Négocier
Pour les Américains, le comportement du négociateur peut revêtir deux formes : le soft power et le smart power. La première oppose deux partenaires de grande proximité ; entre aucune menace n’est pensable quels que soient les déséquilibres qui les distinguent, quelle que soient leur inégalité dans la distribution des informations.
La seconde oppose deux opérateurs qui ont chacun des intérêts lourdement opposés à défendre, ou que sépare une profonde inégalité. Cette fois, la négociation n’exclut pas la menace ; une menace plus ou moins voilée, mais bien connue de l’adversaire.
Alexis Tsipras estime avoir été humilié. Il a capitulé au finish. Semblable à la chèvre de M. Seguin, il a courageusement tenu toute la nuit et plié à 9 heures du matin après qu’il ait été séquestré dans le bureau de Donald Tusk, président du Conseil européen, avec les dirigeants allemand et français. Le procédé a manqué d’élégance, mais non d’efficacité.
Il a pu en être ainsi parce qu’Alexis Tsipras ne tenait pas une grenade dans sa main. Politiquement, qu’eut pu être cette grenade ?
Imaginons qu’au moment où Tsipreas arrivait à Bruxelles, des dépêches de presse aient annoncé que ses ministres de la Défense, des Affaires étrangères et des Mines arrivaient à Moscou. Supposons qu’au cours de la première journée de négociation des bruits aient filtré relatifs au gaz de mer de Crète méridionale, plus tard portant sur le golfe de Laconie. Dans la soirée un bruit aurait filtré d’un projet de stationnement de navires russes dans ce golfe pendant plusieurs décades (leur nombre n’étant pas mentionné), d’autres bruits auraient laissés penser que la Russie s’intéressait de près à la concession du gaz de mer de Crète méridionale.
Washington eut appelé pour confirmation son ambassadeur à Moscou, puis celui de Bruxelles pour lui dicter ses instructions. Une note glissée discrètement aux négociateurs français et allemands les eussent invités à suspendre les conversations pour rencontrer d’urgence l’ambassadeur US.
À leur retour, ayant été dûment tancés par leur maître américain, les durs de Berlin et de Paris, auraient replié leurs exigences, annonçant que la Grèce bénéficiaient « comme il est tout à fait normal » des mêmes privilèges financiers qu’un pays du Tiers-Monde, telle la Côte d’Ivoire en 2012, et que 24% de sa dette extérieure était absorbée par la BCE.
Cette remise n’eut pas soldé la dette, mais l’eut ramenée de 175 % du PIB grec à 131 %. Ce pourcentage, assorti d’un faible taux d’intérêt (celui que la Banque mondiale impose aux PMA), d’un délai de franchise de dix ans suivi d’un remboursement sur trente ans eut permis aux Grecs de sortir du profond marasme dans lequel beaucoup souffrent(1) depuis six ou sept ans. Ceci n’eut pas exclu des réformes profondes indispensables pour que la Grèce ne retombe plus dans une telle situation.
L’Allemagne eut pu se souvenir un instant que sa dette de guerre fut intégralement effacée dès 1953. Les alliés dont la Grèce avait permis à la RFA d’annuler plus de 60% de sa dette contractée avant et après-guerre.
Un même effort au profit de la Grèce eut ramené sa dette à 87 % de son PIB. Par comparaison la dette extérieure de la France absorbe 97 % du PIB français.
On constate que le FMI avait demandé le 15 juillet aux négociateurs européens d’adoucir leur position ; il suggérait trois solutions dont : un « effacement de dette » pur et simple. Il vient de réitérer le jeudi 30 juillet, demandant à Bruxelles de procéder à une réduction de la dette grecque.
Dr Claude GARRIER
1er août 2015
(1) Certains parents ont été obligés d’abandonner leurs enfants à des institutions charitables : ils n’étaient plus en mesure de les nourrir.
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