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Cameroun : Amnesty dénonce des exactions dans la lutte contre Boko Haram

Dans un rapport publié jeudi, Amnesty International accuse les forces de défense et de sécurité camerounaise de nombreuses violations des droits de l’homme dans l’extrême-nord du pays. Des allégations rejetées par le porte-parole du gouvernement.

Arrestations et détentions arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires, de torture, de disparitions forcées, etc. Dans un rapport rendu public jeudi 14 juillet, l’ONG américaine Amnesty International dénonce les graves violations des droits de l’homme qu’auraient perpétrées les forces de sécurité et de défense dans le cadre de la lutte contre Boko Haram dans l’extrême-nord du Cameroun.

Interrogé par Jeune Afrique, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, a rejeté ces accusations, se contentant toutefois de déclarations de principe. « Avant de s’engager sur le terrain, nos soldats reçoivent une formation en matière de protection et de promotion des droits de l’homme par des experts nationaux et internationaux. Si certains sont pris en train de violer ces règles, ils sont convoqués devant une cour martiale et font l’objet de sanctions », a-t-il souligné.

Expertise du rapport

Selon le porte-parole, aucun des faits rapportés par Amnesty International n’avaient été portés auparavant à l’attention du gouvernement. « Nous conduirons une expertise du rapport afin d’en tirer nos conclusions et toutes les leçons », a-t-il indiqué, précisant que chaque ministère concerné avait été saisi.

1 000 détenus dans des « conditions inhumaines »

Selon le rapport, d’une cinquantaine de pages, intitulé « Bonne cause, mauvais traitements » et qui s’appuie sur 200 entretiens menés en 2016 et deux missions au Cameroun en avril et en février, quelques 1 000 personnes accusées d’être liées à Boko Haram sont détenues actuellement au Cameroun, principalement dans la prison centrale de Maroua. Près de la moitié de ces détenus – 800 sur 1 500 alors que le bâtiment ne peut en accueillir que 350 – sont soupçonnés de soutenir les insurgés islamistes. Surpopulation carcérale, malnutrition, insalubrité… Amnesty International fait état des conditions de détention « inhumaines » qui existent au sein de cette prison de l’extrême-nord du pays où, chaque mois selon l’ONG, « entre six et huit » d’entre eux meurent derrière les barreaux.

Arrestations et détentions arbitraires

Parmi ces détenus, dont la grande majorité (80%) n’ont pas encore été jugés, « quelques centaines ont été arrêtés arbitrairement, sur la base de preuves minces, voire inexistantes », pour absence de papiers d’identité ou pour s’être rendu récemment au Nigeria ou encore sur la base de déclarations anonymes d’informateurs dont les motifs de dénonciation n’ont pas toujours de lien avec la lutte contre Boko Haram.

Cette habitante de Maroua, âgée de 24 ans, citée dans le rapport, explique par exemple à Amnesty International qu’un informateur avait déclaré aux forces de sécurité que son mari était un terroriste. « Cet homme avait tenté de lui extorquer de l’argent et mon mari avait refusé », a-t-elle précisé. « Tous les prisonniers liés à Boko Haram ont été pris en flagrant délit par les forces de défense et de sécurité camerounaises », objecte le porte-parole du gouvernement, sans confirmer les chiffres avancés par l’ONG.

Détention au secret et torture

Au total, Amnesty International a recensé 27 cas de torture lors de son enquête, mais « le nombre de cas est probablement beaucoup plus élevé », précise le rapport. Selon l’ONG, ces pratiques ont cours le plus souvent dans les bases du Bataillon d’intervention rapide (BIR) situées à Salak, à une quinzaine de kilomètres de Maroua, et à Mora, ainsi qu’au siège de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), l’un des services de renseignement du pays, à Yaoundé, où les prisonniers sont détenus au secret, c’est-à-dire sans la possibilité de contacter leur famille ou de s’entretenir avec un avocat.

Arrêté avec son fils par le BIR à Mora, à une soixantaine de kilomètres au nord de Maroua, un homme âgé de 70 ans explique que, pendant 10 jours, son fils a été torturé devant lui et qu’il a vu deux autres détenus mourir à la suite de torture qu’ils avaient subies à Salak, l’une des bases du BIR. « Un jour, ils m’ont emmené dans la salle d’interrogatoire avec cinq autres détenus, dont mon fils (…) Deux détenus ont été si violemment battus qu’ils sont morts devant nous. (…) Je n’ai pas été battu car je suis vieux. C’est donc moi qui les ai aidé à transporter les deux corps de la salle d’interrogatoire à la cellule. Cette nuit-là, nous avons dormi dans la cellule avec deux cadavres ».

Le rapport fait par ailleurs état de 17 nouveaux cas de disparitions forcées, qui auraient été commises par les forces de sécurité dans la région de l’extrême-nord du Cameroun entre avril et février 2016.

Exécutions extrajudiciaires

C’est sans doute l’une des accusations les plus graves que porte Amnesty International à l’égard des forces de défense et de sécurité camerounaise, soupçonnées d’être l’auteur d’exécutions extrajudiciaires lors de leurs interventions dans les villages de l’extrême-nord du Cameroun.

Il est dans l’intérêt du Cameroun de faire respecter les droits de l’homme, insiste Issa Tchiroma Bakary

Sept civils auraient ainsi été tués en novembre 2014 par des membres du BIR à Bornori, à la suite d’accusation selon lesquelles le village abritait un camp d’entraînement de Boko Haram. »Il était presque l’heure de la prière, entre 5 et 6 heures du matin. J’étais chez moi, je préparais du feu pour mon mari. Soudain, j’ai entendu des coups de feu et j’ai vraiment eu peur. J’ai rassemblé tous mes enfants dans la même pièce et j’ai prié. J’ignorais ce qui était sur le point de se produire », raconte l’une des témoins interrogés par Amnesty International. « Les soldats hurlaient ‘Si vous ne faites pas partie de Boko Haram, alors pourquoi vous êtes restés ? Nous allons tous vous tuer ! », décrit cette autre habitante de Bornori, âgée d’une trentaine d’années.

Interrogé à ce sujet, le porte-parole du gouvernement a martelé qu’ « aucun soldat ne peut dire qu’il a reçu de tels ordres ». « Malheureusement, si cela arrivait, alors nous ouvririons une enquête et mènerions des investigations », a-t-il fait savoir. « Le gouvernement a la responsabilité de protéger l’intégrité physique du territoire et celle de ces citoyens ». « Il est dans l’intérêt du Cameroun de faire respecter les droits de l’homme, notamment à l’égard de ses partenaires internationaux qui apportent leur soutien à la lutte contre Boko Haram », a insisté Issa Tchiroma Bakary.

Procès « iniques »

En revanche, le ministre de la Communication dément formellement les dérives liées à l’application de la loi anti-terroriste adoptée en décembre 2014, Amnesty International dénonçant des procès iniques. « C’est complètement faux », lance Issa Tchiroma Bakary, signalant au passage que le Cameroun n’est pas le seul État à s’être doté d’une telle législation.

L’ONG fonde ses accusations sur le procès de quatre femmes auxquels elle a pu assister. Ces dernières ont été déclarées coupables et condamnées à mort en avril 2016 avec, pour seul élément à charge, la déclaration d’un membre d’un comité local de surveillance à leur retour du Nigeria où elles travaillaient en tant qu’employées de maison. Elles n’ont vu leur avocate que pendant une courte pause lors du procès, signale le rapport. Selon Amnesty International, plus de 100 personnes accusées d’appartenir à Boko Haram ou de soutenir le groupe islamiste, ont été condamnées à mort depuis juin 2015 par des tribunaux militaires qui ne respectent pas le droit à un procès équitable. Mais aucune de ces condamnations n’a été exécutée jusqu’à présent.

46 attentats-suicides en un an

En l’espace d’un an, de juillet 2015 à juillet 2016, Boko Haram a commandité pas moins de 46 attentats-suicides, faisant plus de 500 morts dans l’extrême-nord du pays. Le dernier en date remonte au 29 juin, quand 11 personnes ont été tuées dans l’explosion d’un kamikaze dans le village de Djakana, près de la frontière avec le Nigeria. Cela faisait plusieurs semaines qu’aucun attentat-suicide n’avait été enregistré dans cette région du Cameroun.

Natacha Gorwitz

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