Patrice Talon, élu le 20 mars dernier avec plus de 65 % des voix, prête serment ce mercredi à Porto-Novo. Une investiture sans chefs d’Etat, une exigence du nouveau président qui veut une gouvernance « sobre et sous le signe de la compétence ». Qui est ce self-made-man qui a bâti une fortune dans un des pays les plus pauvres du monde, a été un faiseur de rois avant de s’exiler en France et d’être accusé dans une tentative d’empoisonnement de l’ancien président Boni Yayi ? Qui est cet homme, 58 ans le 1er mai, marié, père et grand-père, qui suscite autant l’admiration que le mépris chez ses compatriotes ?
De notre correspondante à Cotonou,
« Il voulait être pilote d’avion. Il a piloté des entreprises, et bientôt, il pilotera le Bénin ». La phrase, prononcée à l’entre-deux-tours, vient d’un de ses proches. Etre pilote, c’était le rêve du jeune Patrice. Bac + 2 en maths-physique obtenu à Dakar, il réussit le concours d’Air Afrique, mais lors de la formation en France, il est recalé pour problème de vue.
L’homme d’affaires
C’est là que l’histoire commence, dans la mythologie familiale et pour sa communication. S’il perd le goût des études, il renoue avec le sens des affaires qu’il avait déjà tout gamin. En 1984, à 26 ans, il rentre au Bénin et crée la première société de distribution d’intrants. Ensuite, profitant de la libéralisation au début des années 90 sous la présidence de Nicéphore Soglo (avec lequel il est parenté grâce à son épouse), il construit trois usines. Premières pierres d’un futur empire cotonnier : il finira par maîtriser la filière de bout en bout « représentant 90 % des capacités de production », selon un spécialiste. En homme d’affaires redoutable. « C’est un compétiteur, il faut qu’il élimine ses concurrents et tous les moyens sont bons : les ruses, les intimidations », témoigne un acteur du secteur qui l’a côtoyé de très près.
Pour ses partisans, c’est de là que vient l’inimitié à son égard. « Qui dit affaires dit concurrents. Qui dit réussite dit envieux. Patrice Talon veut être le meilleur dans ce qu’il fait », explique Orden Alladatin, qui a coordonné sa campagne. Après le coton, ce sera le port de Cotonou et le Programme de vérification des importations dont il remporte l’appel d’offres en 2010. L’objectif est de mieux contrôler et taxer les marchandises qui arrivent. Ce sera le début des ennuis.
Accusé par le gouvernement d’avoir pillé les ressources douanières, placé en garde à vue, il fuit le Bénin en septembre 2012 et vivra en exil en France jusqu’en octobre 2015. Suivront les affaires de tentative d’empoisonnement du président Boni Yayi et de complot contre l’Etat. Elles donneront lieu à un feuilleton politicojudiciaire qui prendra fin en 2014 avec le pardon du chef de l’Etat et l’abandon des poursuites.
L’argentier de la politique
C’est d’ailleurs ces épisodes qui l’ont projeté sous le feu des projecteurs au Bénin. Jusque-là, Patrice Talon était très discret, même si son influence était grande. En particulier dans la vie politique qu’il a largement financée. Il ne s’en cache pas : « J’ai contribué à préserver la démocratie en finançant les partis. Les opérateurs économiques sont capables d’utiliser leurs soutiens aux politiques pour des causes inavouées, parfois perverses », racontait-il lors d’une rencontre avec la diaspora à Paris en décembre dernier.
Faisait-il notamment référence à sa brouille avec Boni Yayi, dont il a soutenu les campagnes de 2006 et 2011 et qui, selon plusieurs témoignages le présenter comme une chance pour le Bénin, avant que les choses ne se gâtent entre eux ? « Il a investi dans la politique pour maximiser son investissement et servir ses intérêts », contredit un chef d’entreprise qui l’a rencontré plusieurs fois. Orden Alladatin nuance : « C’est la démocratie qui lui a permis de s’enrichir ! ». « Il avait des relations quasiment partout dans l’appareil de l’Etat », confirme Mathias Hounkpe, politologue.
Le président
Patrice Talon assure qu’il ne se vengera pas. Son ambition serait-elle plutôt d’être un pilote aux commandes de son destin ? Celui qui a fait campagne sur le thème du « nouveau départ » dit qu’il veut rentrer dans l’histoire de son pays autrement. « C’est aussi un nouveau départ pour moi. Je ne suis plus satisfait du Béninois que je suis, confiait-il à RFI après un meeting en mars. On ne peut pas se satisfaire des succès qu’on a eus dans une vie antérieure et rester dans ses souvenirs de gloire. Il faut que notre pays aille mieux pour que chacun vive mieux ».
Martin Rodriguez, concurrent en affaires, exilé aux Etats-Unis pendant 10 ans et qui vient de créer un parti d’opposition, lui donne le bénéfice du doute : « Quand il était homme d’affaires, il a pu nous bloquer et enterrer nos projets. Que fera-t-il maintenant ? ». « C’est comme si Patrice Talon avait deux vies. Dans la première, il a amassé une fortune colossale, c’est un passé indéfendable. Dans la nouvelle, il veut se faire une bonne image et développer son pays. S’il est aussi impitoyable qu’en affaires, le Bénin va décoller », s’amuse un fin connaisseur du tissu économique.
Portera-t-il la rupture qu’il dit vouloir incarner ? Changera-t-il des pratiques politiques qu’il a favorisées et qu’il dénonce aujourd’hui ? Les défis sont nombreux et il est attendu au tournant. En particulier, des milliers de jeunes sans emploi qui ont été séduits par son parcours et ses promesses. Quant à la société civile, elle a promis de surveiller de très près l’action du président Talon.
Un patrimoine transparent ?
« Je ne suis plus opérateur économique », disait Patrice Talon en janvier lorsqu’il présentait son projet de société dans les jardins du Novotel, dont il est actionnaire. Comme il l’est, avec son épouse et ses enfants, des sociétés du groupe Talon au Bénin (intrants, usines d’égrenage, services portuaires) et dans d’autres pays comme la Côte d’Ivoire.
Il doit transmettre une déclaration de tous ses biens et patrimoine à la chambre des comptes de la Cour suprême lors de son entrée en fonction. « Une déclaration la plus exhaustive et formelle possible, car il veut être irréprochable », explique un de ses avocats, maître Séverin-Maxime Quenum. Dans l’accord signé avec la vingtaine de candidats qui lui a apporté son soutien avant le second tour, il a été mentionné qu’il ne devait pas y avoir de conflits d’intérêts.
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