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Business : ces Tunisiens qui montrent la voie en Afrique subsaharienne

Alors que le pays du Jasmin veut rattraper son retard au sud du Sahara, « Jeune Afrique » dresse le portrait de ses entrepreneurs pionniers déjà bien implantés.

C’est après un long retard – dix ans, selon Bassem Loukil, patron du groupe qui porte son nom – que les hommes d’affaires tunisiens s’intéressent au business à l’Afrique subsaharienne. Causes principales de ce décalage (notamment par rapport à leurs rivaux marocains et égyptiens) : un isolement géographique dû au Sahara ; l’héritage douloureux de l’esclavage, aboli en 1846 et source de préjugés encore bien vivaces ; mais aussi et surtout un manque de volonté politique pour faciliter les relations économiques avec cette région.

A contrario, les entreprises marocaines ont bénéficié d’un soutien volontariste du roi Mohammed VI, qui, depuis 1999, a fait de l’Afrique subsaharienne un objectif stratégique clé, en s’appuyant notamment sur les liens culturels et religieux qui unissent le royaume à l’Afrique de l’Ouest. En suivant cette orientation, les grands groupes marocains (dont Attijariwafa Bank, Royal Air Maroc ou Maroc Télécom) ont entraîné à leur suite une kyrielle de PME chérifiennes, soucieuses de conquérir de nouveaux marchés, appuyées par des agences du ministère du Commerce extérieur.

Résultat : les échanges du Maroc avec l’Afrique subsaharienne ont été dopés, la région représentant 6,3 % du commerce extérieur en 2013 contre 2,3 % en 2003. En Tunisie, le sud du Sahara ne représentait encore en 2015 que 2,4 % du commerce extérieur.

Les signes d’un regain d’intérêt de la Tunisie pour le sud du Sahara se sont toutefois multipliés ces derniers mois. Confronté à des difficultés économiques à l’échelon national, le gouvernement tunisien (en cours de renouvellement) affirmait le 15 septembre 2015 que l’Afrique subsaharienne était désormais au cœur de sa stratégie de développement, détaillée dans son plan quinquennal 2016-2020. À la même période, fin 2015, un groupe d’hommes d’affaires montait Tunisia Africa Business Council, sous la houlette des frères Bassem et Walid Loukil (lire ci-dessous), afin de pousser leurs congénères à débusquer de nouveaux marchés sur le continent.

Mais, pour réussir leur offensive subsaharienne, les groupes tunisiens – le plus souvent familiaux et de taille moyenne – doivent apprendre à mieux travailler ensemble. Et le gouvernement tout comme les organisations patronales et sectorielles doivent mettre en place des structures d’accompagnement ad hoc efficaces. Youssef Chahed, le nouveau Premier ministre nommé le 3 août, devra vite se prononcer sur le sujet.

S’il confirme cette offensive au sud, il pourra s’appuyer sur une poignée d’entrepreneurs pionniers sur le continent, dont nous dressons ici les portraits. Tous pensent que leur pays a encore une carte à jouer dans cette région, en particulier dans l’agroalimentaire, le BTP, les services informatiques ou la formation. Mais ils reconnaissent qu’il y a urgence. Leurs concurrents égyptiens et marocains, mais aussi turcs, indiens et chinois, ne les ont pas attendus pour s’implanter.

Bassem et Walid Loukil

Bassem Loukil, PDG du groupe Loukil et président de Tunisia Africa Business Council (TABC) et Walid Loukil Directeur général adjoint du groupe Loukil et membre de TABC

Jacques Torregano/Divergence/AFRICA CEO FORUM/JA
Walid Loukil (g.) et Bassem Loukil (dr.). © Jacques Torregano/Divergence/AFRICA CEO FORUM/JA

Patron du groupe familial qui opère dans l’industrie et la distribution depuis 1976, Bassem Loukil a lancé en 2015 le Tunisia Africa Business Council (TABC). « Nous avons raté de nombreuses occasions ces dix dernières années, regrette-t-il. Avec cet organisme, nous avons l’intention de promouvoir l’expertise tunisienne sur la scène africaine », confiait-il en mars. Bassem et son frère Walid (qui a jadis été tenté par une carrière politique) militent en faveur d’un assouplissement des réglementations douanières et financières pour les opérateurs ciblant les marchés du continent.

Ils veulent proposer aux membres du TABC des voyages de prospection (deux ont déjà eu lieu, un au Mali en janvier, l’autre au Cameroun en avril), des services de mise en relation avec des partenaires locaux et un accompagnement technique, interculturel et managérial. Ils ont pour cela noué un partenariat avec Attijari Bank Tunisie qui s’appuie sur le savoir-faire de sa maison mère au Maroc, présente dans une vingtaine de pays subsahariens.

Abderrazak Lejri, PDG de Groupement informatique (GI)

 

Sylvain Cherkaoui pour JA
Rencontre avec Abderrazek LEJRI, Président Directeur Général chez Groupement Informatique dans son bureau à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Originaire de Gafsa (dans le Sud) et fondateur de Groupement informatique (GI), Abderrazak Lejri a fait de son entreprise la première SSII tunisienne exportant au sud du Sahara. « L’Afrique fait figure de panacée aux yeux de beaucoup. Mais réussir sur le continent exige énormément de travail, estime-t-il. L’absence d’informations sur les différents marchés et les spécificités locales rend les implantations difficiles, en particulier dans les pays anglophones », ajoute le chef d’entreprise philanthrope, dont les opinions, diffusées sur son blog du site Mediapart, sont très suivies.

L’homme d’affaires sillonne le continent depuis 1999. Après le secteur bancaire et des contrats décrochés auprès de la Banque nationale du Rwanda, de la Banque rwandaise de développement et de la Banque commerciale du Sahel au Mali et au Niger, Lejri s’est attaqué aux marchés des systèmes d’information de sécurité sociale et de retraite, notamment au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Congo. La dernière réalisation à son actif, la gestion des retraites des agents de l’État au Sénégal, confirme cette appétence pour le secteur public. Avec 2 millions de dinars (900 900 euros) de chiffre d’affaires l’an passé, Abderrazak Lejri, épaulé par sa fille depuis peu, a choisi de conserver une dimension familiale à son entreprise en privilégiant les projets de taille moyenne.

Ghazi Mejbri, Fondateur de Service médical international (Smedi), groupe Plus

Ons Abid
Tunisia, Tunis : Ghazi Mejbri – Service Médical International de Tunisie (SMEDI) pose on his office on 04 Aout 2016. Ons Abid © Ons Abid

L’animation de cycles de formation en économie et l’édition d’ouvrages de gestion ont permis à Ghazi Mejbri de découvrir l’Afrique de l’Ouest dans les années 1990. Au moment du boom du tourisme médical, en 2007, il monte Service médical international (Smedi). L’idée de ce chef d’entreprise pédagogue est simple : fournir aux patients africains des conseils pour choisir des prestataires de santé en Tunisie, ainsi qu’une assistance logistique et administrative pour s’y rendre et y loger le temps des soins.

Présent dans dix pays africains, dont les plus importants sont le Tchad, le Gabon, le Cameroun, le Mali et le Burkina Faso, Smedi réalise en moyenne 4 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. « Le marché est énorme, mais il faut compter avec la concurrence chinoise, turque, égyptienne et marocaine », assure-t-il. Depuis le soulèvement tunisien de 2011 et les inquiétudes de sa clientèle quant à la sécurité, Ghazi Mejbri mise sur la proximité en proposant des services directement dans les pays subsahariens, où il a créé de petits centres de soin et noué des partenariats.

Chedia Ben Turkia, Directrice générale adjointe du groupe Université centrale

Depuis qu’elle a fondé l’Université centrale (UC) en 1984 avec son époux, Slah, Chedia Ben Turkia navigue dans les milieux pédagogiques africains francophones. Prenant chaque année son bâton de pèlerin, elle promeut les formations du groupe UC à Yaoundé et à Abidjan comme à Bamako ou à Kinshasa. Avec 30 % d’étudiants étrangers africains sur près de 5 000 inscrits annuels, l’Afrique subsaharienne est un vivier de choix pour le leader privé de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle en Tunisie. Depuis 2010, le groupe a d’ailleurs élargi son offre pour répondre à une demande subsaharienne très diverse.

Installé dans le Grand Tunis, il compte désormais six institutions : l’Université centrale, généraliste ; l’Institut maghrébin des sciences économiques et technologiques (Imset), qui forme des ingénieurs et des gestionnaires ; l’Académie d’art de Carthage (AAC) ; l’Institut du tourisme, de l’hôtellerie et des loisirs (ITHL) ; et la Société maghrébine de services d’études et de formation (Somasef), qui se consacre à l’apprentissage professionnel.

Pour mettre en avant le groupe UC et ses instituts, Chedia Ben Turkia compte beaucoup sur son réseau d’anciens élèves subsahariens, appelés à être ses ambassadeurs dans leur pays d’origine. Elle regrette cependant que les dirigeants d’entreprise tunisiens se retrouvent bien seuls pour faire face aux obstacles, administratifs notamment, rencontrés lorsqu’ils souhaitent percer au sud du Sahara. « Nous avons besoin d’une véritable stratégie pour l’Afrique, qui facilite les démarches des entrepreneurs du pays », déclare cette pionnière sur le continent.

Mohamed Ali Hachicha, Directeur général de Soroubat International

Initié à l’Afrique subsaharienne par son père Nourredine, Mohamed Ali Hachicha ne conçoit plus de développement pour Soroubat en dehors du continent. Ce groupe de BTP fondé en 1974, spécialisé dans la construction de routes, d’autoroutes et d’ouvrages d’art, a réalisé ses plus belles performances de ces dernières années au sud du Sahara.

Après la Tunisie, le groupe a fait ses armes en matière d’exportation de services en Algérie et en Libye, avant de se positionner aux côtés des multinationales du BTP en Afrique subsaharienne et de réaliser des complexes routiers au Togo, au Bénin, au Tchad et au Burkina Faso. En 2007, la construction des 75,8 km d’autoroute reliant Abidjan à Yamoussoukro – un marché de près de 38 millions d’euros – a ancré durablement Soroubat dans la région.

Un succès en amenant un autre, la société s’est vu attribuer pour 38,2 milliards de F CFA (58,3 millions d’euros) la construction de la route Ekondo-Titi-Kumba au Cameroun, puis celle menant de Dédougou à Tougan au Burkina Faso pour près de 33 millions d’euros.

Le champion tunisien du BTP a aussi étendu ses activités à l’exploitation de carrières. Un créneau sur lequel Mohamed Ali Hachicha revendique la place de leader sur le continent, en dehors de l’Afrique du Sud. Mais le directeur général de Soroubat a également d’autres ambitions en Côte d’Ivoire : il voudrait que le FC San Pedro, club de football dont il est propriétaire, passe en première division.

Mehdi Tekaya, PDG de Wevioo

DR
Mehdi Tekaya. © DR

Avec pour cœur de métier le conseil, la technologie et l’outsourcing, Wevioo (anciennement Oxia) cible des donneurs d’ordres hors de Tunisie, et particulièrement en Afrique subsaharienne, où il est présent depuis 2001, grâce à un premier contrat obtenu auprès de Burkina Bail, à Ouagadougou. L’entreprise équipe des établissements financiers, dont douze banques au Bénin, ainsi que des organismes de crédit-bail au Ghana, au Cameroun et au Sénégal.

« Avec la Tunisie et l’Europe, le marché africain est notre troisième pilier », fait valoir Mehdi Tekaya, qui ambitionne de voir son chiffre d’affaires sur le marché africain passer de 5 % actuellement à 25 % à l’horizon 2020.

Dans ce but, il vise en priorité les projets de transformation des systèmes d’information de grandes institutions publiques – financés par la Banque mondiale, l’AFD ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) –, de multinationales ou de grands groupes tunisiens. Parmi ses clients, il compte notamment Société générale, Aventis Pharma, Saint-Gobain ainsi que les fonds d’investissement Abraaj Capital et AfricInvest. Le groupe a également monté la coentreprise Adactim avec Poulina Group Holding (PGH), au service des filiales que ce dernier implante sur le continent.

Aziz Mebarek, Associé fondateur d’AfricInvest, groupe Integra Partners

Ons Abid
Tunisia, Tunis : Aziz Mebarek, Portrait des dirigeants d’Africinvest le 17-09-2013. ©Ons Abid © Ons Abid

Le principal pilote du fonds d’investissement AfricInvest, cofondé avec Karim Trad et Ziad Oueslati, a la réputation d’être un taiseux. Mais, dès qu’il évoque ce que lui enseignent les entrepreneurs africains appuyés par son entreprise, il devient intarissable. Après avoir démarré son activité au Maghreb avec ses deux associés, Aziz Mebarek a fait d’AfricInvest le chef de file du capital-risque sur le continent, où il se déploie depuis 2004, avec une présence dans vingt pays aujourd’hui.

Avec trois fonds dotés de 450 millions d’euros au total, AfricInvest privilégie les prises de participation dans des PME leaders sur leurs marchés nationaux et soucieuses de croissance régionale. « Pour bon nombre des entreprises que nous soutenons, notamment maghrébines, l’Afrique subsaharienne représente un horizon commercial naturel. Afin de bien les accompagner, nous devons impérativement comprendre l’environnement local des affaires et donc y être présents de façon structurelle », explique l’ingénieur de formation, pour qui la pérennité et la responsabilité sociale des sociétés dans lesquelles il prend des parts sont des points clés.

Avec la Banque publique d’investissement (BPI) France, Aziz Mebarek et AfricInvest se lancent dans une nouvelle aventure : un fonds franco-africain d’une valeur de 100 millions d’euros, qui doit être opérationnel fin 2016, pour accompagner des PME françaises en Afrique mais également des entreprises africaines en France.

Amira Bejjar, Directrice générale de ST2I, groupe Studi

Filiale de Studi, important groupe d’ingénierie fondé en 1976 par Mohamed Ben Youssef, la Société tunisienne d’informatique pour l’ingénierie (ST2I) réalise sur le continent 80 % de son chiffre d’affaires, à 6 millions de dinars en 2015 (2,7 millions d’euros). Et prévoit le double pour 2016, selon son carnet de commandes. Une performance obtenue notamment grâce à son service de cartographie numérique, « apprécié dans les secteurs agricole et environnemental, notamment pour la gestion des ressources hydriques et naturelles », précise Amira Bejjar, directrice générale de l’entreprise.

La société opère sur le continent depuis 2002 avec la mise en place d’un système d’information géographique de gestion de l’assainissement de Nouakchott, en Mauritanie. Elle se déploie aujourd’hui notamment au Niger, au Tchad et au Gabon.

Abdelwaheb Ben Ayed, Président de Poulina Holding Group

Ons Abid pour Jeune Afrique
Abdelwahab Ben Ayed à son bureau, le 5 novembre 2010, à Ezzahra, Tunisie. © Ons Abid pour Jeune Afrique

Premier groupe privé tunisien présent dans l’agro-industrie, la métallurgie et la grande distribution, Poulina Holding Group (PHG) s’est tourné vers le sud du Sahara en 2012. En présentant les résultats de l’entreprise en juin, son président, Abdelwaheb Ben Ayed, soulignait que, « face à une baisse de rentabilité sur les marchés algérien, marocain et libyen, le groupe avait intégré de nouveaux marchés, dont le Sénégal, où PGH a déjà investi près de 55 millions de dinars [30 millions d’euros] ».

PHG, qui exporte ses produits vers près de 30 pays africains et réalise 15 % de son chiffre d’affaires en dehors du territoire tunisien, compte rayonner en Afrique à partir de Dakar, notamment pour des raisons logistiques. Déjà producteur au Sénégal de la margarine Jadida, PHG compte étendre son unité industrielle née en 2012 et se diversifier avec une installation de conditionnement d’huile de table et une usine de fabrication de mayonnaise et de pâte à tartiner, toujours en coentreprise avec son partenaire local, Senico-CCD.

Il réfléchit aussi à une division avicole, tant au Sénégal qu’en Côte d’Ivoire, en s’inspirant de sa réussite en la matière en Tunisie. Pour poursuivre son offensive africaine, « Poulina est à la recherche de partenaires commerciaux solides, sérieux et transparents auxquels apporter son expertise logistique et technique », confie Karim Ammar, directeur général adjoint du groupe.


Plan de vol brouillé à Tunisair

Même si Tunisair avait annoncé en 2010 une augmentation du nombre de ses destinations en Afrique subsaharienne pour desservir jusqu’à 18 villes à l’horizon de 2020, elle n’y compte aujourd’hui que quatre escales – au Mali, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Mauritanie. Aucun avion n’a encore pris le chemin du Ghana, du Niger, du Tchad ou de la Guinée, alors que l’ouverture de ces lignes était prévue dès 2015. Résultat, les hommes d’affaires désirant voyager au sud du Sahara doivent souvent transiter par Rome, Le Caire, Casablanca… voire Paris.

Christophe Le Bec & Frida Dahmani

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