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Le monde sous la menace terroriste: l’éclairage de Shanda Tonmè dans un entretien avec Jean Bruno Tagne

A menace exceptionnelle réaction exceptionnelle. A drame exceptionnelle émotion exceptionnelle. A attaque exceptionnelle contre attaque exceptionnelle En fait à situation exceptionnelle réponse exceptionnelle. Les dirigeants du monde ont marché main dans la main à Paris le dimanche 11 janvier 2015, pour manifester leur solidarité au peuple français et exprimer leur détermination à combattre le terrorisme. Ce rassemblement presque inédit intervient après les assauts terroristes qui ont fait exactement dix sept morts en deux jours, et dont les journalises de Charlie Hebdo ont payé le plus lourd tribut. Nous sommes allés rencontrer SHANDA TONME, bien connu pour son expertise sur ces questions de terrorisme, de sécurité internationale et de diplomatie, pour avoir un point de vue qualifié.

Shanda Tonme, bonjour. Quel jugement faites-vous du grand rassemblement anti-terroriste qui a eu lieu à Paris le dimanche 11 janvier 2014 et où pour une fois, on a vu une bonne cinquantaine de dignitaires et de souverains battre le pavé aux côtés du président français ?

ST : Effectivement, pour une exception, c’en est une, et pour le caractère extraordinaire, peut-être même extravagant, c’est exact. Toutefois, ce qui en fait la particularité, c’est moins le rassemblement que la marche. Que des dignitaires mondiaux se retrouvent n’est pas nouveau, mais qu’ils se retrouvent dans une telle ambiance, dans une telle union apparente sur une question et après un événement dramatique, porte un message profond de répulsion et exprime une adhésion circonstancielle pour une cause. Par contre, il faut bien se garder d’aller au-delà de cette première symbolique car les entendements de l’après ne sont pas les mêmes, et les approches stratégiques et diplomatiques non plus.

Voulez-vous dire qu’il y a des agendas cachés que trimbalent les uns et les autres ?

ST : Non, pas vraiment dans cet ordre. Mais voyez-vous, les occasions malheureuses, les deuils, offrent des instants d’unité, d’affection et de compassion tout à fait spéciales. Les gens de bonne foi, de bonne volonté, sans distinction de race et de toute spécificité, se sont sentis interpellés par la mort brutale de ces journalistes. Les images sont insoutenables. Pourtant, il rien dans cette lancée de ferveur émotionnelle ne règle les problèmes de fond qui résultent de la construction systémique des modes de gouvernance du monde, des mécanismes de résolution des conflits, et des stratégies d’ordonnancement des jugements des uns et des autres. On a vu à Paris côte à côte, des leaders mondiaux parfois en conflit ouvert sur des questions qui perdurent ou pour des situations chroniquement bloquées. Nous ne sommes pas loin des lendemains de la deuxième guerre mondiale, où en dépit de la confrontation naissante entre les mondes capitalistes et communistes, Staline, Churchill et Roosevelt s’entendirent pour créer l’ONU comme instrument diplomatique suprême pour en principe régenter la coexistence pacifique des nations et prévenir les crises.

: Croyez-vous qu’il y avait autre chose à faire que de marcher à Paris ?

ST : Non, je ne critique pas cet élan de solidarité et de compensation qui pour certains est une prise de conscience du danger terroriste et pour d’autre une occasion de réitérer des exigences, des positions et des revendications propres. Il y a un véritable fossé qui sépare certaines positions et vous avez pu suivre des commentaires exprimant des doutes, et de nombreuses réserves sur la qualité et l’opportunité de la présence de certains participants. Je vous signale en passant que la définition du terroriste et du terrorisme demeure une énigme et l’objet d’un débat sans fin. Par ailleurs, la manière dont s’expriment certaines solidarités et certaines réactions, traduit la profonde division du monde en puissances inégales, en races, en religions, en cultures et en valeurs toutes très relatives selon les contextes, les grilles de lecture et les clés d’analyse.

Vous semblez rejoindre les critiques qui allèguent que les chefs d’Etat africains n’ont pas été prompts à se déplacer quand il s’est agit de drames similaires sur leur sol ?

ST : La question ne se pose pas en termes de choix des lieux de la marche ni de la qualité de la mort. Mais je constate, et vous avec moi, que les deuils ne sont pas d’égale signification ni d’égale émotion au regard des manifestations de compassion et de solidarité. C’est sans doute cela qui fait problème à un moment donné. Parfois, les émotions vives et les compassions ostentatoires peuvent cacher en fait des appréhensions dangereuses et des certitudes impopulaires.

Si je vous comprends bien, la marche de Paris pose quand même problème et votre jugement n’est pas entièrement favorable ?

ST : Une fois de plus, j’ai peur que nous ne nous comprenions pas. Ce que je dis et affirme, c’est qu’il faut accorder une certaine attention aux critiques formulées à l’encontre des chefs d’Etat africains qui sont peut-être plus prompts à se déranger pour la France et à foncer à Paris, qu’à se déranger pour le voisin immédiat du continent et à foncer à Abuja, Addis Abeba ou Yaoundé. La dialectique du noir et du blanc, de l’Occidentalo-européo-américain d’une part et du Négro-afro-sahélien est une réalité dans la configuration des relations internationales et de l’agencement des rapports des forces diplomatiques. La mort d’un Noir n’emporte pas la même émotion caractérielle et affectueuse que la mort d’un Blanc, au sens de l’interprétation des jeux et des enjeux diplomatiques qui s’étalent sous nos yeux au fils des décennies des crises, des drames et des génocides. Il ne faut jamais oublier que l’histoire de l’humanité tarde encore et toujours à s’écrire en lettres de justice, de vérité, d’équité et d’égalité.

Pourquoi évoquez-vous les choses en ces termes, alors que nous analysons une actualité brûlante ?

ST : Justement parce que tout est lié, parce que si vous n’avez pas encore jugé de la façon la plus sévère les auteurs du massacre de six cent écoliers à Soweto en 1976, il vous est très difficile de développer un discours anti-terroriste définitivement crédible. Parce que vous ne pouvez pas mêler dans une même marche, des gens aux mains ensanglantés réellement ou virtuellement, en proclamant l’unité morale et éthique du monde contre le mal terroriste. Pour le citoyen africain qui n’a jamais connu d’élections libres ou qui vit sous le chantage permanent des constitutions que l’on change comme des mouchoirs jetables au gré des ambitions des monarques régnants, les assassins de Paris relèvent d’une autre planète au mieux, et au pire ils participent du même crime de destruction de tout espoir pour les êtres humains que des dignitaires qui confisquent le destin des peuples avec des régimes autocratiques. C’est cela le dilemme, c’est-à-dire par exemple pour le togolais ou le qui se demande au fond pourquoi son président se mêle de tout cela, sachant ce qu’il fait à la maison. On ne peut pas jouer aux civilisés et aux êtres normaux sur la scène internationale en profitant de tels événements, pour ensuite présenter le visage du diable avec une main de fer d’être anormal et pernicieux qui se fiche de démocratie et d’élections libres à la maison.

Len problème est donc profond et vous penchez pour une solution politique du terrorisme ?

ST : Je crois enfin que je me suis fait entendre. Le problème se situe à ce niveau, au niveau politique, et dans une lecture qui intègre tous les paramètres historiques, sociaux et culturels. Personne ne naît terroriste, mais des régimes politiques et des systèmes de gouvernance peuvent se bâtir à priori sur des bases terroristes. Ainsi donc, pour vaincre le terrorisme, il faudrait au préalable penser à déconstruire le cadre institutionnel qui secrète le terrorisme. L’entreprise de déconstruction du terrorisme devrait être pluridimensionnelle comportant à la fois des éléments matériels, humains et culturels. Il s’agit de porter le fer au fond de la plaie, sans complaisance. Hélas, les dignitaires jouent, papotent et rusent avec les réalités des frustrations, des inégalités et des défaillances systémiques.

Comment jugez-vous l’absence de Paul Biya à ce rassemblement, alors que chef d’un pays en proie à des exactions des terroristes de Boko Haram, il aurait du y prendre par comme ses autres paires dans la même situation ?

ST : Si j’ai une réflexion à faire à propos, je dirai simplement que comparaison n’est pas raison. J’ai évoqué tantôt la manie qui consiste pour les dignitaires africains, à se précipiter à paris ou à vibrer d’émotion pour tout ce qui vient des maîtres d’Occident. Dans le cas d’espèce il convient de souligner que les condoléances du chef d’Etat camerounais me semblent suffisantes. Par ailleurs, même s’il est vrai que le Cameroun est en proie aux exactions de la nébuleuse Boko Haram, je crois que nous devons commencer à nous dire la vérité sur ce dossier. Ce n’est pas à Paris que l’on va résoudre le problème de Boko Haram. En plus, il ne me semble plus approprié aujourd’hui, d’évoquer ce dossier comme une affaire de terroristes de l’extérieur. Boko Haram est de plus en plus, selon mes analyses personnelles à la lumière d’un certain nombre d’éléments probants, une affaire camerouno-camerounaise. Tout ce que nous devons faire, citoyens et dirigeants avertis, c’est d’affronter nos réalités de façon honnête et positive afin d’apporter des réponses aux questions qui se profilent sournoisement dans l’évolution politique de notre pays. Que ceux qui savent lire entre les lignes le fassent, mais je n’en dirai pas plus.

Pouvez-vous être plus précis sur cette question qui nous touche particulièrement ?

ST : Le destin d’une nation est quelque chose de trop sérieux et de trop délicat, pour que ceux qui en commandent les principaux leviers institutionnels puissent ignorer les dangers qui la guettent à un moment donné de son histoire.

Vous dites donc quoi du message menaçant du chef de Boko Haram ?

ST : Cessez de croire au père noël. Les gens sont-ils si lâches au point de vouloir emprunter la voix des intrus pour exprimer leurs ambitions, désirs et projets ? Je vous informe que dans l’étude des guerres asymétriques selon les plus grandes leçons des enseignements des doctrines militaires, certaines de ces guerres dites asymétriques sont en réalité des guerres par procuration. Nous n’en sommes peut-être pas si éloignés. Les autorités camerounaises au plus haut niveau ne sont certainement pas dupes non plus.

Quelle conclusion retenir de vous ?

ST : La marche de Paris c’est très bien, mais elle est insuffisante. Comme je l’ai déjà dis à un des vos confrères quelques jours plus tôt, tant que les maîtres du monde, les seigneurs de la pensée unique, les champions de la diplomatie impériale et de la morale sectaire n’auront pas procédé à un examen de conscience radical débouchant sur une révision de leur compréhension de la coexistence pacifique des peuples, des nations et des cultures, les risques terroristes iront croissants./.

Entretien réalisé le 11 janvier 2015

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