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Le Liban s’enfonce dans l’impasse institutionnelle et politique

Toujours pas de solution pour le ramassage et l’entreposage des ordures depuis juillet 2015 ; la présence de plus d’un million de réfugiés syriens enregistrés par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés ; le conflit syrien débordant sur les frontières libanaises avec la présence de Daech ; toujours pas de président… Et la situation ne semble pas s’améliorer. L’Arabie saoudite a officiellement annoncé le 19 février l’arrêt de son aide à l’armée libanaise, tandis que le ministre de la justice, Ashraf Rifi, a annoncé sa démission du gouvernement, accusant le Hezbollah et le ministre des affaires étrangères, Gebran Bassil, de mettre le Liban en porte-à-faux avec  Riyad, soutien principal du parti du 14-Mars, dont Rifi fait partie. Il est opposé au parti du 8-Mars mené par le Hezbollah et le Courant patriotique libre chrétien, et soutenu par l’Iran… La crise libanaise est multiforme et la situation figée sous l’influence des puissances régionales notamment du fait de l’opposition frontale entre l’Arabie Saoudite et l’IRAN.

Depuis près de deux ans, le Parlement libanais ne s’est toujours pas mis d’accord pour élire un nouveau président, alors qu’il s’est lui-même auto réélu deux fois depuis. Cette situation est révélatrice d’un blocage institutionnel dont les Libanais subissent les conséquences, avec une dégradation marquée de leurs conditions de vie, entre autres le développement de maladies causées par les bactéries présentes dans les ordures qui s’accumulent, des coupures d’eau et d’électricité de plus en plus importantes, tandis que le chômage et la pauvreté augmentent, selon la Banque mondiale.

« La politique libanaise, depuis l’Indépendance jusqu’à maintenant, est dirigée non pas au service du citoyen mais au service des chefs politiques qui servent leurs intérêts personnels ou ceux de leurs parrains étrangers, et le citoyen est complètement délaissé dans ses droits, les services essentiels, à tous les points de vue », estime Nadine Moussa, première femme candidate à la présidence, avocate et représentante de la société civile, c’est-à-dire n’appartenant pas aux partis traditionnels issus de la guerre civile. D’abord candidate aux élections législatives de 2013 avec une campagne appelée « Take back Parliament », pour « rentrer dans ce Parlement, d’une façon démocratique, pacifique et légale, et ouvrir le tiroir où sont bloqués plus de 300 projets de loi essentiels pour l’amélioration de la vie des gens et le développement et l’avancement du pays ».

Ces élections n’ayant pas eu lieu, l’avocate a décidé de présenter son propre programme – et parti politique – aux élections présidentielles, même si elle doute de la démarche en soi : « L’échéance présidentielle n’est qu’une fausse approche qui ne peut que conduire à des crises et à des problèmes, car elle est moyenâgeuse, clanique, féodale et non pas démocratique. On se concentre sur le choix d’un chef du clan communautaire plutôt que sur une véritable élection présidentielle avec un public et des candidats qui parlent d’un programme. » Elle dénonce d’ailleurs le fait que sur la vingtaine de noms évoqués au Parlement, seulement deux se sont officiellement présentés, elle-même et Samir Geagea, chef des Forces libanaises.

« Je crois qu’on est les seuls à avoir parlé d’une vision et d’un programme présidentiel et de promesses. Henri Helo, par exemple, a été nommé par Walid Joumblatt sans aucun programme, appuie Nadine Moussa. Je lui ai demandé à l’époque, il m’a dit : “Il n’y a pas besoin de programme, c’est l’article 49 de la Constitution.” Pour lui, le président est garant de la Constitution, il est le symbole de l’unité nationale, il représente tous les Libanais. Ce n’est pas un programme, c’est un serment. »

La candidate estime que l’une des responsabilités principales du blocage revient à Nabih Berri, président de la Chambre des députés, notamment sur la question du quorum : « Il se cache derrière sa propre interprétation d’une clause constitutionnelle dans l’article 49 de la Constitution, qui parle d’un quorum des deux tiers pour le premier tour, et non pas pour la première session. Monsieur Berri a appelé à un premier tour qui a eu lieu en avril 2014, et c’est la seule séance à laquelle j’ai pu assister, il y avait le quorum des deux tiers. Et il a confondu, d’après moi volontairement, entre premier tour et première séance. Il a fermé la séance alors qu’il aurait dû appeler à un deuxième tour. Quand ils ont compté les votes du premier tour, à la fin de l’énoncé des votes, on a vu une grande partie du camp du 8-Mars quitter la salle sans crier gare, pour dire qu’il n’y a plus de quorum. Or, le président de la Chambre avait eu son quorum, ça c’est sûr, et le deuxième tour aurait pu avoir lieu le jour-même avec la moitié plus un. »

Karim Makdisi, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth, rejette de son côté l’argument légal, estimant que « le Liban n’est pas un État démocratique libéral donc l’idée de lois et de règles n’est pas significative ». Pour lui, la situation est le résultat de la « combinaison d’un système dysfonctionnel et d’événements régionaux ». « Bien sûr, il y a les Saoudiens, les Syriens, les Iraniens, et il doit y avoir une sorte d’accord pour faire avancer les choses, décrit- il. Mais je pense que leur rôle est surestimé. S’il y avait ne serait-ce qu’un quasi-système fonctionnel ici, nous serions plus enclins à accélérer l’élection. »

« Ou l’on a des députés obligés d’élire un président, ou bien on est dans une république bananière »

Le dernier retournement de situation, qui a fait penser aux Libanais que leur nouveau président allait être élu, est l’annonce officielle par Samir Geagea, le 18 janvier 2016, de son soutien à la candidature de Michel Aoun, président du Courant patriotique libre et allié du Hezbollah, pourtant opposé aux Forces libanaises. Un accord historique, fondé sur l’opposition de Samir Geagea à l’élection de Soleimane Franjié, chef de l’ancienne milice Brigade Marada et soutenu par le parti du 14-Mars. « Si vous avez l’accord des chrétiens, si Geagea soutient Aoun, Franjié devra suivre le mouvement », estime Karim Makdisi. « Le problème réside avec les Saoudiens : que feront-ils ? Ils ont toujours tiré avantage du pays en utilisant les conflits entre chrétiens, en disant “Vous ne pouvez pas vous réunir et vous accorder, donc rien ne se passe”, donc comment vont-ils réagir si un accord est trouvé ? Et les Iraniens ? Cela devient plus compliqué. Et c’est ce qui est intéressant à propos d’Aoun. Il est capable de construire des alliances et de pousser son agenda, qui est d’abord national. Il n’attend pas le mot des Saoudiens, ni celui des Iraniens, il propose juste ses idées. Par exemple, son alliance avec le Hezbollah en 2006 est probablement l’alliance la plus intéressante qui soit arrivée au Liban depuis longtemps, car c’est fondé sur un accord d’intérêts en commun, et pas sur des liens familiaux. »

Cependant, depuis le soutien officiel de Samir Geagea à Michel Aoun, Soleimane Franjié a affirmé ne pas souhaiter retirer sa candidature, et la session parlementaire du 8 février, sans quorum, a été repoussée au 2 mars, puis au 23 mars. « Ils attendent que quelqu’un leur dise quoi faire », explique le professeur. « Ils utilisent l’excuse de la guerre en Syrie pour se prolonger et ne prendre aucune décision politique, donc à quoi servent-ils ? Mais je n’imagine pas que cela va durer trop longtemps, la pression est trop haute, il doit se passer quelque chose. Je pense que nous allons vers une solution politique en Syrie, et cela va nous pousser à nous stabiliser. »

De son côté, Nadine Moussa appelle à une réforme et à une refonte totale du système politique libanais. « Tout le monde s’attend à ce qu’il y ait un règlement irano-saoudien qui permette d’élire un président de la République, c’est de la trahison », insiste-t-elle. « Ou bien on a des députés obligés d’élire un président, ou bien on est dans une république bananière. La crise présidentielle met en lumière cette déviance du fonctionnement des institutions. Ça ne peut pas continuer comme ça, ou bien nous allons vers un effritement quasi total des institutions, ce qui se traduit sur le plan économique et social et qui risque de constituer une bombe à retardement. Tôt ou tard, on va finir par arriver à la conclusion qu’il faut une révision du contrat social, et autant que ce soit nous, les Libanais, qui la fassions avant que quelque chose de nouveau ne nous soit imposé de l’extérieur. »

Elle préconise donc de se mettre d’accord pour élire un président intérimaire pour un ou deux ans, qui aurait pour mission de former un nouveau gouvernement capable de changer la loi électorale et de tenir des élections législatives. « Une fois qu’on a un Parlement vraiment légitime et représentatif, on peut élire un nouveau président de la République. Il faut revenir au peuple, il doit décider de son sort, et avoir une voix dans ce processus au travers de la consultation de la société civile, des ONG, des chercheurs, des avocats, etc. » La société civile a en effet beaucoup agi dans la rue depuis le début de la crise des ordures, au travers de manifestations pour un règlement de la situation mais aussi par un appel à la réforme politique.

Loin de l’optimisme de la candidate, Karim Makdisi espère juste « que le conflit irano-saoudien actuel n’affecte pas trop négativement le Liban »« Je pense que ces gens ont bien d’autres choses à penser que les élections. Mais comme les Libanais attentent leur bénédiction pour décider, c’est problématique. Mais plus important, j’espère que cela ne va pas résulter en une nouvelle guerre civile. Il y a pourtant des opportunités pour s’entendre, mais les Saoudiens font tout pour empêcher ça et se mettre sur le chemin de l’Iran, il suffit de voir au Yémen. » L’arrêt de l’aide financière de l’Arabie saoudite, son appel ainsi que celui du Qatar à leurs ressortissants à quitter et ne plus se rendre au Liban, ainsi que la démission du ministre de la justice, sont autant de signes de la position d’entre-deux du Liban.

Riyad a également expliqué vouloir revoir ses relations avec le Liban du fait de « l’hostilité » de son gouvernement. Celui-ci est accusé de favoriser Téhéran par le biais du parti Hezbollah, allié de Bachar al-Assad et de l’Iran, une opinion fondée notamment sur la conférence, le 10 janvier, des ministres des affaires étrangères des pays de la Ligue arabe. Gebran Bassil, membre du parti allié au Hezbollah le Courant patriotique libre, a refusé de signer la déclaration finale affirmant leur solidarité à l’Arabie saoudite dans le cadre de la dégradation des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, car « elle lie le Hezbollah au terrorisme ». En interne, les chefs politiques libanais se sont très vite exprimés, en soutien ou en opposition à Bassil, réaffirmant par la même occasion leurs alliances régionales. Reste à voir quand, et si, le pays pourra se concentrer sur sa politique interne en toute quiétude. Samedi 5 mars, l’Arabie saoudite faisait savoir que les armes françaises destinées à Beyrouth et dont elle avait suspendu le financement en février serait bien livrées… mais à Riyad.

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