L’arbre qui cache la forêt.
Depuis quelques jours, il est loisible de lire tout et son contraire à propos du décès de Mme Ngo Kana (paix à son âme), médecin à l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala. Le moins que l’on puisse dire c’est que, les circonstances de ce départ ou plutôt, double départ prématuré (elle avait perdu son bébé quelques jours avant), questionnent, consternent voire enragent.
Mais au-delà de la polémique suscitée par ces circonstances, c’est tout le système de santé camerounais qui devrait retenir notre attention. Qu’est-il devenu?
Hier encore, c’était d’un pas assuré et quasi certain de notre guérison que nous allions à la rencontre du médecin (sauf envers ceux qui aimaient m’administrer des injections). Aujourd’hui, c’est avec un chapelet en main, une litanie des saints-ancêtres, une mini-cargaison d’écorces acquise auprès d’ « Alanmibou », une kyrielle de « prières miraculeuses » envoyée par la tante depuis Lourdes et une intarissable eau bénite achetée auprès de Tsala Essomba ou puisée dans la grotte sacrée de Fovu (Baham) que nous entrons sans grande conviction dans un établissement hospitalier. Tant l’éthique du « Care », la faculté empathique et la compétence de certains médecins interrogent autant qu’elles font constamment envisager le pire.
Est-ce trahir un secret de polichinelle que dire que nombre d’étudiants ont été admis à la Faculté de Médecine et Sciences Biomédicales (ex-Cuss) sur la base des critères autres que ceux du mérite?
Faut-il recourir à une démonstration particulière pour affirmer que plusieurs hôpitaux qui faisaient jadis la fierté du pays sont aujourd’hui des mouroirs, où tu crèves faute d’argent ou de « tchoko »?
Ne me demandez surtout pas, sous un ton défaitiste : « On va faire comment ? ». Le Cameroun a largement les moyens (humains, financiers, institutionnels, etc.) de remédier à ce circuit de la mort ; à ces défaillances mortifères et criminelles qui arrachent à la vie des forces vives de la nation et laissent de nombreuses familles dans le deuil et un fatalisme du type « c’était son jour ». Quel jour? « Tsuiiiiips ». Ne masquons pas nos responsabilités sous un prétendu « rappel de Dieu ».
Ici comme ailleurs d’ailleurs, la volonté politique peut faire la différence. Si tous ces gérontocrates au pouvoir étaient forcés de se soigner dans les hôpitaux locaux, nul doute qu’il y a longtemps qu’on parlerait du système de santé camerounais en termes élogieux, et ce, à travers le monde.
Mais hélas, nous assistons à la cristallisation d’un traitement à double vitesse : la république des avions médicalisés et des évacuations sanitaires pour les barons du régime et « la loterie sanitaire » pour le peuple. En clair, tant pis pour les citoyens qui, faute de moyens et lessivés par le labeur et les ténèbres abruptes de l’indifférence généralisée, s’éteignent chaque jour au crépuscule d’une longue agonie. C’est proprement effarant pour ne pas dire, révoltant. Requiescat in pace pour ces milliers de « no name ».
Bien évidemment, il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Tout le personnel médical ne saurait être logé – indistinctement- à la même enseigne. En dépit de l’insuffisance des moyens et des conditions salariales déplorables, de nombreux médecins et infirmières exercent leur métier avec passion, abnégation, dévouement et charité. À leur grand honneur, ils ont le serment d’Hippocrate tatoué sur le cœur. Mais comme dirait Fanon, le fait pour moi d’être étranger au monde schizophrène n’entame en rien sa réalité.
Correspondance de Christian Djoko/ Le titre est de la rédaction de Diaf extrait du texte
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