pays. Nous devons prendre des décisions de façon solidaire », a plaidé à cette occasion l’Équatorien Luis Valverde, qui préside le Conseil international du cacao.

Les participants à la réunion d’Abidjan se sont engagés à mieux accorder leurs violons sur leurs productions respectives, mais aussi à œuvrer pour qu’une plus grande partie des fèves soit transformée au niveau local. En Côte d’Ivoire, où Félix Houphouët-Boigny avait fixé comme objectif la transformation locale de 50 % de la production nationale, ce taux n’a toujours pas dépassé les 35 %.

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