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Opinion: La discorde chez l’ennemi

Par Dr. Raoul Nkuitchou Nkouatchet.

Les Camerounais n’en peuvent plus de voir la France se mêler ostensiblement de leurs affaires.
Il y a même comme un sentiment de révolte dans l’air contre ce pays qui dirige le Cameroun en sous-marin depuis la pseudo-indépendance du 1er janvier 1960. Des pétitions ont même été initiées par des activistes de la diaspora pour demander au président Emmanuel Macron de révoquer l’ambassadeur de France au Cameroun, M. Christophe Guilhou, accusé d’avoir participé à une mise en scène grotesque, visant à faire croire qu’il a été reçu par Paul Biya au palais de l’Unité le 16 avril 2020, alors que des rumeurs persistantes le donnent pour mort depuis plusieurs semaines, puisqu’on ne l’a ni vu ni entendu depuis le début de la pandémie du Covid-19.
Il ne faut pourtant pas se laisser gouverner par la colère. Car de quoi s’agit-il, sinon que de la longue domination de la France sur des Etats où les populations sont depuis longtemps abandonnées à elles-mêmes, mais parfaitement manipulées par les élites locales ?

Le Cameroun est devenu une passoire aux yeux du monde et spécialement de la France, qui sait mieux que quiconque, quel est l’état réel de la situation de notre pays. Au lieu de se jeter sur le fusible Christophe Guilhou, ne serait-il pas temps que le peuple se mette enfin au diapason du défi historique d’affronter LE problème politique sur lequel il a sans cesse fermé les yeux ? On ne peut pas sérieusement aborder cet épisode, si on ne prend pas en compte le fait qu’en l’état actuel des choses, Monsieur Guilhou se présenterait à une présidentielle pour succéder à Paul Biya, de nombreux Camerounais voteraient pour lui !

Le choix de la France au Cameroun a toujours été non pas de nous aider à nous développer, mais ouvertement de soustraire le maximum de richesse à notre pays. Cette puissance étrangère nous affaiblit, nous fragilise, empêche notre émergence. Faire virer son ambassadeur n’y changerait rien du tout. C’est à un autre stade qu’il convient de porter la contestation. Notre pays a été un territoire sous tutelle dont l’ONU avait confié l’administration à la France et au Royaume-Uni jusqu’au 1er janvier 1960. Les archives militaires françaises ainsi que de nombreux témoignages montrent que les gouvernements français de l’époque ont mené une répression systématique contre l’UPC – le parti nationaliste interdit en 1955 – et les populations civiles qu’ils soupçonnaient de le soutenir. Des bombardements, exactions de toutes sortes, exécutions extrajudiciaires eurent lieu, une levée de milices, une guerre psychologique, un regroupement forcé de populations en des endroits précis. Des méthodes qui avaient cours au même moment dans la guerre d’Algérie. Leur usage s’est poursuivi de longues années après l’indépendance du Cameroun, les Français continuant à commander, influencer et former l’armée camerounaise. Franchement, qui découvre que la France nous traite depuis toujours comme une nation ennemie, qu’elle se trouve toujours dans les coulisses de la plupart de nos problèmes en tant que nation ? Qui peut croire qu’une telle opération de l’Ambassadeur de France soit possible sans l’aval de l’Elysée ou au moins du Quai d’Orsay ? Qui ne sait pas que plusieurs ambassadeurs de France se sont reconvertis après leur mission chez nous en conseillers de Paul Biya, avec résidence sur place au Cameroun ? C’est un Français, le futur général de Gaulle (Paris, Berger-Levrault, 1924, 139 p.), qui a publié l’ouvrage « La discorde chez l’ennemi », dans lequel il analyse la défaite de l’Allemagne dans la guerre de 1914-1918. Aux yeux du capitaine de Gaulle, le Reich a perdu la guerre surtout à cause de ses divisions internes. Il en tire trois leçons : 1/ l’unité du pays doit être un impératif, car divisé contre lui-même il s’effondre dès le premier obstacle ; 2/ il ne faut jamais ressasser la dernière guerre, mais préparer la prochaine ; 3/ c’est le pouvoir politique qui commande les militaires et non l’inverse.

En fait, l’acte de l’ambassadeur Christophe Guilhou participe à une stratégie pensée en amont depuis Paris. Les autorités françaises travaillent depuis des mois sur des scenarii catastrophes en Afrique, dans le cadre de la pandémie du coronavirus ; elles craignent un effondrement de certains Etats de leur zone d’influence et manœuvrent en coulisses pour remplacer des « régimes en bout de course » par des interlocuteurs plus fiables et plus légitimes – au sens des intérêts de leur pays. Le Cameroun fait partie depuis des années des pays à risques, où l’Etat n’est pas en mesure de protéger ses populations ; donc il est particulièrement exposé à un soulèvement, par exemple dans le cas d’une pandémie. Au Quai d’Orsay, on considère que l’aléa d’une infection d’un dirigeant âgé et déjà malade pourrait avoir de lourdes conséquences et obligerait la France « à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition ». Pour les stratèges du ministère des Affaires étrangères, il ne faut prendre aucun risque dans certains pays du pré-carré : ceci explique peut-être un confinement complet de Paul Biya depuis le début de la crise, et le surgissement de l’ambassadeur français qui vient à sa rescousse au moment où le monde commence à s’interroger sur son sort. La France joue la montre, en attendant de trouver la parade pour la transition politique qu’elle veut imposer au Cameroun, en cas d’échec d’une passation de pouvoir de gré à gré !

Comme dirait le futur homme d’Etat français, le capitaine de Gaulle, nous devons cesser d’être manœuvrés pour manœuvrer à notre tour. La France tire juste avantage des tensions monumentales qui règnent entre les Camerounais depuis des décennies. Donc, au lieu de se ruer sur la facilité, le raccourci comme souvent, peut-être faudrait-il songer à prendre le taureau par les cornes et poser pour la première fois la question de la mobilisation générale pour régler notre problème principal.

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