8.2 C
New York
vendredi, avril 19, 2024
Home Monde Entretien avec SHANDA TONME: les échecs du président des Etats-Unis sont-ils le...

Entretien avec SHANDA TONME: les échecs du président des Etats-Unis sont-ils le prélude à un bouleversement du monde ?

5 mars 2019

Jamais durant les cinq dernières décennies, un président des Etats-Unis ne s’était trouvé dans une situation aussi inconfortable, marquée par une perte de confiance à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Il faut en effet remonter à Richard Nixon affaibli par le scandale du Watergate et le retrait humiliant du Vietnam, pour approcher ce que vit Donald Trump aujourd’hui. Que comprendre de cette situation ? A quoi faudrait-il s’attendre ? Sommes-nous à un tournant de l’évolution du monde ?
Notre expert apporte ici, non pas une réponse, mais des réponses pour un éclairage très attendu.

LM : Pr, est-il possible de parler de déclin des Etats-Unis, au regard des déboires qu’accumule le président Donald Trump ?

ST : Je ne sais pas ce que vous entendez par déclin. Je souhaite que vous soyez plus explicite

LM : Enfin, vous voyez bien que d’une part la puissance américaine n’est plus ce qu’elle était, et d’autre part que Donald Trump connaît d’énormes difficultés partout

ST : Je crois qu’il faut bien faire la distinction entre Donald Trump en tant personnalité politique d’une part, et d’autre part les Etats Unis en tant que nation, en tant que puissance bâtie sur des atouts naturels, structurels, technologiques, militaires, et économiques incontestables.

LM : Mais dites-nous professeur, quand on voit comment il a échoué dans sa rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Dae Jung II au Vietnam, alors que tout le monde s’attendait à un succès diplomatique, comment peut-on encore le crédibiliser ?

ST : Alors, sommes-nous au premier échec d’une rencontre diplomatique dans l’histoire des Etats-Unis ? D’ailleurs, pourquoi parler d’échec au lieu de report, peut-être même glissement de calendrier comme disent les Camerounais. A mon sens, les conditions n’étaient pas suffisamment bonnes pour une deuxième rencontre. Les pourparlers préalables des experts des deux parties, n’ont pas réellement fait le boulot ni éliminé toutes les zones d’ombre. Il n’y a pas véritablement de drame. C’est juste une étape, et l’essentiel demeure que le régime coréen a suspendu ses essais nucléaires tapageurs, même si on ne peut pas parler de suspension des recherches et des laboratoires.

LM : Qu’est ce qui de votre point de vue n’a pas marché ?

ST : Ecoutez, même s’il est évident que les deux parties avaient un intérêt certain à ce que des avancées interviennent, je doute que les collatéraux diplomatiques, en sommes les acteurs externes impliqués d’une façon ou d’une autre, aient souhaité un accord.

LM : A quels acteurs faites-vous allusion par exemple ?

ST : La Chine, la Russie, l’Iran, pour ne citer que ceux que je considère comme des parrains puissants sur la scène diplomatique mondiale. Ne perdez jamais de vue le fait que nous sommes dans une phase délicate des relations internationales, c’est-à-dire dans un cycle de turnover ou encore de recomposition crucial.

LM : Qu’entendez-vous par-là ?

ST : Le monde vit une réelle recomposition des rapports des forces entre les grandes puissances d’une part, les puissances moyennes d’autre part, et les petites puissances enfin. Entre tous ces couloirs d’influence, il existe des réseaux d’alliances et des remises en cause qui mettent en exergue des complexités inextricables. De la Turquie en passant par la France, la Syrie, l’Inde, Cuba, les Emirats et l’Ethiopie, le discernement des intérêts est devenu trop difficile, loin des fluidités facilement perceptibles d’avant.

LM : Pr, voulez-vous dire que les changements échappent aux acteurs qui hier tenaient toutes les cordes et dictaient leur loi ?

ST : Attention, surtout ne jamais sous-estimer une super puissance de la trempe des Etats Unis ou de la Russie. Je vous l’ai dit tantôt, que ceux qui parlent du déclin des Etats Unis, se trompent lourdement. Nous sommes en face d’une grande nation aux atouts impressionnants dans tous les sens du terme : créativité ; croissance ; inventivité ; formation ; commerce ; domination militaire. La montée en puissance de la Chine et son impérialisme commercial soutenus par des réserves de devises insolentes constituent à n’en pas douter une équation de chamboulement presque choquante, mais ses conséquences n’échappement encore aux règles d’or des grandes doctrines ni aux normes d’appropriation et de projection diplomatiques. Je veux dire que ni les experts ni les acteurs ne sont pas perdus dans ces dédales. On sait encore parfaitement où l’on va, avec qui on navigue et sur quels moteurs on repose.

LM : Même avec les échecs de Donald Trump ?

ST : Donald Trump ce n’est pas l’Amérique, c’est peut-être un exemple de réussite d’un businessman dans le capitalisme américain, et il symbolise sans aucun doute le rêve et la puissance de la Free interprise, mais pas toute l’Amérique, pas toute l’éthique, pas toute la morale. Le personnage présente certes de multiples facettes, mais l’Amérique en a vu d’autres.

LM : A vous entendre, ceux qui parlent de la Chine comme de la prochaine puissance qui va évincer les Etats Unis auraient tort ?

ST : En tout cas, l’histoire est marquée par des mutations importantes et structurelles qui ont vu naître, grandir et mourir des empires. Mais pour ce qui peut être considéré comme l’empire américain, ce n’est pas encore le moment, c’est loin, trop loin. D’ailleurs, les empires n’existent plus réellement, je veux dire dans la compréhension d’une domination absolue, insolente et totalitaire. Le monde vit une reformulation des pôles de puissance et d’influence qui implique logiquement, une relativisation des forces, des pouvoirs et des vassalisations.

LM : Et si Donald Trump était renversé ?

ST : Attendez, ne prenez pas les Etats Unis pour une république bananière. Quand vous parlez de renversé, c’est comme si on se trouvait au Guatemala ou en Ouganda. Peut-être que vous voulez parlez d’impeachment, c’est-à-dire de destitution que prévoit la constitution des Etats unis, et qui constitue une arme terrible aux mains du Congrès. S’il s’agit bien de cela, rien n’est impossible. Une des reproches que les Américains ont longtemps fait à la France particulièrement, c’est qu’on passe son temps dans la politique, des querelles et des joutes oratoires entre politiciens tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes. Mais voici qu’eux aussi sont tombés dans cette maladie. Washington ne travaille plus vraiment, on débat, on attaque, on dénonce, et la presse est devenue pire là-bas qu’en Europe. Mais c’est une vitalité démocratique qui conduit à toutes les éventualités. Donald Trump n’a pas la vie facile, mais c’est un richissime capitaine d’industrie qui se comporte comme un boxeur résistant sur le ring. IL sait encaisser et rien ne semble l’ébranler. Mais combien de temps cette atmosphère va-t-elle durer ? Contre la Chine, il a allumé la guerre commerciale, pour ensuite mieux négocier sans jamais dire si oui ou non il se conforme aux règles de l’OMC.

LM : Justement, le Congrès qui est en opposition sur plusieurs questions ne va-t-il pas utiliser cette procédure fatale ?

ST : Certes, on a observé le blocage des services fédéraux, à cause de la dispute sur le financement du mur à la frontière entre les Etats Unis et le Mexique qui tient le président à cœur, et dont le coût est de quatre milliards de dollars environ, mais il ne faut pas extrapoler. Ce n’est pas sur ce sujet, celui de l’immigration que l’Amérique va exploser.

LM : Croyez-vous à la théorie du complot Russe, ou encore de l’implication de la Russie dans la manipulation des élections américaines ?

ST : Je crois qu’il y a une russophobie regrettable aux Etats Unis depuis un certain temps. En réalité il s’agit d’un héritage de la guerre froide, laquelle était articulée sur la politique du « Containment » formalisée par le Président Truman dans une allocution au Fulton College dans l’Etat de l’Alabama en 1948. Il est clair que la renaissance de la Russie est très mal perçue dans certains cercles dominée par la vieille droite animée par l’école de la moral majority. Donald Trump a sûrement fait des affaires avec la Russie, mais comme chef d’entreprise, comme capitaliste, comme milliardaire qui cherchait à faire fructifier ses affaires et étendre son empire. Il n’y a aucun crime à cela, sauf que si tout cela se mélange avec le président, ce n’est plus bon.

LM : La faiblesse de Donald Trump ne profite-t-elle pas à la Chine ?

ST : Je répète qu’il y a Donald Trump et il y a les Etats Unis. Trump c’est pour un temps, et les Etats Unis c’est pour l’éternité. Les hommes passent mais les Etats restent. Certes, la qualité des hommes, le succès, la sagesse et l’intelligence des gouvernants impactent le standing mondial des nations et la configuration de leurs intérêts nationaux, mais ce sont des données relatives dans le temps. Vous voyez bien que Boris Elstine avait noyé la Russie, Poutine lui a redonné de la vie, de la respectabilité et de l’influence.
Encore, de façon tout à fait évidente, les échecs et les faiblesses des uns, font toujours les affaires des autres et vice-versa. L’important c’est ce qui reste quand les bêtises sont terminées et que le bilan des dégâts a été établi. Les intérêts des nations sont immuables dans leur matérialisation, leur consécration et leur détermination géopolitique et géostratégique. A partir de là, la plupart des erreurs ou des fautes de gouvernance voire de projection sont soit rattrapables, soit ajustables.

LM : Et si on parlait vraiment de la Russie dans ce contexte ? Qui préférez-vous entre Trump et Poutine et comme envisagez-vous la suite de leurs rapports ?

ST : D’abord, on ne spécule pas sur les dirigeants théoriquement choisis par leur peuple. Qui suis-je pour juger deux super éléphants qui animent le quotidien du destin de l’humanité et qui disposent des moyens d’anéantir la planète en une fraction de seconde ? Chacun des deux dirigeants travaille pour son pays et défend ses intérêts nationaux. Vous avez beau insulter Trump, il vous opposera les chiffres excellents de la croissance, des créations d’emploi et du recul du chômage. C’est ce qui compte pour lui, et cela plaît à ses électeurs. Quand à Poutine, avec une popularité qui dépasse les 70%, qui peut dire quoi de l’extérieur ? On parlera toujours des droits de l’Homme, mais le Kremlin montrera les succès en Syrie, le retour de son gros bâton sur la scène internationale et la santé de ses exportations d’armement. Ne parlons même pas de la reconquête en cours des positions d’influence en Amérique latine et en Afrique.
Cela dit, la balance des forces est en réalité plus stable et plus prometteuse entre les deux grandes puissances. Moscou a su capitaliser sur les erreurs et l’inconsistance de la diplomatie américaine, et a pu construire une alliance de raison avec la Chine, impliquant utilement aujourd’hui la Turquie et l’Iran. Or dans le même temps, les principaux alliés des Etats Unis sont plongés dans le désarroi, ne savant plus ou pas de quel angle prendre le président américain. L’affaire du journaliste saoudien assassiné sauvagement dans le consul de Ryad à Istanbul est venue tout gâcher, réduisant à néant le prestige et la crédibilité de l’influence de son principal allié dans le monde arabe. Je vous conseille de vous référer à l’un de mes ouvrages publiés en 2017, « Reformer la gouvernance mondiale ».

LM : A vous entendre, le monde bouge, et peut-être mieux ?

ST : C’est un fait que de constater la vitalité de la diplomatie planétaire. Nous devons nous féliciter qu’il n’y ait plus eu de véritable grande guerre depuis longtemps, ni de confrontation dangereuse de nature à créer un dérapage échappant au contrôle et au génie des super puissances. Le Proche orient demeure un terrain glissant, mais de Moscou à Washington en passant par Tel Aviv, Pékin et Paris, des couloirs de communication d’urgence assurent la maîtrise des mécanismes et des détonateurs. La façon dont s’est apaisée la récente passe d’armes entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires, est significative de la capacité des nations à contrôler les crises et à éviter les débordements. C’est ce que l’on appelle dans le jargon stratégique « Damage control ».
L’autre scène de crise où une telle observation est assez instructive c’est le théâtre syrien. Israël tout comme Téhéran ont une claire conscience des limites de la guéguerre et des joutes verbales, tout comme Moscou et Washington savent quoi leur dire et quoi faire. Le jour où Moscou tournera le dos, aucun avion israélien ne sera plus en mesure de violer l’espace aérien syrien. Il suffira de positionner à Damas les redoutables batteries de missiles sol air SS 400, dont seul la Turquie a eu le privilège de bénéficier d’un contrat d’achat récemment, au grand regret de ses supposés alliés de l’OTAN. Bon, mais il y a un accord non écrit avec Washington pour que cela n’arrive pas, en tout cas pour l’instant.

LM : On est rassuré, mais comment analyser la querelle sur les missiles de moyenne ou de courte portée en Europe, avec l’abandon du traité concernant ces armes signé au début des années 80 ?

ST : Je ne comprends pas non plus ce que veulent vraiment les Etats Unis, mais ce n’est pas nouveau. Les systèmes d’armes sont en permanence en débat. Ce qui est regrettable, c’est de se lever un matin et quitter brutalement un accord international. Il y a une crainte compréhensible sur le procédé américain. C’est tous les six mois un nouveau retrait, une remise en cause de leur engagement dans une convention diplomatique, bilatéral ou multilatéral. Ce n’est pas sérieux et cela fragilise lourdement le multilatéralisme. Il faut se souvenir que la deuxième guerre mondiale, 1939-1945, débuta par le retrait de l’Allemagne Nazi de la SDN (Société des Nations) ainsi que de la plupart des instruments multilatéraux. Pour un grand pays comme les Etats Unis, ce n’est pas sérieux. Mais une fois encore, retenez bien que nous sommes en présence d’une démocratie où le chef de l’exécutif, en l’occurrence le patron de la Maison Blanche (the White House), dispose d’un prestige, d’un pouvoir et de privilèges très importants. La nuance ici c’est quand même que le Sénat peut limiter les pouvoirs de nuisance du président en matière de traité international.

LM : Dans ce cas, comment expliquez-vous que le Sénat américain n’ait pas empêché la sortie du traité nucléaire avec l’Iran ni de l’Accord sur le climat ?

ST : Mais tenez, il s’agit d’un sénat contrôlé par les républicains, donc le parti du président, avec quelques-uns des plus radicaux idéologues de la droite radicale qui y ont accédé presqu’en même temps que lui était porté à la maison Blanche. Vous avez certainement raison d’évoquer ces deux instruments diplomatiques. Quel que soit l’angle par lequel on considère la démarche des Etats Unis, la conclusion c’est qu’il s’agit d’un véritable désordre diplomatique. Vous voyez bien la fracture pluridimensionnelle et multiculturelle que cela a entraînée. C’est une vraie catastrophe. Cette démarche ne reposait sur rien de sérieux, sinon une simple perception idéologique et doctrinale sectaire articulées sur des intérêts obscurs. Il n’y pas eu de considération pour la paix mondiale, juste pour l’égoïsme.
On ne saurait ne pas être effrayé en entendant Poutine déclarer, en réaction au projet américain de construction et d’installation de nouveaux missiles de moyenne et de courte portée en Europe (1500 -2000 km de portée), que la Russie est prête pour une nouvelle crise des missiles, comme la crise de Cuba en 1961. C’est un mauvais présage, et vous avez vu la trouille des européens qui perdent presque le sommeil à entendre ce genre de discours.

LM : Pensez-vous que Trump ira jusqu’au bout de son mandat ?

ST : Pour moi il n’y a aucun doute. Les révélations sur sa vie privée, voire sur ses liens avec la Russie, ne sont pas perçues comme constituant une menace directe, certaine, immédiate et ingérable pour la sécurité nationale des Etats Unis. Quant à la morale, il faut attendre, ou aller se plaindre ailleurs. L’évolution de la société américaine a adoucit ses relents puritains extrémistes pour entrer dans l’ère de la banalisation, de la tolérance et de l’intégration d’une sorte de voyeurisme. Ne soyez même pas surpris qu’il parvienne à se faire réélire.

LM : Merci Professeur.

Comments

0 comments

Most Popular

Cameroun/Assassinat de Sylvie Louisette Ngo Yebel: Son Propre Fils Serait l’Auteur du Crime

Les premiers indices dans l'affaire du meurtre de la journaliste Sylvie Louisette Ngo Yebel pointent vers une conclusion des plus troublantes car...

Cameroun/Drame : Une journaliste assassinée à Yaoundé

le corps sectionné Le troisième arrondissement de Yaoundé, plus précisément le quartier Nsam, a été le théâtre d'une...

Cameroun: accusé de harcèlement par sa cheffe de Cabinet, Judith Espérance Nkouete Messah, Mouangue Kobila la licencie.

Source: Jeune Afrique Alors que le président de la Commission des droits humains du Cameroun est accusé de harcèlement...

Sénégal: des violents affrontements entre la police et l’opposition

Source: africanews La tension était à son comble ce vendredi à Dakar, la capitale du Sénégal. De violents affrontements...

Recent Comments

Comments

0 comments