Dans sa chronique parue le 2 février 2016 sous le titre « Retrait de l’Afrique de la CPI : un nouveau permis de tuer ? », M. Hamidou Anne critique la proposition de l’Union africaine (UA), adoptée le 31 janvier au terme de son 26e sommet dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, d’un retrait des Etats africains de cette institution de justice internationale, au prétexte que le projet serait, pour de nombreux dirigeants du continent, un moyen de s’assurer une immunité contre les nombreux crimes dont ils se rendent trop souvent coupables sur le continent.
« Les cas du président soudanais, Omar Al-Bachir, et celui, plus récent, du président burundais, Pierre Nkurunziza, montrent en effet que, pour nos leaders africains, le principe de solidarité précède le principe de justice. Ce cynisme justifie l’existence d’une Cour pénale internationale (CPI) dont les avantages supposés surpasseraient les défauts avérés ».
Cette logique est implacable, et pourtant, pour les raisons suivantes, je rechigne à y souscrire : ceux que M. Hamidou appelle “des monstres” sont en fait “nos monstres”. Ils sont une part de nous-mêmes ; et bien que cela soit difficile à admettre, leur présence, souvent longue, témoigne dans bien des cas de nos propres insuffisances. Par conséquent, vouloir les déshumaniser, pour mieux les éloigner, serait ajouter à la lâcheté du désengagement, la lâcheté du reniement.
Souveraineté malheureuse
» Ensuite, l’idée du général de Gaulle, exprimée au cours d’une conférence de presse le 27 mai 1942, selon laquelle “la démocratie se confond exactement avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave”, est plus que jamais centrale.
» Il n’est pas de liberté sans souveraineté ; il n’est pas de nation sans souveraineté ; il n’est pas de citoyenneté sans souveraineté. Or le grand défi de notre génération, nous, jeunes Africains, est de parvenir à la pleine maîtrise de notre destin. Et donc, accepter la tutelle de la CPI, c’est refuser de répondre présents à l’appel de l’histoire. Il vaut mieux une souveraineté malheureuse qu’une servitude heureuse.
» Evidemment, il reste la question des victimes, bien réelles, des atrocités commises par nos “monstres”. Eh bien, la responsabilité nous incombe de lutter sans relâche pour qu’elles obtiennent justice. Non, il n’est pas question d’utopie, mais bien d’histoire, africaine. L’expérience de l’ANC, en Afrique du Sud, par exemple, montre que la justice est possible pour les peuples qui ont le courage de l’espoir et de l’action.
» Le 9 août 1978, la poétesse afro-américaine June Jordan a lu, à la tribune des Nations unies, un poème composé en l’honneur des 20 000 Sud-Africaines de toutes les races qui battirent le pavé, le 9 août 1956, pour protester contre l’extension aux femmes des lois dites “Pass Laws” limitant les mouvements des citoyens noirs sous l’apartheid.
» Le poème s’intitulait We Are the Ones We Have Been Waiting for : “Nous sommes ceux que nous attendions”.
» Pour nous qui croyons que le progrès est indissociable d’une totale autonomie politique, le soutien au projet de l’UA de se retirer de la CPI n’est pas un soutien aux tyrans continentaux. Il est simplement l’affirmation que nous sommes bien ceux que nous attendons. »
Yann Gwet est entrepreneur et essayiste camerounais.
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