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La consommation d’alcool permet-elle de vivre plus longtemps ?

De récents articles font dire à une étude californienne que boire deux verres d’alcool par jour augmenterait les chances de vivre plus de 90 ans. Ce qui est complètement faux.

Des travaux récemment publiés tirés d’une étude de l’université de Californie à Irvine (UCI) ont connu une résonance particulière dans les médias : d’après ces articles, boire deux verres d’alcool chaque jour augmenterait les chances de vivre plus longtemps de 18 %. C’est du moins ce qu’on peut lire sur Nice Matin, Corse Matin, La Provence ou encore GQ (quatre publications ayant généré plus de 45 000 interactions sur les réseaux sociaux, dont 3 800 partages). La réalité est, comme toujours, bien plus nuancée et moins séduisante.

Les travaux en question ont été publiés dans le cadre de la « 90 + Study », une importante étude longitudinale (c’est-à-dire un suivi d’une population dans le temps) débutée en 2003 par l’UCI, sur environ 1 600 personnes de plus de 90 ans résidant en maison de retraite.

« Je crois fermement qu’une consommation modérée d’alcool est associée à une plus grande longévité », a indiqué la docteure Claudia Kawas, professeure de neurologie et de neurobiologie à l’université de Californie et l’une des principales co-autrices de l’étude. « Mais je n’ai pas d’explication », a-t-elle ajouté.

La docteure Kawas n’est pas la seule à le penser : plusieurs autres travaux ont avancé un lien entre une consommation modérée d’alcool avec des bénéfices pour la santé. Mais la question est vivement débattue, car les résultats de ces études connaissent des limites et des failles méthodologiques importantes. Limites qu’a rappelées Claudia Kawas, précisant lors d’une conférence en février : « Gardez en tête que je commence à étudier les gens lorsqu’ils ont déjà atteint l’âge de 90 ans. Je pense qu’il est très probable que les individus qui avaient une consommation excessive d’alcool étant plus jeune n’atteignent quasiment jamais cet âge. »

En effet, la grande majorité des travaux de recherches sur le sujet suggèrent que la consommation d’alcool a plutôt de nombreux effets néfastes pour la santé.

Biais et fausse causalité

Une analyse de la littérature scientifique existante, menée en 2016 à partir de 87 études s’intéressant aux effets de l’alcool sur la longévité, fournit un état des lieux très synthétique des recherches. Et les conclusions des auteurs ne vont pas dans le sens de Claudia Kawas.

En effet, une fois toutes les données prises en compte, parmi les près de 4 millions de participants à ces études, ceux ayant la plus grande longévité sont ceux qui consomment très rarement de l’alcool.

Publiée en mars 2016 dans le Journal of Studies on Alcohol and Drugs, l’étude de ces 87 publications révèle des problèmes de méthodologie chez celles qui ont attribué des effets bénéfiques à l’alcool. Deux problèmes principaux sont soulevés.

Le biais des « non-buveurs »

Le premier est que la plupart de ces études comparaient des consommateurs réguliers (jusqu’à deux verres par jour) à des individus qui ne boivent pas ou peu, sans prendre en compte les différences entre les deux groupes.

Les buveurs réguliers boivent… parce qu’ils peuvent boire, eux

Par exemple, les non-consommateurs ne boivent pas principalement en raison de problèmes de santé préexistants, et non parce qu’ils refusent simplement de boire. De même, la majorité des études plaçaient également les anciens alcooliques ayant arrêté de boire dans la catégorie des abstinents. Or, il apparaît que la grande majorité des gens ayant arrêté leur propre consommation l’ont fait en raison de complications de santé. Dès lors, les résultats montraient une longévité réduite pour cette catégorie, comparée aux consommateurs modérés.

En prenant ces données en compte, il apparaît que les consommateurs réguliers d’alcool sont généralement en meilleure santé que les autres. Pour grossir le trait, ils boivent parce qu’ils peuvent boire.

Le facteur socio-économique

Le deuxième problème soulevé concerne les données socio-économiques. En effet, les consommateurs réguliers auxquels certaines études prêtent une plus grande longévité appartiennent souvent aux classes les plus aisées de la société et sont socialement avantagés (accès aux soins, environnement, mode de vie), ce qui explique leur meilleure santé.

Les chercheurs ayant passé en revue la littérature existante soulignent aussi que les « buveurs » qui ont la meilleure santé sont les buveurs occasionnels, c’est-à-dire ceux dont la consommation d’alcool ne dépasse pas un verre tous les sept jours. Une quantité bien trop faible pour qu’elle ait un quelconque bénéfice pour l’organisme, selon Timothy Naimi, chercheur au Boston Medical Center et co-auteur de l’analyse du Journal of Studies on Alcohol and Drugs.

Le manque de prise en compte de ces situations explique pourquoi un certain nombre de travaux a attribué à l’alcool des bénéfices aussi divers ou contradictoires, tels qu’une réduction des risques de fracture de la hanche, de cancers, de complications natales, de démence ou même de cirrhose du foie.

Au final, les auteurs de l’étude estiment en conséquence que les divers biais détectés rendent les conclusions sur d’éventuels effets bénéfiques liés à l’alcool très fragiles. La corrélation observée entre une consommation modérée et une meilleure santé pouvant être expliquée par d’autres facteurs non pris en compte.

L’alcool, un coût humain et financier important

En France, le nombre de décès prématurés imputables à la consommation d’alcool était estimé en 2015 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies à 49 000 morts par an, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité évitable du pays derrière le tabac (79 000 morts). Sans oublier près de 1,2 million de malades imputables à la consommation d’alcool.

Sans surprise, l’alcool représente un coût important pour la société française. En prenant en compte le coût des morts prématurés, des pertes de production mais aussi le montant des dépenses publiques pour les soins, la prévention et la répression, l’étude pilotée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies en 2015 estimait le coût annuel de l’alcool à 120 milliards d’euros.

Au niveau mondial, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en 2012 que l’alcool était responsable d’un décès sur vingt, soit 3,3 millions de décès prématurés chaque année (contre 2,5 millions en 2005).

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